C'est en cette période que naquit le célèbre poète Abdellah Ben Kerriou dont Amèle El Mahdi nous rapporte la vie et les amours malheureuses pour Fatna Zaanounia. L'auteur du roman, inspirée, touchée par le sort des deux amants sahariens, rapporte avec force détails et anecdotes ce qui est devenu la légende de l'aède et la fille du notable de la ville. Nullement native de cette partie du sud algérien, elle s'est appropriée en quelque sorte l'histoire du couple « Abdellah - Fatna » en adoptant ce qui est devenu l'amour mythique chez les Laghouatis et qui se raconte dans les chaumières. Abdellah Ben Kerriou , élève studieux et intelligent , devient un étudiant modèle en juridiction islamique, tout en se plongeant dans l'univers de la science et celui du lyrisme. Il va de soi que les gens du Sud, menant une vie proche du chant des dunes et de celui des étendues vierges à l'orée du désert, pétris par la parole vagabonde des gouals et des poèmes épiques anciens, soient empreints de poésie et de belle écriture. Il en est ainsi de Abdellah. C'est aux années d'école coranique qu'il vint à aimer son amie d'enfance. Deux mondes les séparent. Lui est issu du peuple, elle évolue dans un environnement plus aisé. Ils viennent à s'aimer. Les sentiments qui les lient vont devoir affronter les tabous si prisés par une population traditionaliste et un père, celui de la jeune fille, imbu de ses prérogatives de bachagha. A l'image de Qays et Leila, de Tristan et Iseult, Abdellah et Fatna sont entrés dans la légende de Laghouat. Un amour impossible qui grandira par une correspondance assidue entre les deux jeunes gens, des poèmes dédiés à l'amie, des rencontres furtives et une passion inassouvie. La main de l'aimée sera refusée à plusieurs reprises par le père de Fatna, au grand désespoir du couple. Et comme par sadisme, en cette terre pétrie par le souffle de la remarquable parole et belle musique bédouine, l'union des jeunes gens sera anéantie par le mariage de Fatna avec un cousin. Abdellah connaîtra le sort des amants errants. Déchiré dans sa chair, séparé de ce qu'il a de plus précieux au monde, il voit sa vie ravagée. Fatna divorcera une première fois, on la remariera à un autre homme qui par un comportement brutal la conduira au cimetière. Désespérée, elle se laissera mourir après être restée en contact avec son amant des années durant. « Fatna s'éteignit au début de l'an 1913 dans la plaine silencieuse de Aïn Madhi. Elle emporta deux cœurs dans sa tombe le sien et celui de Abdellah Ben Kerriou. » Le poète eut trois unions malheureuses, en désespoir de cause, il épousa sa cousine. Malgré cela, il resta fidèle à ses premières et grandes amours. Il mourra de maladie à l'âge de 50 ans en 1921, huit ans après Fatna. « Exilé, emprisonné, calomnié mais surtout séparé de l'être aimé... tant d'injustices. son nom sera associé à ceux des grands poètes du Maghreb. » L. Nekechtali La belle et le poète, Amèle El Mahdi. Editions Casbah Né en 1871 à Laghouat, Abdellah Ben Kerriou fait partie des grands bardes populaires du XIXe siècle. Il rejoint avec son poème « Gamr Ellil », le célèbre Ben Guittoun, auteur d'une autre légende saharienne « Hyzia ». Outre ses études en sciences juridiques et islamiques, il acquiert des connaissances en astronomie, en astrologie et en alchimie. Pour avoir chanté son amour, il sera exilé de Laghouat. Sa poésie amoureuse reprise par des adeptes franchira les frontières du Sud et bien au-delà. « Gamr elleil khouatri tetouannas bih, fih awssaf yardhahoum bali...... » « La présence de l'astre de la nuit me réconforte, il restitue les traits d'un visage qui apaise mon âme. » O compagnons, mon amie lui ressemble. Le bonheur que j'ai à le contempler adoucit mes veillées. Je passe des nuits entières à suivre son voyage dans les cieux et ne m'en détache qu'au dernier appel à la prière de l'aube. J'appréhende que quelque nuage ne vienne à le voiler, mon âme s'attriste lorsque sa clarté disparaît. »