Le 15 mars dernier, un homme âgé de 34 ans a mis fin à ses jours en se jetant du haut du pont suspendu de Constantine, un drame qui, hélas, est passé presque inaperçu et dont ont fait état seulement quelques titres de la presse locale dans leurs rubriques faits divers. Quelques jours auparavant, un père de famille est resté cinq jours sur le ravin menaçant de se jeter 200 mètres plus bas. Il réclamait une assistance sociale à sa famille. Les ponts historiques et connus de la ville de Constantine (Sidi M'cid, Sidi Rached et la passerelle Mellah Slimane) sont aussi des lieux de prédilection pour beaucoup de suicidaires. Pas seulement pour les Constantinois, car beaucoup viennent d'autres wilayas. La ville enregistre en moyenne une trentaine de suicides par an, des chiffres alarmants et en nette augmentation par rapport au passé. Badreddine Aayat, jeune sociologue, estime que le phénomène du suicide a pris une dimension et une ampleur importantes dans notre pays ces dernières années, touchant toutes les classes sociales : « Il s'agit avant toute chose de comprendre ce qui motive les gens à vouloir mettre fin à leurs jours. Il y a bien évidemment plusieurs raisons : le chômage, la misère, le mal-vivre, mais surtout les conflits familiaux. Les suicidaires sont de plus en plus jeunes, et il y a aussi beaucoup de femmes. Ces gens sont le plus souvent dépressifs et se heurtent à l'incompréhension, voire à un rejet de l'entourage, à commencer par la famille. Il faut savoir que chacun de nous pense un jour au suicide. Les plus vulnérables sont généralement des personnes qui n'ont ni amis ni confidents et sont mal compris par leur entourage familial. L'isolement est le premier signal qu'une personne est tentée par le suicide. Malheureusement, en Algérie, la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychologiques est en deçà des attentes, beaucoup de familles considèrent que cette maladie est un sujet tabou. Et au lieu de chercher à comprendre ce qui arrive à leur enfant, frère ou sœur, ces familles croient le plus souvent que c'est une dépression passagère ou une affaire de « possession » par un djinn. On fait appel alors à un imam ou un charlatan et on ne consulte pas un psychologue ou un psychiatre. Il y a des signes qui ne trompent pas. Comme les suicidaires sont livrés à eux-mêmes, avant de passer à l'acte, ils fuguent ou renoncent à avoir le moindre contact avec les proches et le monde extérieur. Au final, il est déjà trop tard. » La population algérienne est-elle plus suicidaire par rapport au reste du monde ? A cette question, notre sociologue répond : « Les statistiques ne font pas de l'Algérie un pays classé au premier rang. La misère et les conditions sociales n'expliquent pas tout. Par exemple, au top ten du classement de l'OMS des nations ayant un taux de suicide important, on retrouve des pays comme le Japon ou la Corée du Sud. Certes, il n'y a pas lieu de s'alarmer, mais cela ne veut pas dire pour autant que les Algériens sont plus heureux que les Japonais. Chaque société est différente, en Asie on estime que la première cause du suicide, c'est le stress au travail, ça fait partie de leur culture. Chez nous, c'est, comme je l'ai dit, lié le plus souvent aux problèmes familiaux ou sociaux. Mais je pense que notre religion joue un rôle primordial pour dissuader les gens à mettre fin à leurs jours. Le suicide, dans le texte sacré, est un pêché capital ». Ce qui inquiète par contre notre sociologue, c'est la multiplication en Algérie des tentatives de suicide sous couvert de revendications sociales : « Depuis le suicide de Bouazizi en Tunisie qui a déclenché les printemps arabes, on assiste partout dans le monde arabe et en Algérie à des démonstrations de gens désespérés qui, pour arriver à leur fin, menacent de se suicider. Comme ce fut le cas début 2012 à Constantine lorsque des dizaines de familles ont occupé le pont suspendu durant trois jours menaçant de se jeter dans le vide. Cet attroupement relève du spectaculaire plus qu'autre chose. Ces familles réclamaient leur relogement, elles ont tenté d'attirer l'attention des autorités locales, des citoyens et de la presse. Ces actions interpellent chaque sociologue parce que ce phénomène est nouveau et peut mener à plusieurs formes de dérapage. »