Le soulèvement populaire du 11 Décembre 1960, né d'une farouche volonté d'arracher l'Indépendance, a fait basculer le cours de l'Histoire en prenant de vitesse les stratèges de l'Elysée quant au modèle de paix à accorder aux Algériens. La rue s'est fait le forum d'une revendication irrévocable. Après la tentative de « la paix des braves », ou encore la troisième voix, les rues, de Aïn Témouchent à Alger, furent porteuses de la spontanéité d'un combat final pour la souveraineté de l'Algérie. Les quarante-huit heures de braise lancées à l'adresse du général de Gaulle en tournée des popotes dans l'Oranie, avaient déclenché l'inévitable face-à-face entre l'Algérie algérienne et l'Algérie française des ultras. La question algérienne en débat à l'ONU incita les tenants de la 5e République à opter pour des politiques de substitution afin d'arriver au schéma fatal face à la volonté populaire. Le général de Gaulle se pliant devant le plébiscite de la rue algérienne, eut à se prononcer sur le choix algérien. Le soulèvement de Décembre a, dans son essence, incarné cent trente ans de lutte que l'administration coloniale avait à chaque fois repoussé avec une extrême violence. Ce grand chapitre de la lutte nationale est à même de situer la Révolution dans son véritable contexte, celui de la victoire du peuple algérien dont l'omniprésence lui a valu en ce mois de décembre d'être le catalyseur de l'Indépendance. Les enfants de la fronde Avoir treize printemps, le 11 décembre 1960, c'est passer à la maturité sous la mitraille. Un baptême du feu qui met son auteur à l'avant-garde du combat. Cette génération spontanée, née entre les deux guerres, s'est manifestée sur le terrain avec une charge patriotique développée à même la rue par les brimades, l'exclusion et les privations. La caissette du cireur, cette boîte de Pandore où s'entremêlent les « accessoires explosifs » n'est-elle pas l'exemple vivant d'une révolte contre la torture et le crime ? C'est dans cette fresque qu'ont surgi les enfants de la tourmente, ces révoltés de l'école indigène à qui on remettait avec fausse pudeur un ticket pour une miche de pain à la cantine. L'Histoire retiendra enfin que cette frange de la population a payé le prix de la grogne face au colonisateur. Ces enfants se sentaient affranchis d'une puberté précoce. Dans la brume de cette journée historique, les premières lignes étaient pratiquement occupées par les « ados » à visage découvert, au-devant de leurs aînés, dont certains masquaient le visage de peur d'être identifiés par les agents du capitaine Bernard de la SAU de Belcourt. Cet arrêt sur image situe la phase première des manifestations. Devant le monoprix de Belcourt, le premier martyr n'avait que douze ans : Saliha Ouatiki. On ne saurait dissocier cette image symbolique, porteuse de signes avant-coureurs d'un peuple en révolte avec toutes ses composantes. L'incendie du Monoprix de Belcourt en cette fin d'après-midi du 10 décembre portait les traces juvéniles d'écoliers ayant rejoint la grande contestation à la sortie d'école. Le champignon de fumée émanant des dépôts du grand magasin présageait déjà le dernier quart d'heure des ultras. Alger à feu et à sang : en deux jours et deux nuits, la jeunesse algérienne s'est transformée en un véritable torrent effaçant au passage tous les stigmates de la peur et de l'humiliation. Jamais le mot « Algérienne musulmane » n'avait autant retenti tranchant avec les concepts galvaudés « Algérie algérienne à connotation gaulliste ». La maturité populaire était de mise. On savait dès lors séparer le bon grain de l'ivraie. Des milliers d'adolescents troquant leurs cartables pour une ultime empoignade contre les ultras sonnaient le glas du colonialisme.