Presque vingt ans après sa première fetwa, le Haut-Conseil islamique est saisi à nouveau par le collectif des parents kafil pour donner un avis favorable sur l'inscription de l'enfant abandonné sur le livret de famille de son parent adoptif. Le HCI a, selon Hocine Nia, membre fondateur de l'Association algérienne pour l'enfance et familles d'accueil bénévoles, promis d'engager une réflexion sur le sujet. L'attente est vécue dans la douleur et l'anxiété par les couples qui ont fait le choix de l'adoption. En 1992, l'ancien chef du gouvernement, Ahmed Ghozali, signe, à la demande de l'Association algérienne pour l'enfance et familles d'accueil bénévoles, un décret exécutif sur la base d'une fetwa émise par le HCI autorisant la concordance de noms entre les parents adoptifs et les enfants adoptés. Une demande de changement de nom permettant à l'enfant d'obtenir le nom de famille du titulaire du droit de recueil légal sur le registre et extraits d'actes civils avec mention marginale makfoul pouvait alors être effectuée. Seulement certains tribunaux ont refusé de cautionner cette mesure, en se basant sur le premier article du décret sus-cité qui stipule que lorsque l'identité de la mère de l'enfant mineur est connue, l'accord de cette dernière donné en forme d'acte authentique doit accompagner la requête. L'incohérence entre les articles de ce décret crée une situation de cafouillage. Comment, en effet, demander à une mère qui a abandonné définitivement son enfant en revendiquant de surcroît le secret de l'accouchement de donner son accord pour une telle démarche. Deux ans après, le ministère de l'Intérieur tranche en transmettant une circulaire à l'attention des présidents d'APC leur interdisant d'inscrire l'enfant makfoul sur le livret de famille. L'Association algérienne pour l'enfance et familles d'accueil bénévoles n'a pas baissé les bras pour autant et continue de militer et de sensibiliser les autorités et l'opinion publique sur cette question. “Nous pensons que le fait d'inscrire l'enfant adopté sur le livret de famille avec mention makfoul faciliterait énormément les démarches administratives, notamment pour l'école, car beaucoup de parents adoptifs ont, par ailleurs, des enfants biologiques et ne veulent pas faire de différence entre les deux”, soutient Hocine Nia, membre fondateur de l'AAEFAB. Il indique que cette démarche a un impact important sur le plan psychologique en évitant notamment à l'enfant de faire l'objet de quolibet, une fois en contact avec le monde extérieur. Elle facilite également son intégration dans la société. Les premiers pas de l'enfant né sous X sont appréhendés par les parents adoptifs. “Dois-je dire la vérité à mon fils si jeune avant qu'il ne l'apprenne à l'extérieur ? Va-t-il saisir la portée de ce que je vais lui apprendre ?” se demande une jeune mère de 36 ans. “Je suis toujours extrêmement triste à la sortie de l'APC quand je me fais délivrer une fiche familiale où figurent tous mes enfants, mais pas ma fille adoptive”, raconte un père de famille. Les enfants nés sous X sont-ils condamnés à vivre dans l'isolement identitaire ? Selon Hocine Nia, le ministère de la Solidarité et de la Justice ont promis de se pencher sur le problème en installant une commission mixte. “Mais nous savons tous que le meilleur moyen d'enterrer un problème est de créer une commission.” Sur les 29 000 enfants abandonnés ces dix dernières années, 13 000 ont été pris par des familles localement et plusieurs milliers par la communauté nationale résidant à l'étranger qui ne cesse de clamer avec une certaine satisfaction, tour à tour, les différents responsables du département de la Solidarité, tout en occultant les carences juridiques qui entourent la procédure de la kalafa. Dans le cadre de la loi en vigueur interdisant tout lien de filiation, le sort de l'enfant adopté dans le cas de divorce ou décès du père adoptif demeure incertain. La donation pour les makfouline est, en outre, proscrite par la législation algérienne qui permet paradoxalement aux parents kafil de renoncer à l'enfant si son éducation s'avère difficile. Officiellement, le pays enregistre plus de 3 000 enfants illégitimes par an. On ne sait pas toutefois avec certitude si ce nombre inclut les enfants qui naissent avant que l'inscription du mariage de leurs parents à l'état civil ne date d'au moins six mois. Dans la situation contraire, l'inscription de l'enfant sur le livret de famille est refusée. Il est considéré alors comme illégitime. Ces cas s'ajoutent à ceux des femmes mariées par la Fatiha, considérées comme mères célibataires si le mari refuse de reconnaître sa paternité. Aucune loi ne contraint le géniteur à reconnaître sa paternité. L'article 45 du code de la famille, révisé en 2005, stipule que “la connaissance de la parenté en dehors de la filiation, de la paternité et de la maternité ne saurait obliger un tiers autre que l'auteur de la reconnaissance que s'il la confirme”. En d'autres termes, la justice ne peut contraindre un homme de procéder à des tests ADN, pour établir sa paternité. La maman, souvent issue de milieux défavorisés et âgée de moins de 20 ans, se retrouve donc seule à prendre la décision de garder son enfant ou de renoncer dans un délai de trois mois définitivement à tous ses droits sur lui. La séparation est non seulement douloureuse pour la mère, mais également dramatique pour le nouveau-né, sevré trop tôt de l'amour maternel.