Tout le monde a remarqué que dans certains domaines de commerce, tels les compagnies aériennes et l'hôtellerie, la « tarification dynamique » ou le « yeld marketing » est monnaie courante y compris auprès de la compagnie nationale Air Algérie qui pratique plusieurs formules de prix pour des places, sur le même vol, en fonction de données liées à l'offre disponible sur le marché et de la demande. Cette technique, qui existe depuis une trentaine d'années, explique que l'on puisse trouver des dizaines de prix différents sur un même vol. A l'origine, elle consistait à améliorer la rentabilité de la compagnie en fonction du remplissage de l'avion : en l'occurrence plus la cabine se remplit, plus les prix montent. Mais avec le temps, la pratique s'est perfectionnée. Les yield managers sont devenus de véritables analystes du marché de la destination — ils connaissent par cœur tous les facteurs qui peuvent faire évoluer la demande — pour émettre des catégories de prix toujours plus fines en un minimum de temps. Aujourd'hui, leur profil est très recherché notamment par les tour-opérateurs, loueurs de voitures, entreprises de fret, ou encore croisiéristes et sociétés de ferrys... Avec Internet, l'explosion des sites de e-commerce, et la possibilité de stocker les données à l'infini, la personnalisation des prix est devenue chose courante sur les sites de e-commerce. Ce qui ne va pas sans poser certaines questions. Il est en effet de moins en moins sûr que cette pratique n'obéisse qu'aux seuls critères markéting. « Nous nous croyions très savants en écrivant, hier, que si les prix des billets de train ou d'avion augmentent d'une minute à l'autre, ce n'est ni l'effet de la magie noire ni celui des mauvaises ondes, mais celui du « yield management ». Un très grand nombre de lecteurs nous ont fait observer que c'est surtout celui du « IP tracking » (Ndlr : traçage de l'adresse IP de l'internaute) », peut-on lire sur un blog du quotidien français Le Monde sosconso.blog.lemonde.fr, consacré à ce phénomène qui inquiète l'opinion et les politiques dont la technique, explique l'article du blog. « Son principe est simple : quand vous faites une recherche de billets, l'opérateur enregistre cette recherche et l'associe à l'adresse IP du terminal que vous utilisez (ordinateur, smartphone, etc.). Il vous propose alors un prix « p » qui correspond au modèle de yield management habituel. Si vous réalisez la transaction, vous payez ce prix « p », fin de l'histoire. Mais si vous n'achetez pas immédiatement, et que vous réessayez un peu plus tard, l'opérateur a gardé en mémoire que vous aviez manifesté un intérêt pour ce trajet, et il vous propose alors un prix un peu supérieur « p+e ». L'objectif est donc clair, il s'agit de provoquer la vente en donnant au consommateur l'impression qu'il doit acheter au plus vite, au risque sinon de voir le prix poursuivre son ascension. » Il y a quelques jours une équipe de reporters du Wall Street Journal a cherché à comprendre comment les prix des produits d'un magasin en ligne, en l'occurrence la Staples, un site de fournitures de bureau américain, changeaient selon les internautes connectés. Parmi les facteurs qui vont faire varier le prix du produit que vous consultez, le revenu moyen de la zone d'habitation semble également entrer en ligne de compte. « Au final, la différence sur le prix d'un article peut atteindre 10 %, ce qui n'est pas bien grave sur une agrafeuse à 14 dollars, mais peut-être plus conséquent sur un produit plus cher », soulignent les reporters. D'après eux, plusieurs paramètres entrent en compte pour déterminer le prix d'un produit. La localisation attribuée à l'adresse IP de connexion, mais également la distance la séparant d'un magasin physique d'un concurrent. D'autres facteurs vont faire varier le prix du produit consulté selon le revenu moyen de la zone où se situe l'adresse IP. En fait, le site de produits de bureau modifie dynamiquement ses prix en fonction de la géolocalisation de l'acheteur. « Si celui-ci habite à proximité d'un magasin des marques Officemax ou Office Depot, concurrents de Staples, il bénéficiera des tarifs les plus compétitifs. S'il est isolé, les prix affichés seront les plus élevés », note le journal. Des prix qui augmentent de 10 % en moins d'une minute et qui peuvent varier en fonction de l'endroit où se situe le terminal de connexion, c'est l'effet de la tarification dynamique (dynamic pricing) qui permet de faire évoluer les prix en fonction de la demande. Il suffit de se renseigner auprès de voyageurs d'un même vol d'une compagnie aérienne pour s'apercevoir qu'ils ont acheté le même billet, mais pas au même prix. Le concept du prix algorithmique consiste à faire varier le prix d'un produit en fonction d'algorithmes et de données plus ou moins sophistiquées, pouvant se baser sur une grande liste de critères, allant de la demande en temps réel à la disponibilité, en passant par la concurrence entre les produits, l'actualité, et bien sûr les caractéristiques de l'acheteur (sa situation sociale, son âge, sa localisation, le système technique qu'il utilise pour se connecter, sa fidélité...). Les vendeurs des places de marchés d'Amazon utilisent souvent des logiciels et algorithmes pour fixer les prix des ouvrages d'occasion qu'ils vendent. En fait, ces guerres de prix complètement automatisées sont facilitées par le fait qu'il existe de nombreux logiciels sur le marché permettant d'adapter le prix de son produit à la demande. Mais il n'y a pas que les vendeurs des places de marché d'Amazon qui utilisent ces outils. Amazon utilise lui-même de nombreux algorithmes. Celui qui gère les recommandations de titre (en fonction des critiques et des achats), celui qui gère les classements des ventes et également des algorithmes pour faire varier le prix des produits qu'il propose. Mais on ne sait pas grand-chose de ces derniers et de leur fonctionnement. Ils sont considérés comme les plus précieux secrets des sites de vente en ligne. Les associations de protection des consommateurs tirent la sonnette d'alarme car à mesure que les techniques d'analyse se démocratisent, la tarification algorithmique ne va pas cesser de se répandre. Les données personnelles recueillies sur l'internaute ne seront finalement qu'un « champ d'entrée entre d'autres données, et c'est ce croisement avec d'autres corrélations qui leur donne une valeur pour celui qui les exploite », s'indigne un blogueur qui ajoute que « votre code postal n'a de valeur que parce qu'il est augmenté de données sur les revenus moyens des communes qu'il recouvre et d'un classement entre toutes ces communes ». Face aux nouveaux outils dont se dotent les sites d'e-commerce, les clients devraient être mieux armés, en sachant d'abord comment sont utilisées ces données et, pas seulement y avoir accès, et aussi quels critères font varier la tarification dynamique dont ils font l'objet. Car en fait, les données de l'internaute ne sont qu'un élément de l'algorithme qui se met en place autour d'elles. Le problème n'est pas tant la récolte des données que l'utilisation qui va en être faite. Françoise Castex, eurodéputée affiliée au groupe Socialistes et Démocrates, veut avoir le cœur net avec cette pratique et vient donc, selon le quotidien Le Monde, d'adresser une question écrite prioritaire à trois commissaires européens afin qu'ils s'assurent de la légalité de ces pratiques dans l'Union. D'après elle, le problème n'est pas dans la technique du « yield management », c'est-à-dire l'ajustement du tarif du billet en fonction de la date de départ et du nombre de places disponibles. Elle s'attaque plutôt à l'IP tracking, ou traçage de l'adresse IP, lui-même qui semble plus lui poser problème. « D'une part, certaines offres encore valables ne s'affichent pas et, d'autre part, l'adresse IP de l'internaute est pistée sans son consentement. Or c'est une donnée personnelle. » Derrière ce phénomène, l'eurodéputée va un peu plus et dénonce une atteinte à l'égalité devant le réseau internet : « L'avantage d'internet est justement de donner accès aux mêmes tarifs à tout le monde. Avec la mise en place de l'IP Tracking, le milieu rural serait pénalisé sur le web ! » L'initiative de cette députée arrive au moment où des projets de texte concernant la protection des données personnelles sont actuellement discutés au parlement et au Conseil européens. Les règles valables dans l'Union, qui datent de 1995, sont considérées comme largement dépassées par les pratiques des géants du web et des médias sociaux, notamment dans la manière dont ils analysent le comportement des internautes. Dans les semaines à venir, écrit le quotidien français, « le parlement et le Conseil européens auront à choisir entre protéger les droits des consommateurs et susciter l'essor du big data sur le Vieux Continent. » A défaut de parades sérieuses pouvant assurer la protection de l'internaute dans le croisement de ses données personnelles, il reste comme le fait un journaliste du site d'information, ce logiciel qui nous permet d'observer le traçage publicitaire dont nous sommes l'objet, un logiciel qui nous permette demain de vérifier les prix d'un produit de n'importe quel site d'e-commerce depuis une autre IP que la nôtre ou d'autres caractéristiques d'utilisateurs afin d'échapper ou de mieux prendre conscience du ciblage publicitaire personnalisé dont nous sommes l'objet. Assurément, il y a certainement là de l'outillage de consommateur à imaginer ! »