Le président tunisien Habib Bourguiba félicite le président du GPRA, Ferhat Abbas et la délégation algérienne qui a participé aux négociations d'Evian Il y a cinquante ans était signée à Evian-les-Bains (Haute-Savoie, France) la «Déclaration générale sur l'Algérie» connue sous le nom d'«Accord d'Evian» Le processus de pourparlers a été en fait très long et tortueux avec plusieurs va-et-vient entre les deux parties avant que s'enclenchent réellement les négociations proprement dites qui aboutiront à la fin des combats en Algérie. Mais avant de suivre les différentes étapes de ce processus, rappelons brièvement la situation à la veille du 1er Novembre 1954 et le jour d'après. En fait, l'insurrection générale du peuple algérien, le 1er Novembre 1954, avait pris au dépourvu le gouvernement français qui n'estimait pas cette chose possible. Pourtant, des officiers des services de renseignements français, qui semblaient détenir des informations en ce sens, suspectant qu'il se «préparait quelque chose», ont averti les autorités de Paris qui ont été sceptiques à l'instar du président du Conseil du gouvernement, Pierre Mendès France, ou le ministre de l'Intérieur, François Mitterrand. Ainsi, le 29 octobre 1954, le directeur de la Sûreté française, Jean Vaujour, convoque à Constantine les responsables civils et militaires des «trois départements» d'Algérie pour les informer et les mettre en garde contre ce qui, selon lui, se préparerait. Si Paris a été perplexe quant aux informations sur des «troubles» qui s'organiseraient en Algérie, le gouverneur d'Algérie, Roger Léonard, a néanmoins obtenu que soit mise en alerte la 25e division Diap qui pourrait gagner l'Algérie en quelques heures, et nomma Paul Cherrière au commandement en chef des troupes en Algérie. 58.000 hommes sont mis à la disposition de Cherrière. Comparativement, les moyens, qui étaient ceux des premiers djounoud formant l'embryon de l'Armée de libération nationale (ALN), étaient très limités: 800 hommes, 400 armes individuelles, des bombes artisanales. Donc, la nuit du dimanche 31 Octobre, commence ce que les historiens qualifieront plus tard la «Toussaint Rouge». La Guerre d'Algérie, que la France mettra 45 ans à reconnaître comme telle (discours du président Jacques Chirac de 1999, lors de son premier mandat), venait de commencer. Elle durera près de huit ans avant que l'Algérie ne recouvre sa souveraineté. Un long processus de pourparlers La Guerre d'Algérie, que la France persiste à qualifier «d'événements» d'Algérie, entrait dans sa deuxième année lorsqu'un premier contact est établi entre le Front de libération nationale (FLN) et le gouvernement français. C'est ainsi qu'auront lieu des discussions secrètes à Belgrade (Yougoslavie), lesquelles s'achèvent le 22 septembre 1956, sans résultat probant. Ce sera la seule fois où des représentants de la France et du FLN vont prendre langue. De fait, le fossé est trop large et que sans doute, il était encore trop tôt pour parler sérieusement de la fin de la guerre quand la France entendait surtout «pacifier» le pays en faisant quelques concessions de forme. On se quitta donc à Belgrade sans que ne soient prévus d'autres rendez-vous. Pendant ce temps, la guerre gagnait en intensité et faisait rage en Algérie où la répression des forces françaises est terrible, occasionnant des centaines de victimes parmi la population civile. Il faut cependant attendre le retour du général de Gaulle au pouvoir pour qu'il y ait une certaine ouverture de la part du gouvernement français. En effet, à partir de 1960 plusieurs rencontres auront lieu (Melun, juin 1960; Lucerne, février 1961; Neuchâtel, mars; Les Rousses, décembre 1961 et février 1962) qui oscillent entre discussions et pourparlers avant d'évoluer vers de véritables négociations en mars 1962. Il fallut donc attendre le retour de De Gaulle au pouvoir pour que les choses commencent à bouger et qu'une porte s'entrouvre vers une paix négociée. De fait, le rappel de De Gaulle avait pour seul objectif de garder l'Algérie. C'est dans ce sens que, début mai 1958, alors que la guerre prenait racine, la France devenant elle-même un terrain de bataille, fut organisé le «complot» pour le retour du général, tant par des gaullistes de France conduits par Jacques Chaban-Delmas, que par les ultras de «l'Algérie française» en Algérie. A Alger c'est la grande confusion, le 10 mai, le ministre-résident, Robert Lacoste, quitte l'Algérie: le pouvoir civil n'a plus de représentant à Alger. Après le bombardement meurtrier par l'aviation française du village tunisien de Sakiet Sidi Youcef, Robert Lacoste avait alors publiquement mis en garde contre le danger d'un «Diên Biên Phû diplomatique». Ce départ d'Alger semblait alors, un rappel du ministre-résident qui s'inquiétait de la tournure que prenaient les événements. Il n'en reste pas moins que le 13 mai 1958, Charles de Gaulle est rappelé aux «affaires» pour sauver «l'Algérie française». Les Français d'Algérie lui font fête à Alger. A Alger, il prononcera son fameux «Je vous ai compris». Qui, De Gaulle, avait-il compris? Les Algériens qui revendiquent l'indépendance? Ou les colons qui veulent conserver leur domination sur le pays? De Gaulle niera toujours avoir donné son aval à une telle entreprise (son retour au pouvoir qu'il accepta néanmoins). Il n'en reste pas moins que le général de Gaulle se trouve très à l'aise dans son nouveau costume de chef d'Etat. D'ailleurs, parallèlement à ses efforts pour trouver une solution à la guerre en Algérie, De Gaulle va donner à la France une nouvelle Constitution fondatrice de la Ve République. Dès lors, il aura les coudées franches, pour agir à sa guise et mener les choses dans «l'intérêt bien compris» de la France. En effet, dès le 27 mai 1958, quelques jours après son rappel, le général de Gaulle se démarque des nombreuses velléités putschistes de certains militaires français et publie un communiqué qui jette de l'huile sur le feu: «J'ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un gouvernement républicain», qualifiant de «braillards d'Alger» les putschistes du 13 mai. Par petites touches (3 octobre: proposition du plan de Constantine; offre de la «la paix des braves»; séparation des pouvoirs civil et militaire... tout en nommant un délégué général en la personne de Paul Delouvrier et remplaçant le général Salan par le général Challe). De Gaulle veut aller de l'avant et propose de nouveaux pourparlers au FLN. Le 20 novembre 1959, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra, qui a été constitué en septembre 1958) désigne Ahmed Ben Bella et ses compagnons de prison comme négociateurs. Refus de De Gaulle. On en restera là pour un moment. Toutefois, le mouvement semble enclenché puisque le 29 février 1960, le président Ferhat Abbas propose dans une déclaration l'ouverture de négociations. Mais cette offre ne sera pas suivie d'effet. Entre-temps, en 1960, l'Assemblée générale de l'ONU vote à une majorité écrasante (63 oui, 8 abstentions et 27 contre) le droit à l'autodétermination pour le peuple algérien. Selon toute évidence, le nouveau chef de l'Etat français en prend compte qui finira par évoquer «l'Algérie algérienne» et parlera, enfin, d'autodétermination et d'Etat algérien. Aussi, De Gaulle fait-il un nouveau pas en avant en déclarant publiquement qu'il existait désormais d'autres voies que la victoire militaire pour mettre un terme à la guerre en Algérie, évoquant la sécession (indépendance), la francisation ou l'association. C'est la douche froide pour les partisans de «l'Algérie française». De Gaulle passe aux actes Le général de Gaulle voulant l'appui du peuple français dans sa démarche pour mettre un terme à la Guerre d'Algérie, organise le 8 janvier 1961 un référendum lors duquel les Français se prononcent à 75% pour l'autodétermination du peuple algérien. Un deuxième référendum est organisé un mois plus tard, le 8 février, intitulé «Pour la paix en Algérie, le «oui» obtient 56% en France et est rejeté en Algérie par les Français d'Algérie. Fort du soutien du peuple français, De Gaulle a désormais les mains libres pour organiser à sa convenance les négociations avec les Algériens. Le général de Gaulle passe aux actes et convie les Algériens à une conférence à Evian, non sans faire une dernière tentative de brouiller les cartes en invitant également le MNA de Messali Hadj aux discussions. Le FLN refuse sèchement de s'associer à cette mascarade. Le président français se le tient pour dit et revient à de plus justes proportions. C'est avec le FLN que la paix se fera ou ne se fera pas. Ainsi, le 20 mai 1961 s'ouvrent officiellement à Evian: les pourparlers avec le GPRA. Parallèlement, la France décrète une trêve des combats durant un mois. Toutefois, les négociations qui ont bien débuté, buteront rapidement sur le statut des Français d'Algérie et sur le Sahara (De Gaulle voulait séparer le Sahara - du pétrole venait d'être découvert - de l'Algérie). Néanmoins, malgré ces accrocs, des discussions se sont poursuivies de façon informelle. Le 24 juin 1961, les deux délégations se retrouvent de nouveau, cette fois, à Melun (dans la région parisienne). La délégation algérienne est conduite par Ahmed Boumendjel. Les négociations feront chou blanc, la France voulant des négociations qui soient progressives: cessez-le-feu; référendum d'autodétermination avant que ne soient abordés les autres volets (politique, militaire, économique...). Les représentants du FLN-GPRA ne l'entendaient pas ainsi, exigeant des négociations globales prenant en compte l'ensemble du dossier sans en excepter aucun point. Dans ces conditions, il était impossible de continuer. C'est le clash. Chacun reprend ses dossiers et regagne ses pénates. Tirant de premières conclusions de l'échec des négociations de Melun, De Gaulle se prononce alors pour le partage de l'Algérie et précise le 12 juillet son point de vue: un Etat algérien, un territoire pour y regrouper les Français d'Algérie, et conservation de la France du Sahara. La chose semblait donc entendue: la guerre va continuer, car il n'était pas question pour les Algériens que leur pays soit dépecé, c'est tout ou rien, et ce rien ce sera une guerre indéfinie d'autant plus que les combats touchaient désormais de plein fouet le territoire français lui-même. De Gaulle a-t-il fait le mauvais choix, sachant que ni le FLN ni le peuple algérien n'accepteront son plan de «paix»? Les deux parties qui ne se sont plus rencontrées depuis la fin en queue de poisson le 29 juin 1961 de la rencontre de Melun, se retrouvent de nouveau à Evian le 4 mars 1962. Cette fois, la bonne formule a été trouvée, puisque la négociation entre sans fioriture dans le vif du sujet en abordant tous les volets inhérents à la paix en Algérie, y compris le cas des Français d'Algérie, la question du Sud algérien (Sahara) n'étant pas négociable. C'est toute l'Algérie qui sera indépendante ou ne le sera pas. Les choses ainsi clarifiées, les discussions font rapidement des progrès laissant entrevoir l'espoir d'un aboutissement rapide. En Algérie, les attentats terroristes de l'OAS (Organisation armée secrète fondée par les généraux félons et les ultra de l' «Algérie française») font de nombreuses victimes parmi la population algérienne. Le 15 mars, un attentat est commis par cette organisation extrémiste contre plusieurs responsables de Centres sociaux à Alger, dont l'écrivain algérien Mouloud Feraoun. Mais cette recrudescence de la violence par les tenants de la colonisation n'arrêtera pas la marche de l'Histoire. Et l'Histoire allait en effet rapidement se prononcer par la conclusion d'un accord sur tous les points en négociation entre la France et le FLN-GPRA. La finalisation des négociations dites «Accord d'Evian» est officiellement annoncée le 18 mars 1962, par un discours radiotélévisé du général de Gaulle qui annonce dans le même temps le cessez-le-feu - qui entrera immédiatement en application dès la signature par les deux parties du document - et l'organisation d'un référendum en France concernant l'autodétermination de l'Algérie, suivie d'une seconde consultation au collège unique, en Algérie même. Le 19 mars 1962 à midi (12h00) le cessez-le-feu entre en vigueur, les opérations militaires et les actions armées sont stoppées sur l'ensemble du territoire algérien... De fait, la mise en oeuvre des accords de la veille entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement provisoire de la République algérienne prenait effet le 19 mars. La Guerre d'Algérie, qui venait de prendre fin, avait duré près de huit années. Pour la petite histoire, notons que le chef de la délégation algérienne, Krim Belkacem, a signé les 93 feuillets de la «Déclaration d'Evian» alors que son homologue français, Louis Joxe, n'a apposé sa signature que sur la dernière et 93e page. Délégationdu FLN-GPRA · Krim Belkacem · Saâd Dahlab · Benmostefa Benaouda dit Si Amar · Lakhdar Bentobal · Taïeb Boulahrouf · Mohammed Seddik Benyahia · Seghir Mostefaï · Redha Malek · M'hamed Yazid · Ahmed Boumendjel · Ahmed Francis Délégation française · Louis Joxe · Bernard Tricot · Roland Cadet · Yves Roland-Billecart · Claude Chayet · Bruno de Leusse · Vincent Labouret · Jean Simon (général) · Hubert de Seguins Pazzis (lieutenant-colonel) · Robert Buron · Jean de Broglie