Le chercheur Mecherbet Ali de l'université de Tlemcen a tiré la sonnette d'alarme sur la violence à l'école suite à une étude réalisée dans cette wilaya. Selon lui, « la violence scolaire renvoie à une réalité sociale faite d'une multitude de comportements et d'actes hétérogènes allant du simple chahut en classe jusqu'aux coups et blessures par armes blanches en passant par les insultes, les grossièretés et toutes les formes d'irrespect d'autrui ». Le chercheur n'a pas manqué dès lors de se poser la question de savoir à quelle norme devra-t-il se référer : est-ce à la norme administrative de l'institution scolaire représentée par les règlements et l'ordre en vigueur, ou au vécu des personnes ou plutôt aux valeurs morales ? Pour des raisons d'efficacité et d'économie, a-t-il précisé, on a opté de retenir comme cas de violence les actes et les comportements traités par les conseils de discipline. « En plus de la somme d'informations systématiques sur les actes de violence scolaire, les procès-verbaux nous ont permis de cerner l'importance du phénomène dans la vie des établissements scolaires, la variété des actes de violence ainsi que le traitement qui leur est réservé par ces conseils », dira-t-il, en ajoutant : « Ce qui n'est pas un mince bénéfice par rapport au recours à l'enquête qui devra employer beaucoup de moyens humains et matériels dont nous ne disposons pas. Nous avons conscience par ailleurs que le travail sur les archives nous empêche d'avoir accès aux interprétations des acteurs relatives à la violence et principalement celles des élèves qui, dans la quasi-totalité des cas de conseils de discipline, sont présentés comme « fauteurs » et dont le point de vue n'est jamais pris en compte par l'institution scolaire. Les archives nous offrent cependant la possibilité de disposer de la version écrite des « victimes » qui, le plus souvent, appartiennent à la catégorie des enseignants ». La seconde difficulté, selon le chercheur, a trait à la pertinence (ou pas) de la violence scolaire. Faudra t-il, pour être pertinent, se focaliser sur la proportion du nombre des « élèves violents » par rapport à l'ensemble de la population scolaire ? Ou bien faudra-t-il considérer la violence scolaire comme une réalité psychosociale en prenant en considération comme indicateurs les impacts (comme le traumatisme psychologique et le désordre pédagogique) qu'elle produit sur les personnes, la classe et l'institution scolaire ? Le chercheur préconise deux perspectives pour déterminer la pertinence de la violence scolaire. La première réside, selon lui, dans le refus d'accorder de l'importance à la violence scolaire estimant que cette dernière est manipulée à dessein pour masquer « la violence » exercée par l'école sur les acteurs eux-mêmes et plus particulièrement sur les élèves. La deuxième perspective fait fi de tous les préalables et recommande de traiter cette question car elle est une réalité qui « bouscule des représentations sociales qui ont valeur fondatrice : celle de l'enfance, celle de l'école et celle de la société », précise M. Mecherbet Ali. « Nous retrouvons la même division autour du thème de la violence par rapport à la réalité algérienne à travers les attitudes favorables de certains enclins à donner à cette question une importance contre l'avis de tous ceux qui pensent que le « sinistre » de l'école algérienne se manifeste à travers l'échec scolaire massif, la rigidité des maîtres sur le plan pédagogique, la « médiocrité des programmes » et bien d'autres insuffisances. Les tenants de cette dernière thèse sont plus nombreux et pensent que les réflexions universitaires menées sur cette question ne sont que des effets « de mode et de mimétisme » de ce qui se fait dans le monde occidental. Cette réserve fortement justifiée ne dispense pas cependant de l'étayer et de la démontrer avec objectivité et pondération. Sans occulter ce débat, nous avons préféré formuler quelques questions susceptibles de nous aider à décrire, comprendre et expliquer par nos propres moyens cette réalité » indique le chercheur. Un monde de débâcles et de honte Les procès-verbaux de la discipline administrative de l'institution scolaire quel que soit son niveau, témoignent des cas de violences, puisque on décrit, selon le chercheur, l'acte qui incrimine l'élève en reprenant l'essentiel du rapport justifiant la tenue du conseil de discipline. Le plus souvent, le rapport émanant de la « victime » est adjoint au procès-verbal. Le chercheur a élaboré en aval une monographie de la violence scolaire en partant du postulat : quels sont les actes de violence commis et comment se répartissent-ils ? Et qui sont, parmi les élèves, les auteurs des actes de violence ? Les caractéristiques personnelles et le profil scolaire de ces personnes sont-ils en soi des causes explicatives, même en partie, de la violence scolaire ? Ces caractéristiques permettent-elles de dresser un « portrait robot » de l'élève violent ? Qui sont les victimes de la violence scolaire ? Quelles réponses les enseignants et l'institution scolaire apportent-ils à ce fait de la violence ?. « Nous avons procédé à l'inventaire des actes de violence décrits dans les procès-verbaux. Nous avons pu dresser une liste systématique de ces actes et comportements de violence et leur rangement catégoriel : insultes et grossièretés, chahut de l'enseignant et des camarades de classe, coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail, coups et blessures volontaires sans séquelles physiques (gifle donnée à quelqu'un, coups de pied etc.), bagarres et rixes, rébellion contre l'autorité de l'enseignant, exhibitionnisme, vol des biens et d'affaires d'autrui, jet de pétards en classe et dans la cour de l'établissement, jet de pierres contre autrui, menaces verbales et physiques, crachats contre autrui, détention de drogue et d'alcool, désobéissance, cigarettes, manque de respect etc. ».M. Mecherbet a expliqué que « la catégorisation des actes et des comportements de la violence scolaire permet de procéder à une description de la violence scolaire, et de faire ressortir les liens pouvant exister entre le phénomène en question et certaines variables telles que l'implantation des établissements, le profil scolaire des auteurs de violence, donnant comme exemple les vols, la détention de drogue et d'alcool qui expriment une situation de déviance sociale mais qui restent limités. C'est le cas aussi du comportement exhibitionniste qui préfigure d'une probable forme de perversion psychologique ». L'école n'offre pas l'opportunité à l'élève de s'exprimer À Tlemcen, les établissements scolaires, selon l'étude, font l'objet d'une perception qui les classe en bons ou mauvais établissements, surtout au début de l'année scolaire. Nombreux sont les parents qui cherchent à inscrire leurs enfants dans des établissements ayant bonne réputation. Nombreux sont aussi ceux cherchant à éviter à leurs enfants les lycées jugés des lieux de violence. Cette perception fait, souvent, des lycées d'enseignement technique des établissements où la violence, l'indiscipline et la déviance sociale sont fortement développées. « La mauvaise réputation faite aux lycées d'enseignement technique n'est pas fondée car les données nous révèlent que 41, 66% des actes de violence sont commis dans ces établissements contre 58.33% dans les lycées d'enseignement général. Nous pensons que cette réputation défavorable des lycées techniques tient à deux raisons. Il s'agit entre autres, de l'implantation d'un lycée technique à la périphérie d'un quartier pauvre et populaire qui fut un endroit important de la violence armée dans la ville de Tlemcen et qui fait croire à cette réputation. Aussi, la réputation de violence fortement collée à cet établissement a eu un effet structurant sur sa gestion. En effet, nous avons remarqué que le conseil de discipline de cet établissement a traduit et sanctionné seize élèves dans une même opération pour « l'exemple » selon les rapports dressés par deux enseignants. La réputation faite aux lycées techniques tient surtout au désintérêt porté à l'enseignement technique que beaucoup d'élèves et leurs parents considèrent non porteur de débouchés favorables ». Relatant les actes de violence, M. Mecherbet évoque les incivilités (insultes, grossièretés, manque de respect...) qui constituent la forme la plus répandue des actes violents. Cette catégorie est suivie de très près par les comportements expressifs du refus de l'ordre scolaire (désobéissance, démotivation pour le travail scolaire, rébellion contre l'autorité de l'établissement). Les violences physiques restent dans des proportions assez limitées, mais cela ne réduit pas pour autant l'effet traumatique qu'elles produisent sur les victimes. A partir de l'observation de terrain, (discussions avec les élèves et les responsables) il semble très plausible que les incivilités et les comportements de refus de l'ordre scolaire soient liés. L'étude précise que l'organisation des établissements scolaires ainsi que le rapport des enseignants aux élèves sont déterminés par le souci de faire valoir la norme scolaire au détriment des élèves. Il apparaît clairement que l'institution ne tient pas compte de la « mentalité de la génération d'aujourd'hui » et ne lui offre pas l'opportunité de s'exprimer. L'institution ne fait pas d'efforts pour s'adapter aux attentes et représentations de ses usagers. La violence scolaire touche tous les acteurs des établissements (enseignants, élèves et personnel administratif et de sécurité) dans des proportions inégales. Les actes de violence se produisent le plus souvent en classe et dans certaines matières. « On voit que la violence affecte les enseignants des matières littéraires qui, dans la représentation collective des élèves, sont négativement perçues. Nous avons relevé que les matières les plus touchées sont la langue française et l'anglais. La raison de cette attitude est la répulsion vis-à-vis de ces matières provoquée par des années de monolinguisme et l'indigence de l'enseignement des matières littéraires le plus souvent considérées comme du baratin et il est intéressant de vérifier cette hypothèse. » Abordant le traitement de la violence, le chercheur a révélé que les sanctions prononcées à l'issue des délibérations des conseils nous renseignent parfaitement sur la réponse apportée par l'institution vis à vis de ces phénomènes. Elle est administrative et répressive. Les sanctions prononcées s'appuient sur l'arrêté ministériel du 02 mars 1991. Trois sanctions sont généralement prononcées. Il s'agit de l'exclusion définitive de l'élève, de son exclusion temporaire ou sa réorientation vers un autre établissement. Nul ne peut nier cependant que la violence est devenue un sujet d'actualité. Quel remède ? Quelles solutions ?