Au pays d'Abane Ramdane on s'en souvient comme si cela datait d'hier. Ici on ne badine pas avec les héros de la révolution. Bien que l'Histore ne se découpe pas en morceaux, des moudjahidine de cette région ont tenu à apporter leurs témoignages, à cœur ouvert. Si M'hand, octogénaire, est natif d'Ath Oumalou. Une expression vague se lit dans ses yeux comme s'il fouillait du regard les coins et recoins de sa mémoire. Il raconte d'abord l'engagement de son père. « Avant la nuit du 1er novembre, mon père et ses compagnons, entre autres Si Abderrahmane, Krim Belkacem, le colonel Amar Ouamrane, Da Mehana, Abane Ramdane, Si Mohand Oumeftah, Amirouche, Si El Haouès, Si Omar Ouabou et Ali Mellah accomplissent un travail de sensibilisation pour faire intégrer les gens dans les rangs du FLN. Ils ont même adressé des lettres aux Algériens vivant en France leur demandant de regagner le pays et préparer le premier novembre », raconte-t-il. « Mon père activait dans la clandestinité. Il ne nous parlait jamais de son engagement. Un jour, il reçoit une invitation du commissaire de la commune mixte de Fort national pour se rendre en France. Refus catégorique. Il nous dit souvent qu'il est tailleur à Alger. C'était un homme du village qui nous a informés de l'engagement de mon père. Ami M'hand se souvient de cette nuit de 1955 lorsque son père rend visite à sa famille. « Quelqu'un frappe à notre porte. Ma mère avance courageusement pour ouvrir. Un climat de psychose s'installe à la maison. Nous avions peur, moi et mes frères. La porte s'ouvrit doucement, permettant à un rai de lumière de pénétrer dans la pièce sombre. Abasourdie, ma mère s'abstient du moindre mouvement. Elle finit par soupirer. C'est mon père. Il vient nous rendre visite, nous saluer. Pas la moindre inquiétude sur son visage. Confiant. Il nous accorde un brin de causette puis repart. Avant de nous quitter, il nous lance : « Désormais, je ne suis plus votre père, ni vous mes enfants. Nous le serons une fois notre indépendance arrachée ». Ain El Hammam, Larbaâ Nath Irathen, Azazga et les autres Ain El Hammam, (ex- Michelet), Larbaâ Nath Irathen, Azazga, Tizi Rached et certaines régions de Béjaia, sont les premières à s'insurger contre les colons. « En 1954, des soldats français nous font sortir de nos maisons. Ils nous ont ramenés ici à Tadjemaât (place publique du village et lieu de rencontres des villageois). Ensuite notre maison a été complètement rasée par les bombardements. Mon frère s'évanouit sous les yeux de ma mère qui ne cessait de crier. Avant de quitter les lieux, les soldats ont brûlé nos affaires. Nous avions été obligés de dormir à la belle étoile ». Si M'hand assume un autre rôle. Sentinelle. Il veille, quand les moudjahidine se réfugient au village. Pour cette tâche, il est équipé d'un pistolet 9 millimètres hérité de son père. Mais en 1955, il est fait prisonnier avec trois moudjahidine de son village. « Nos noms figuraient dans le journal de l'époque. L'armée française nous accusaient d'assassinats et de ravitailler les maquis. Nous sommes condamnés à 9 mois de prison et incarcérés à Tizi-Ouzou avant d'être transférés, les trois derniers mois, à la prison de Serkadji à Alger », raconte-il. Ce qui a frappé Si M'hand c'est que les moudjahidine croyaient dur comme fer à leur combat et à la justesse de leur cause alors que la nouvelle du déclenchement de la guerre faisait esclaffer certains. Autre moudjahid, autre témoignage. Idir Zerrouki était âgé de 26 ans quand son destin bascula en cette nuit du 1er novembre 1954 sur les hauteurs de sa région. D'une voix calme et mesurée, il rassemble ses souvenirs. Il désire plus que tout rétablir la vérité. Il dira : « J'avais 26 ans. Pendant cette nuit, nos responsables nous envoyaient scier des poteaux électriques ou sectionner des câbles téléphoniques. Chose qui n'était pas facile pour nous car nous n'avions pas de fusils et nous avions peur ». Il poursuit son récit : « Cette nuit, on aperçut des moudjahidine embusqués dans chaque coin. A chaque accrochage, des rafales de balles rasaient nos têtes. Chacun cherchait un abri. Si nous sommes sortis indemnes, c'est avant tout grâce à Dieu. Il faut dire aussi qu'il y a eu des hommes braves qui ont su à cette époque inculquer dans nos esprits le courage ». Dda Yidhir, malgré ses 84 ans, raconte au détail près l'attaque ayant ciblé la nuit du 31 octobre au 1er novembre la caserne du centre-ville de Larbaâ Nath Irathen. « Plus de 600 hommes ont participé à cette opération. Les soldats qui se trouvaient à l'intérieur n'ont pas pu riposter. Ils se sont recroquevillés à l'intérieur sans le moindre mouvement. Il y a eu des morts parmi les soldats français et de nombreux blessés ». Autre souvenir : l'embuscade de Takhoukht à une vingtaine de kilomètres au sud-est de la capitale du Djurdjura ciblant un convoi militaire de passage. L'opération a été « ingénieusement opérée et intelligemment exécutée. Il y a des blessés et des morts parmi les soldats français et deux véhicules de marque Jeep se sont renversés dans l'Oued », se rappelle-t-il. « Une fois l'attaque achevée, les combattants se sont débarrassés de leurs armes pour se reconvertir en simples travailleurs des ponts et chaussées. Dépêchés sur les lieux en renfort, les soldats français ont procédé à la fouille systématique de tous les travailleurs sans se rendre compte de la présence parmi nous des moudjahidine », se souvient Dda Yidhir avant de poursuivre : « Le lendemain, très tôt, les soldats nous ont rassemblés une nouvelle fois au poste de commandement. Un lieutenant de l'armée française déchire nos papiers. Il n'attendait que le feu vert de son supérieur pour nous exécuter. Mais une fois encore, la chance était de notre côté. Notre patron, appelé au service militaire, ingénieur de formation, qui accompagnait le commandant, me reconnaît et demande aussitôt ma libération et celle de mes collègues sous le motif que nous sommes des travailleurs des ponts et chaussées. L'armée française ne s'est pas rendue compte de notre activité. Pendant la nuit nous étions chargés, entre autres, de barrer les routes et couper les poteaux téléphoniques et électriques. Et lorsque des moudjahidine se refugiaient dans notre village, nous assurions la sécurité des lieux ». Panique dans l'armée française Etant au sein de l'armée française avant de rejoindre le maquis par la suite, Hadj Ali Tahar (80 ans) est le mieux indiqué pour décrire l'état d'esprit des soldats français. « Lors du 1er novembre, j'étais au sein de l'armée française. Ce jour-là a suscité la panique parmi les soldats français. Ils étaient à la fois consternés et effrayés par ce qui vient de se passer », confie-t-il. Pour ce moudjahid, dire que les Français affichaient une indifférence par rapport à ce qui vient de se passer serait mensonger. Sinon comment expliquer que c'est à partir de là que les Français commençaient à se mobiliser. Ils savaient qu'il s'agissait d'une insurrection armée, organisée, minutieusement préparée et non de simples opérations isolées ». Si Abdelkrim (82 ans) n'a rien perdu de sa mémoire. « Le 1er novembre 1954 débute avec quelques centaines de mauvais fusils. Mais malgré cette dure réalité, les combattants ont fait preuve d'une détermination sans faille pour braver les foudres de l'armée coloniale. Nous voulions tous y participer. Nous avions profondément souffert du colonialisme. La France nous a fait trop de mal. La douleur dépassait les limites du supportable ». Les témoignages des moudjahidine n'ont pas laissé indifférents les jeunes de cette région. Tout au long de ce voyage mnémonique, ils ont prêté une oreille attentive. Mohamed Belmedani (34 ans) note non sans une pointe de fierté : « C'est toujours fascinant pour nous les jeunes d'apprendre que nous avons ici, à Larbaâ Nath Irathen, des braves encore vivants, qui ont participé au déclenchement du 1er novembre et qui sont disposés à nous raconter sans fard ni maquillage les souvenirs de ce grand événement qui a marqué leurs vies mais aussi l'histoire de notre pays ». Il estime que le combat des moudjahidine doit être écrit et inscrit en lettres de « sang » pour « que nul n'oublie ». Un vœu de jeunes.