Actuellement, les rangs de la Protection civile comptent 290 plongeurs professionnels alors que 200 autres candidats seront formés d'ici l'année 2014. Caractéristiques des hommes-grenouilles ? Un esprit de famille. Car chacun sait qu'à chaque plongée tout peut arriver. C'est cette ambiance qui se dégage d'ailleurs de l'unité marine de la protection civile de Sidi Fredj. Ici les hommes partagent le risque mais aussi l'amour de ce métier. Le lieutenant Lounès Belloulou, chef de l'unité marine de la protection civile d'Alger, explique que les plongeurs ne chôment pas en hiver comme en été. Chaque matin, avant le début de la mission, l'équipage qui se compose de deux plongeurs, d'un manipulateur et d'un conseiller technique subissent un briefing sur l'objectif, les données météorologiques et la nature de l'intervention. La plongée se fait en équipe pour des raisons sécuritaires. « Le plongeur doit impérativement se faire accompagner de ses collègues. Il peut arriver qu'il manque d'oxygène une fois sous l'épave, son collègue peut intervenir dans ce cas », ajoute l'officier. ON PLONGE AUSSI... DANS LES EGOUTS Les unités marines de la capitale sont dotées de 11 embarcations semi-rigides et 17 pneumatiques (Zodiacs). Les plongeurs, eux, sont au nombre de 57 professionnels. Parmi eux 25 sont détachés au niveau des plages dans le cadre du dispositif sécuritaire de la saison estivale. En plus du travail routinier accompli sur les 46 plages ouvertes cette année à la baignade, ils peuvent intervenir dans les eaux des barrages, les puits et les retenues collinaires. Mais ne croyez pas que ces hommes sont constamment entourés d'eau limpide au milieu de poissons. « Nos plongeurs ont également entamé plusieurs interventions dans des puits et des égouts dans le cadre de l'opération de recherche du petit Yasser disparu à Béni Merad », assène l'officier. Pour ce type d'opération les plongeurs sont équipés de tenues spécifiques spéciales eaux usées. « Ce sont des tenues étanches et protectrices », affirme le lieutenant Belloulou. ABDELMALEK OU LE SOUVENIR DU « BECHAR » Alors les difficultés, ce n'est pas cela qui manque. Le sergent Abdelmalek Bekkouche, chef d'unité de plongeurs, insiste chaque fois avec ses hommes sur le respect des normes de sécurité pour éviter tout incident. « L'intervention est plus compliquée en eau douce qu'en mer. Nous opérons généralement dans un milieu où l'eau est boueuse et très froide et la visibilité parfois nulle », observe-t-il. Conséquence : il n'est pas évident de repérer l'endroit exact où se trouve le noyé. « Il nous arrive de passer des jours voire des semaines entières à chercher un cadavre », précise le sergent. Le lieutenant Hocine Fenane, conseiller technique, le confirme : « La personne qui se noie rend l'âme au bout d'une petite minute et il est souvent difficile de repêcher le corps quand il s'accroche sous les eaux à des branchages ». Dans ce sillage, il révèle qu'il a passé avec ses collègues plus de 17 jours à Ghardaïa lors des inondations. « C'était difficile et compliqué vu le terrain et la boue ». Mais c'est la catastrophe des deux navires le Béchar et le Batna en 2004, dont le premier a coulé dans le port et l'autre s'est échoué sur les Sablettes qui a marqué le plus le sergent Bekkouche et ses collègues. « C'était la veille de l'Aïd. On devait passer ces jours-là avec nos familles et nos enfants, mais on avait assuré la permanence. On a effectué deux essais malgré une mer démontée. Je me souviens du premier cadavre repêché. C'était le corps du chef cuisinier du navire. Il était coincé sous une cuisinière. La mission était très difficile parce que le navire n'était pas stable », se souvient le sergent. Lui et ses collègues se rappellent aussi des vagues qui atteignaient plus de 9 m de hauteur. « Nous sommes allés dans les entrailles du Béchar qui a chaviré à plusieurs mètres... ». A 26 ans de carrière en plongée, Abdelmalek Bekkouche a tout vu. « Il a effectué des plongées dans oued El Harrach à la recherche des cadavres de suicidés ou de noyés. Pour nous c'est le plongeur infatigable, le doyen qui a assisté à toutes les catastrophes », témoignent ses collègues. N'empêche, pour Abdelmalek , le métier de plongeur est dur mais beau. « On découvre un autre monde mais il ne faut jamais s'aventurer ». Ses collègues le taquinent souvent. « Malek est malheureux ces derniers jours parce qu'on va réaménager oued El Harrach. Il n'effectuera plus de plongées dans ses eaux usées », plaisantent-ils. UNE FORMATION STRICTE Au sein des plongeurs de la Protection Civile, il existe plusieurs niveaux. Le plongeur 1 (PLG 1) ou SAL (scaphandrier autonome léger) peut descendre à 30 mètres avec d'autres plongeurs. Le PLG 2 est chef d'unité ou chef d'opération, il fait fonction de guide de palanquée, il peut descendre jusqu'à 50 mètres alors et le PLG 3 peut aller jusqu'à 60 mètres. Ce dernier est aussi conseiller technique, il donne des cours et participe à la formation des PLG1, PLG 2 et PLG 3. Au cours du stage, les plongeurs sont entrainés aux techniques individuelles classiques tels le sauvetage, le secourisme mais surtout à la gestion des opérations dans des situations difficiles et la connaissance du matériel. En plus des cours, ils effectuent des manœuvres destinées à tester l'autonomie des unités d'intervention et l'organisation et la rapidité de l'intervention en cas de catastrophes naturelles. La session de formation est supervisée par un spécialiste en médecine de plongée, un spécialiste en médecine hyperbare et un autre en médecine maritime d'urgence. Le capitaine Zine Eddine Maâriche est médecin de plongée et membre de l'unité marine. Les plongeurs suivent également une formation dans l'intervention urgente des médecins dans un milieu marin très isolé et de la prise en charge des accidents de plongée, et enfin de la réanimation cardio-respiratoire et la prise en charge en cas d'une hyperthermie. Ce jeune capitaine est l'un des huit médecins de la protection civile spécialistes dans la médecine hyperbare en Algérie. Ces derniers ont été formés en France. Il indique que l'institution se dotera très bientôt de nouveaux caissons hyperbares « pour améliorer les interventions des plongeurs ». Le caisson est l'outil par excellence de l'hyperbariste. Il s'agit d'une enceinte rigide métallique étanche dans laquelle on monte la pression de l'air ambiant. Les patients prennent place, assis ou allongés, ainsi éventuellement que le personnel soignant, dans ce cylindre et respirent au masque l'oxygène pur. DEVENIR PLONGEUR PROFESSIONNEL : UN CHOIX MAIS ... Le métier de plongeur est très difficile, dur même et exposé à tous les risques. N'y accède pas qui veut. Cela nécessite beaucoup de volonté. Sauf que ces plongeurs restent tout de même des sapeurs-pompiers. Le plongeur est tout d'abord un volontaire. « Il doit remplir une fiche de vœux avant la sélection médicale et physique », précise le lieutenant Fenane, formateur de plongeurs. Ainsi le futur plongeur doit jouir « de bons reins et d'un cerveau solide ». Un premier bilan médical se fait au niveau du centre médical de la protection civile à Bab Ezzouar (Alger est) suivi d'un autre examen psychotechnique. Ensuite, il sera transféré à l'hôpital militaire d'Ain Naâdja pour une expertise médicale. « Le passage hyperbare est obligatoire. Chaque année, le plongeur est soumis à un contrôle au niveau de l'hôpital militaire. Toutefois, un contrôle au niveau des centres médicaux relevant de la protection civile est instruit chaque six mois », précise l'officier. PLONGEURS... THERAPEUTES D'EUX-MÊMES Y a-t-il une prise en charge psychologique des plongeurs qui côtoient des cadavres ? Le capitaine Maâriche, explique que les plongeurs sont les thérapeutes d'eux-mêmes. « Après chaque intervention, il ya le débriefing. C'est une forme efficace et traditionnelle de thérapie », explique-t-il. Avant d'affirmer que les unités marines n'ont enregistré aucun incident ou dépression. « Nos plongeurs aiment leur travail. La mer est un médicament aussi », conclut le médecin.