L'enfant né hors mariage et de surcroît abandonné mène une vie absolument particulière par rapport aux autres enfants en raison, surtout, de problèmes d'ordre psychoaffectif et identitaire, ajouter à cela le regard de la société. Selon Mme Fadhéla Yahi, pédopsychiatre et psychanalyste qui active à Chéraga, « on doit toujours privilégier l'adopté même s'il vit de vrais drames quand la démarche pour lui donner une famille n'aboutit pas ». Avant de poursuivre : « Les difficultés sont liées à l'âge de l'abandon et à l'histoire de l'enfant. Être adopté, c'est avoir été abandonné et il faut au préalable à l'enfant avoir déjà fait le deuil de ses parents biologiques, trouvé d'autres repères identificatoires et fait des parents adoptifs ses parents ». Pour sa part, le sociologue Aribi indique que « la réinsertion des enfants abandonnés a toujours constitué une faille importante du système de prise en charge de l'enfance en raison du parcours de vie très particulier des enfants abandonnés du fait du manque de formation professionnelle ou des lacunes éducatives qui marquent la vie d'un enfant ayant eu un passé familial difficile. » Il ajoute que « le processus de mise en place des réformes démontre aussi bien les limites de la politique familiale à l'égard de l'enfance que les aspects contradictoires des politiques publiques qui ne sont pas en mesure de protéger les enfants ni des mauvais traitements ni de la violence ». Relevant l'absolue nécessité aujourd'hui de protéger cette catégorie sociale si fragile, Mme Fatima-Zohra Benbrahem, avocate à la cour d'Alger et présidente de l'Association algérienne de lutte contre le passé colonial, plaide, quant à elle, pour une synergie agissante entre l'ensemble des acteurs concernés par le sort des enfants abandonnés : pouvoirs publics et société civile. Elle a aussi tenu à faire remarquer que la stratégie de protection des enfants abandonnés a ouvert la voie à des réformes fondamentales portant principalement sur le code de la famille, l'attribution de la nationalité de la mère à l'enfant ou encore la réforme du régime de la Kafala. Interrogés au sujet des difficultés rencontrées par les parents adoptifs, Ahmed et Fouzia, qui sont des parents adoptifs, acceptent volontiers de témoigner. « Les enfants adoptés sont d'abord des enfants et, en tant que tels, ils rencontrent un certain nombre de difficultés inhérentes à leur développement psychoaffectif. Ces difficultés remettent en question, à chaque étape, l'équilibre précédemment acquis. Les symptômes de souffrance sont donc ceux révélés chez tous les enfants, et l'adoption vient leur donner une « couleur différente ». En effet, le traumatisme premier que représente l'abandon, puis les éventuelles carences affectives précoces, les carences nutritionnelles, les séparations répétées et les possibles maltraitances en sont les stigmates. Pour une meilleure prise en charge de ces enfants abandonnés, le réseau NADA, qui excelle dans l'accompagnement des enfants en danger moral, en conflit avec la loi, et victimes ou acteurs de délit ou crime, propose « la création de tribunaux spéciaux pour enfants, la professionnalisation des avocats dans le droit des enfants, la mise en place des brigades pour les mineurs au niveau des services de la gendarmerie, la mise en place de règles spéciales en matière de détention des enfants délinquants qui prennent en considération la spécificité de la justice des mineurs, la consécration de nouvelles règles en matière de protection judiciaire de l'enfant, notamment des mineurs délinquants, en fixant un âge minimum pour la responsabilité pénale et en instituant la médiation comme moyen juridique permettant de ne pas poursuivre l'enfant et de réparer le préjudice causé à la victime ». Et de conclure : « Il est nécessaire d'associer la société civile dans l'élaboration de futures lois relatives à la protection de l'enfance ». Yamna R., enfant abandonnée et adoptée, s'exprime au sujet des travailleurs sociaux qui, selon elle, ne sont pas suffisamment formés aux problématiques liées à l'adoption. « Il me semble que l'écho donné aux problèmes liés à l'adoption a sensibilisé à la fois le public et les travailleurs sociaux. Néanmoins, il y a encore peu de formations qui leur sont proposées. Souvent, ces mêmes employés de l'administration exigent un livret de famille, alors qu'un enfant abandonné ne jouit pas de ce document. Une formation adéquate consisterait donc à proposer une connaissance juridique de base, sur le cadre légal de l'adoption nationale et internationale, des notions sur les effets de l'abandon précoce et tardif, les particularités liées à l'adoption d'enfants petits et d'enfants grands, les problèmes d'ordres psychoaffectif et éducatif des enfants et des parents, ainsi que les structures de recours en cas de difficultés. Il serait aussi intéressant de tordre le cou à un certain nombre d'idées reçues sur l'adoption. »