Le 11 décembre n'est pas une journée comme les autres. Elle n'est pas un simple jour à cocher sur le calendrier. Elle rappelle aux Algériens, qui ont vécu ce jour de 1960 à Alger, et ceux avides de connaitre leur histoire, des événements mémorables qui influèrent sur le destin de leur pays. Les grandioses manifestations que connurent ce jour-là les quartiers populaires d'Alger comme Clos-Salembier ou Belcourt avec les 96 tués et les centaines de blessés ont montré avec éclat que la formule « la révolution par le peuple et pour le peuple » n'était pas un simple slogan. Quatre années après que la soldatesque des Massu et Bigeard eut commis dans la capitale tout ce que réprouve la morale et les valeurs d'une République, les Algériens ont prouvé que rien ne pouvait contrarier leur volonté de vivre libres et indépendants. Les clameurs qui résonnèrent dans les ruelles d'Alger alors que de Gaulle était en visite en Algérie, à la veille du référendum de janvier 1961 visant à faire approuver sa nouvelle politique, étaient un message sans équivoque. Ce que les historiens qualifièrent de Dien Bien Phu politique constitua un appoint psychologique de taille pour les dirigeants du GPRA engagés dans un processus de négociations avec la France. Ni les supplices de la torture à grande échelle, ni les déportations des populations, ni les opérations militaires des généraux ne sont venus à bout du rêve d'indépendance. Ce jour-là, les masses, un mot qui n'était pas galvaudé, firent irruption sur la scène de l'histoire signifiant que celle-ci a rendu son verdict, qu'il n'avait plus à être reporté ou différé. Daho Djerbal, professeur d'histoire à l'université de Bouzaréah, dans un article sur la signification de ces événements, note que « le peuple algérien avait confusément compris qu'il lui revenait de sortir et de s'exprimer. Il entrait ainsi brutalement dans la scène politique en tant que sujet et acteur de son propre destin ». Les prémices de la fin En décembre 1961, la France n'avait plus affaire seulement aux Algériens. De Gaulle était confronté aux ultras de l'Algérie française qui, depuis le début de la révolution et bien avant, s'imposaient à Paris, sabordant toute tentative de réforme du statut infra humain des musulmans ou imposant les hommes à la solde des ultras. Par l'affaire des barricades en janvier 1960 et par la tentative, plus grave, de sédition des généraux en avril 1961. L'un d'eux, Salan, sera un des fondateurs de la sinistre OAS en avril 1961. L'ampleur et l'écho des manifestations populaires du 11 décembre rappelèrent l'enjeu de la révolution qui était la fin du système colonial. Rien d'autre. Le monde entier se rendit compte que toutes les tentatives de substituer au FLN une autre organisation, à tout le moins d'associer une autre, étaient vouées à l'échec et enterrées. « A partir de décembre 1960, écrit à juste titre l'historien Hartmut Elsenhans, la solution du problème algérien ne peut plus être obtenue que par la négociation d'égal à égal sur la base du repli de la France. » Il paraitrait sans doute à une jeunesse qui connaît un autre contexte, vit et rêve différemment que la célébration des dates historiques est un rituel convenu et sans imagination. Elle ne devrait pas pourtant méconnaître l'importance des référents historiques pour toute nation. Cette sentence de Rédha Malek, vieille de plus d'un demi-siècle, est à méditer : « Tout peuple sort de l'histoire en devenant étranger à la sienne ».