L'équation est toute simple : pas de libertés arabes sans la libération de la Palestine soumise, 64 ans durant, au joug du « néo-apartheid » pratiquant à l'envi le chantage à l'holocauste pour soumettre la vieille Europe aux lubies colonialistes de « l'Etat juif » de la pureté raciale de triste mémoire. La centralité de la question palestinienne, reléguée à l'arrière-plan des « printemps arabes » des temps impériaux, revient dans l'agenda mondial pour tenter l'ultime sauvetage du processus de paix voué à une impasse chaotique. Des puissances occidentales, plus particulièrement la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, se déclarent convaincues que le temps est venu pour donner sa chance à une action politique concertée, conçue sous forme d'un plan de paix qui serait soumis aux Américains et, plus tard, aux Nations unies. Une tendance rédemptrice des valeurs universelles sacrifiées sur l'autel des intérêts stratégiques du monde occidental repu d'égocentrisme ? Face au chaudron palestinien, davantage exacerbé par le monumental ratage du premier mandat, Obama de retour au Proche-Orient est fermement attendu sur la question incontournable de la « solution des deux Etats » compromise par la colonisation tous azimuts étendue aux territoires palestiniens promis aux « Juifs uniquement », selon la nouvelle doctrine de l'épuration ethnique prônée par Netanyahu et consorts. Saura-t-il, à l'orée de son second mandat, rattraper le temps perdu et réparer l'erreur qui a valu une remise en cause totale des engagements de paix et la reconnaissance du caractère illégal des « colonies juives » implantées en toute impunité en Cisjordanie et à El Qods annexé ? Saura-t-il donner aux idéaux de liberté et de dignité humaine leur universalité dont la Palestine est l'expression la plus tangible ? Faute de belles espérances d'un printemps qu'elle ne voit pas naître dans la Palestine de toutes les injustices, la poudrière risque à tout moment d'éclater et d'ébranler les bases d'une solution consensuelle, définitive et juste du conflit israélo-palestinien. La colère palestinienne monte et fragilise davantage le vieux combattant, Mahmoud Abbas, qui bien que tout auréolé de la consécration onusienne, n'en est pas moins menacé d'un « printemps palestinien ». C'est que la composante majoritaire de la société palestinienne qui se recrute dans la jeunesse aux abois a grandi à l'ombre de la mystification des accords d'Oslo dont elle ne perçoit guère les retombées. Il ne s'agit pas plus de privations de toutes sortes et des conditions de vie inhumaines dans le ghetto palestinien que des promesses de paix et de liberté trahies. Rien n'a fondamentalement changé pour le président de l'Autorité palestinienne, brandissant la menace de la dissolution en ultime recours au diktat israélien. « Plus rien à perdre », se disent les Palestiniens tentés par le retour à « l'intifada pacifique ». Une menace prise au sérieux, Netanyahu décidant le transfert des taxes dues aux Palestiniens pour le mois de décembre dernier, afin de tenter d'endiguer la montée des violences. Mais les craquements de la « 3e Intifada » se font entendre. Les ingrédients sont là : une situation économique catastrophique, un Etat vivant de l'aide étrangère qui se fait de plus en plus désirer, les multiples violations des droits de l'Homme, allant des humiliations racistes de colons extrémistes, aux brimades des militaires, aux incarcérations extra-judiciaires devenues une norme majeure et la généralisation du recours à la torture. La rue bouillonne. « Les Palestiniens baignent dans la frustration », soutient le professeur en études arabes contemporaines à l'université de Beir Zeit (Cisjordanie), Ghassan Khatib, pour qui « les 19-29 ans subissent de plein fouet la hausse du chômage » en victimes expiatoires du système colonial discriminatoire, usant de représailles à l'initiative « unilatérale » d'admission à l'Onu pour couper les vivres nécessaires à la survie. Une lutte pour la survie qui renvoie à l'indifférence des siens, peinant à honorer le versement des cotisations, et au refus du Congrès américain, à majorité républicaine, de débloquer les 500 millions d'euros dûment promis. La Cisjordanie brûle du feu sacré de l'Intifada revisitée. Elle est en ébullition dans un déchaînement de manifestations tout près des barrages militaires de Beituniya (Ramallah), Hawara (Naplouse), Qalandiya (Jérusalem), Al-Jalamah (Jenine), Bethléem et près du camp des réfugiés d'Al-Arroub, relève un rapport de l'OCHA (bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires dans les territoires palestiniens occupés). En une semaine d'affrontements, près de 200 victimes palestiniennes ont été recensées. Les scènes qui rappellent les Intifadas de 1987 et de 2000 donnent à la contestation populaire une dimension humanitaire alimentée par la solidarité exprimée avec les 4700 prisonniers illégalement détenus et, de façon plus accentuée, avec le jeune militant du Fatah, Arafat Jaradat, arrêté, le 18 février, lors des affrontements près de la colonie de Kiryat Arba (sud de la Cisjordanie), et mort dans la prison de Meggido des suites de « tortures » — la torture physique est considérée comme une pratique légale dans les prisons israéliennes. Entre les appels à la vengeance lancés par les Brigades des Martyrs d'El Aqsa, la branche armée du Fatah, et les accusations de Mahmoud Abbas dénonçant la tentative israélienne de « créer le chaos » dans les territoires occupés, la rue palestinienne se déploie désormais dans une 3e Intifada qui a son martyr, le jeune Arafat Jaradat, dont le nom est scandé dans toutes les manifestations. Mais elle se revendique de l'état d'esprit des quatre Palestiniens (Samer Issaoui, Aymane Charawneh, Jaafar Azzedine et Tarik Qaadane) en « détention administrative », une pratique spécifique, héritée du mandat britannique qui permet à l'Etat hébreu d'incarcérer sans inculpation ni jugement un suspect pour une période de 6 mois renouvelable, indéfiniment. La crise des « détenus palestiniens », en grève de la faim depuis plusieurs mois, a ravivé la flamme de la résistance de la nouvelle génération arborant le mot d'ordre évocateur : « Nés libres et nous le resterons ». Elle symbolise le refus de l'arbitraire et de tout compromis avec l'occupant, à l'image du résistant Samer Issaoui, libéré en 20011, dans le cadre de l'échange avec le soldat Gilad Shalit, de nouveau arrêté pour s'être déplacé de sa ville natale de Jérusalem en Cisjordanie où il devait rendre visite à un ami. « Cela n'a rien à voir avec des activités violentes », martèle le chercheur Ghassam Khatib. L'alibi sécuritaire sonne faux pour l'« Etat d'exception » qui, en vertu des violations flagrantes et massives des droits palestiniens, ne laisse plus aucune chance à une issue négociée. Le politologue Atef Abu Seif proclame l'immanence du « printemps palestinien » porté par un « engagement pour la cause de libération nationale. Il estime que « notre version du printemps arabe est la notion très importante de la résistance continue contre la puissance occupante... ». Le détenu gréviste, Samer Issaoui, rejetant la proposition israélienne de la libération en contrepartie de sa déportation à Gaza, porte haut l'étendard de la résistance de la nouvelle génération. « Si je meurs, c'est une victoire, si nous sommes libérés, c'est une victoire », écrit-il dans une lettre.