Quand une personne met fin à ses jours, elle laisse rarement une lettre pour expliquer les raisons de son renoncement, parce qu'ici le rapport à la mort est très complexe, mais surtout parce qu'en Algérie le suicide est l'un des pires sujets tabous qui soit. Si lettre il y a, elle sera tue par les proches. Le suicide est un péché et pourtant on se suicide de plus en plus et même de manière de plus en plus spectaculaire. Quand une personne met fin à ses jours, elle laisse rarement une lettre pour expliquer les raisons de son renoncement, parce qu'ici le rapport à la mort est très complexe, mais surtout parce qu'en Algérie le suicide est l'un des pires sujets tabous qui soit. Si lettre il y a, elle sera tue par les proches. Le suicide est un péché et pourtant on se suicide de plus en plus et même de manière de plus en plus spectaculaire. Les comptes rendus de la presse sont alarmants et laissent entrevoir une tendance à la hausse. Pendaison, overdose de médicaments, défenestration, arme à feu et de plus en plus ces derniers temps : l'immolation par le feu. La prévalence nationale moyenne des suicides serait de 2 à 4 suicides pour 100.000 habitants. Un taux en deçà de la réalité, insignifiant au regard de la moyenne mondiale qui est d'environ 16/100.000. Un million de personnes se suicident chaque année. Un taux qui ira en augmentant puisqu'il est prévu, à travers le monde, un million et demi de décès par suicide en 2020. Les pays de l'Europe du Nord dépassent, pour leur majorité, la moyenne mondiale. Ceux de l'ancienne URSS sont les plus touchés par ce phénomène. Les taux les plus faibles se retrouvent en Espagne, Italie, Grèce avec des chiffres variant entre 6 et 13/100.000. Il en est de même pour les pays d'Amérique latine. Comme pour l'Algérie, nos voisins marocains et tunisiens n'ont pas de statistiques officielles. La prévalence dans ces pays serait également de 2 à 4 suicides pour 100.000 habitants. Mais qui pourrait le confirmer en l'absence de statistiques fiables ? Depuis le début de l'année 2011, la presse a fait état de dizaines de cas d'immolation par le feu dans des espaces publics. Plus de 200 cas, au total. Les statistiques du suicide en Algérie sont données au compte-goutte, ville par ville, mais de manière parcellaire. Aucun organisme officiel n'y travaille et les rares associations, sociologues et autres professionnels qui s'intéressent à la question se heurtent à l'absence de données chiffrées précises. L'épidémiologie du suicide en Algérie reste taboue. Pourquoi s'immole-t-on par le feu en Algérie ? Pour tout et pour rien. L'essentiel est de briller dans sa détresse, de donner son désespoir en spectacle, de dénoncer en se faisant encore plus mal, de se sentir exister au moins en mourant. Dès le début du mois de février 2011, à la suite des émeutes de janvier des cas d'immolation par le feu étaient signalés presque chaque jour. Des suicides du ras-le-bol, des suicides de contestation toujours opérés dans un espace public, de préférence à l'entrée d'un siège d'organisme d'Etat pour réclamer un emploi, un logement ou dénoncer une injustice de l'administration. Ne produisant aucun effet politique, ce recourt fréquent aux tentatives de suicide en public s'est estompé. Les algériens ont dû finir par comprendre qu'il n'y a vraiment pas moyen de faire de la contestation, même en s'immolant, face à des autorités sourdes et muettes. Il reste donc à se donner la mort silencieusement pour se délivrer de souffrances insupportables. Un père de famille, harcelé par ses enfants pour acheter le mouton pour l'Aïd El-Adha un certain 26 octobre 2012, se sentant impuissant à répondre aux besoins de se famille il a préféré mettre fin à ses jours. À Oum El-Bouaghi un homme a escaladé un pylône électrique pour se jeter dans le vide, il a été foudroyé. Autre cas, plus récent : une jeune femme de 23 ans, fraîchement mariée à Tlemcen, s'est immolée par le feu parce qu'elle ne supportait plus un mari imposé. Deux autres suicides ont eu lieu au cours de ces dernières semaines en l'espace de 48 heures seulement : une jeune fille de 21 ans s'est jetée, le 18 février, du cinquième étage d'un immeuble situé dans un quartier populaire, à la sortie est de la ville de Tiaret et un jeune homme de 27 ans s'est donné la mort le 23 février en escaladant un pylône électrique, avant de se jeter dans le vide. Le lendemain, dimanche, la police a réussi à empêcher un jeune homme de se jeter du haut d'un immeuble du côté de l'hôpital Mustapha-Bacha. Les raisons de ces suicides demeurent dans la plupart des cas mystérieuses. Cependant il ne faut pas être un génie pour comprendre que le cumul de problèmes ou le ras-le-bol sont des facteurs importants pouvant mener à franchir le pas. Du désir au passage à l'acte... Le docteur Boudarene, psychiatre et député, a publié sur son blog l'analyse suivante : « La naissance du désir de mourir, ou si vous voulez de l'idée de mort, participe d'un cheminement psychologique et la souffrance morale (la douleur morale ?) est au centre du processus. L'individu confronté à sa réalité tangible (intérieure, celle qu'il s'est construite) n'accepte pas sa condition, celle qui lui est réellement infligée par une existence faite d'insatisfactions ou par la maladie mentale notamment. Le décalage entre l'une et l'autre crée en lui un sentiment de mal-être qui va en s'accentuant parce que cette condition s'impose à lui de plus en plus comme inéluctable. La souffrance s'installe et charrie avec elle angoisse, culpabilité, sentiment de honte et d'indignité, etc. Emerge alors l'idée d'échapper à cette situation et naît le désir de mourir. Vous me donnerez, sans doute, l'occasion de revenir sur les motivations qui amènent le sujet à commettre cet acte dramatique. A quel moment le sujet décide de passer à l'acte ? Une autre question à laquelle il est encore aujourd'hui difficile de répondre. Si cela avait été possible, la prévention aurait été encore plus aisée. Il s'agit en réalité de percer le secret de la crise suicidaire. Un instant particulier de ce passage à l'acte. Que se passe-t-il à ce moment précis ? Personne ne le sait avec certitude. » En Algérie, le suicide touche surtout les jeunes. La tranche la plus concernée est celle des 20-35 ans. C'est celle qui est le plus concernée par les maladies mentales notamment les psychoses et les pathologies de nature dépressives, mais c'est aussi la population touchée par le chômage, la misère sociale et plus globalement le mal-vie. Une tranche d'âge qui est, du fait de cette mal-vie en proie aux autres fléaux sociaux, à l'instar de la toxicomanie. Ce qui accentue le risque de passage à l'acte suicidaire. Chez les sujets malades, le passage à l'acte suicidaire peut être précipité par l'handicap social généré par des problèmes sociaux surajoutés. Trouver du travail, un logement, un conjoint (une femme ou un mari) est déjà un exploit pour une personne en bonne santé, il est facile d'imaginer la difficulté que cela constitue pour les sujets vulnérables, et les plus jeunes sont particulièrement exposés à ces problèmes de la vie. Toutefois, le passage à l'acte suicidaire, pour des raisons sociales, financières ou pour des raisons de chômage est souvent le fait d'individus plus âgés. Des personnes socialement exposées à la réussite. Les chefs de famille subissent la vie au quotidien. Ils n'ont pas de pouvoir d'achat et ne peuvent pas nourrir leur famille dignement sans avoir tous les matins le sentiment que la vie va, à nouveau, les humilier. Ils ont l'obligation du résultat et l'échec professionnel ou familial signifie, pour eux, échec social. La honte et le déshonneur qui en résultent peuvent amener ces personnes à mettre fin à leur existence. Le sujet de sexe féminin habituellement moins exposé socialement à l'échec se trouve de plus en plus confronté au désir d'occuper une place entière dans la société et si les tentatives de suicides sont plus nombreuses chez la femme, les problèmes auxquels elle fait aujourd'hui face fragilisent davantage sa position sociale au même temps qu'ils font naître chez elle un profond désespoir. Elle doit assumer plusieurs rôles, en particulier celui de la mère et de l'épouse et celui de la femme qui travaille. Elle entre ainsi en compétition avec l'homme auquel elle grignote encore plus d'espace dans le monde du travail. Au mieux elle est sous la pression de son collègue qui lui refuse l'accès à ce rôle de femme qui travaille, au pire elle est l'objet de harcèlement moral et/ou sexuel. Une situation qu'elle subit à huis clos et une souffrance qu'elle ne peut partager du fait que le foyer est la seule place qui lui est « concédée » par la société algérienne et que le code de la famille « enfonce le clou » en en faisant une mineure à vie. Le geste suicidaire, témoin de sa détresse, participe d'un réel désir de mourir. Comme chez le sujet de sexe masculin, le passage à l'acte est, dans ce cas, toujours fatal. Peut-on prévenir contre le suicide ? Le suicide peut être prévenu. Non pas pour l'éradiquer parce que cela est impossible mais pour en réduire le nombre. Comment ? En luttant contre les causes qui amènent le sujet à progressivement élaborer le projet de mettre fin à ses jours. Il est évident que les pathologies mentales susceptibles de conduire à un tel passage à l'acte doivent être traitées et leurs rechutes prévenues. Je pense notamment aux grandes et graves maladies que sont les dépressions et les psychoses. Aisément identifiables, ces affections seront traitées rapidement et, parce qu'étant dans ces cas toujours important, le risque suicidaire doit constituer une préoccupation permanente. Ici, la prévention du passage à l'acte suicidaire donne des résultats probants mais c'est là aussi que ce dernier peut tout de même survenir malgré les efforts consentis pour le prévenir. Quand le sujet malade veut en finir, il y arrive presque toujours. C'est le cas de celui qui présente une mélancolie délirante. Mais le passage à l'acte suicidaire n'est pas seulement le fait du malade. La souffrance psychique et la douleur morale peuvent également s'emparer d'une personne jusque là saine mais fragilisée par ses conditions de vie. Des problèmes familiaux importants, la perte d'un emploi ou le chômage (du jeune notamment), des conditions de vie misérables et/ou humiliantes peuvent plonger un individu dans un sentiment d'indignité insupportable et l'amener à envisager la mort comme l'ultime solution. Le harcèlement moral et/ou sexuel, je le soulignais, constitue aussi un élément hautement fragilisant notamment chez la femme qui travaille. Plus généralement, l'irruption du suicide comme un phénomène social gravissime dans notre pays peut trouver son explication dans la dégradation des conditions d'existence du citoyen. C'est pourquoi, à n'en pas douter, la presse nationale en parle très régulièrement. Non pas pour simplement en égrener la comptabilité mais surtout pour tirer la sonnette d'alarme et attirer l'attention des pouvoirs publics sur la souffrance « chronique » de la population. Ici cette souffrance est objective même si les sujets, femme ou homme, souffrent chacun avec sa spécificité. Ici, il est vain de faire appel à la médecine pour prévenir le passage à l'acte suicidaire. Si cette dernière, je veux dire la médecine peut être d'un apport et/ou d'un conseil, ceux-ci sont toujours limités. La médecine ne soigne pas le malheur et si l'individu est dans le désespoir parce que ses conditions de vie sont sordides ou misérables, la solution à cela est ailleurs. Dans la décision politique. Le bien-être et le bonheur sont les garants de la santé et bien sûr la meilleure prévention du passage à l'acte suicidaire. Il faudra certainement que les pouvoirs publics y pensent et, de ce point de vue, beaucoup reste à faire. Les décideurs devraient revoir les critères qu'ils ont mis en place pour évaluer l'indice de développement humain (IDH) dans notre pays et prendre exemple sur le Bhoutan, ce tout petit pays d'Asie centrale qui a remplacé le PNB (produit national brut) par le BNB (bonheur national brut) comme indice de développement et d'évaluation de la santé des citoyens de ce pays. Les personnes font toutes un lien entre leur état de détresse psychologique et la lecture des journaux. Une détresse psychique qui s'inscrit dans la logique d'une pathologie mentale particulièrement sensible à l'événement extérieur. L'information venant, dans ces cas, réveiller une angoisse en sommeil. » Le rôle de la presse dans le suicide L'OMS a confectionné une brochure destinée aux rédacteurs d'articles qui parlent de suicide. Cette brochure a pour intitulé : « Indications pour les professionnels des médias. Résumé de ce qui doit être fait et de ce qui ne doit pas être fait »: Ce qu'il faut faire ? Donner les informations sur les services d'assistance et les possibilités locales de prévention, mettre l'accent sur les indicateurs de risque et les signes d'alerte, collaborer étroitement avec l'autorité sanitaire en présentant les faits, parler du suicide en termes de « suicide accompli » et non de « suicide réussi », publier uniquement les données appropriées dans les pages intérieures. Ce qu'il ne faut pas faire : Ne pas publier de photos ou de lettres de suicidés, ne pas donner des détails précis sur la méthode employée, ne pas donner de raisons simplistes, ne pas glorifier ou faire du sensationnalisme à propos d'un suicide, ne pas utiliser de stéréotypes religieux ou culturels, ne pas répartir le blâme. La presse algérienne ne tient pas compte, de toute évidence par ignorance, de ces recommandations. Voici ce que recommande le conseil suisse de la presse : La directive 7.9 des droits et devoirs des journalistes, intitulée « Suicide », précise que les suicides ne peuvent faire l'objet d'une information que par exception, dans les situations suivantes : lorsqu'ils ont provoqué un grand écho public, lorsqu'il s'agit d'une personnalité publique et pour autant que le suicide ait une relation probable avec la fonction de la personne ou les raisons de sa notoriété, lorsqu'ils se sont produits en relation avec un crime révélé par la police, lorsqu'ils ont un caractère de manifestation et qu'ils visent à rendre l'opinion attentive à un problème non résolu, lorsqu'ils suscitent une discussion publique, lorsqu'ils donnent cours à des rumeurs et des accusations. Tous les ingrédients sont, dans notre pays, réunis pour faire du passage à l'acte suicidaire un phénomène qui peut devenir un fléau social. Les causes sociales sont identifiables et le phénomène de généralisation, dont elles pourraient être responsables, donnent toute leur signification aux passages à l'acte suicidaire individuel mais aussi, au passage à l'acte collectif tel que le phénomène des harraga... Les comptes rendus de la presse sont alarmants et laissent entrevoir une tendance à la hausse. Pendaison, overdose de médicaments, défenestration, arme à feu et de plus en plus ces derniers temps : l'immolation par le feu. La prévalence nationale moyenne des suicides serait de 2 à 4 suicides pour 100.000 habitants. Un taux en deçà de la réalité, insignifiant au regard de la moyenne mondiale qui est d'environ 16/100.000. Un million de personnes se suicident chaque année. Un taux qui ira en augmentant puisqu'il est prévu, à travers le monde, un million et demi de décès par suicide en 2020. Les pays de l'Europe du Nord dépassent, pour leur majorité, la moyenne mondiale. Ceux de l'ancienne URSS sont les plus touchés par ce phénomène. Les taux les plus faibles se retrouvent en Espagne, Italie, Grèce avec des chiffres variant entre 6 et 13/100.000. Il en est de même pour les pays d'Amérique latine. Comme pour l'Algérie, nos voisins marocains et tunisiens n'ont pas de statistiques officielles. La prévalence dans ces pays serait également de 2 à 4 suicides pour 100.000 habitants. Mais qui pourrait le confirmer en l'absence de statistiques fiables ? Depuis le début de l'année 2011, la presse a fait état de dizaines de cas d'immolation par le feu dans des espaces publics. Plus de 200 cas, au total. Les statistiques du suicide en Algérie sont données au compte-goutte, ville par ville, mais de manière parcellaire. Aucun organisme officiel n'y travaille et les rares associations, sociologues et autres professionnels qui s'intéressent à la question se heurtent à l'absence de données chiffrées précises. L'épidémiologie du suicide en Algérie reste taboue. Pourquoi s'immole-t-on par le feu en Algérie ? Pour tout et pour rien. L'essentiel est de briller dans sa détresse, de donner son désespoir en spectacle, de dénoncer en se faisant encore plus mal, de se sentir exister au moins en mourant. Dès le début du mois de février 2011, à la suite des émeutes de janvier des cas d'immolation par le feu étaient signalés presque chaque jour. Des suicides du ras-le-bol, des suicides de contestation toujours opérés dans un espace public, de préférence à l'entrée d'un siège d'organisme d'Etat pour réclamer un emploi, un logement ou dénoncer une injustice de l'administration. Ne produisant aucun effet politique, ce recourt fréquent aux tentatives de suicide en public s'est estompé. Les algériens ont dû finir par comprendre qu'il n'y a vraiment pas moyen de faire de la contestation, même en s'immolant, face à des autorités sourdes et muettes. Il reste donc à se donner la mort silencieusement pour se délivrer de souffrances insupportables. Un père de famille, harcelé par ses enfants pour acheter le mouton pour l'Aïd El-Adha un certain 26 octobre 2012, se sentant impuissant à répondre aux besoins de se famille il a préféré mettre fin à ses jours. À Oum El-Bouaghi un homme a escaladé un pylône électrique pour se jeter dans le vide, il a été foudroyé. Autre cas, plus récent : une jeune femme de 23 ans, fraîchement mariée à Tlemcen, s'est immolée par le feu parce qu'elle ne supportait plus un mari imposé. Deux autres suicides ont eu lieu au cours de ces dernières semaines en l'espace de 48 heures seulement : une jeune fille de 21 ans s'est jetée, le 18 février, du cinquième étage d'un immeuble situé dans un quartier populaire, à la sortie est de la ville de Tiaret et un jeune homme de 27 ans s'est donné la mort le 23 février en escaladant un pylône électrique, avant de se jeter dans le vide. Le lendemain, dimanche, la police a réussi à empêcher un jeune homme de se jeter du haut d'un immeuble du côté de l'hôpital Mustapha-Bacha. Les raisons de ces suicides demeurent dans la plupart des cas mystérieuses. Cependant il ne faut pas être un génie pour comprendre que le cumul de problèmes ou le ras-le-bol sont des facteurs importants pouvant mener à franchir le pas. Du désir au passage à l'acte... Le docteur Boudarene, psychiatre et député, a publié sur son blog l'analyse suivante : « La naissance du désir de mourir, ou si vous voulez de l'idée de mort, participe d'un cheminement psychologique et la souffrance morale (la douleur morale ?) est au centre du processus. L'individu confronté à sa réalité tangible (intérieure, celle qu'il s'est construite) n'accepte pas sa condition, celle qui lui est réellement infligée par une existence faite d'insatisfactions ou par la maladie mentale notamment. Le décalage entre l'une et l'autre crée en lui un sentiment de mal-être qui va en s'accentuant parce que cette condition s'impose à lui de plus en plus comme inéluctable. La souffrance s'installe et charrie avec elle angoisse, culpabilité, sentiment de honte et d'indignité, etc. Emerge alors l'idée d'échapper à cette situation et naît le désir de mourir. Vous me donnerez, sans doute, l'occasion de revenir sur les motivations qui amènent le sujet à commettre cet acte dramatique. A quel moment le sujet décide de passer à l'acte ? Une autre question à laquelle il est encore aujourd'hui difficile de répondre. Si cela avait été possible, la prévention aurait été encore plus aisée. Il s'agit en réalité de percer le secret de la crise suicidaire. Un instant particulier de ce passage à l'acte. Que se passe-t-il à ce moment précis ? Personne ne le sait avec certitude. » En Algérie, le suicide touche surtout les jeunes. La tranche la plus concernée est celle des 20-35 ans. C'est celle qui est le plus concernée par les maladies mentales notamment les psychoses et les pathologies de nature dépressives, mais c'est aussi la population touchée par le chômage, la misère sociale et plus globalement le mal-vie. Une tranche d'âge qui est, du fait de cette mal-vie en proie aux autres fléaux sociaux, à l'instar de la toxicomanie. Ce qui accentue le risque de passage à l'acte suicidaire. Chez les sujets malades, le passage à l'acte suicidaire peut être précipité par l'handicap social généré par des problèmes sociaux surajoutés. Trouver du travail, un logement, un conjoint (une femme ou un mari) est déjà un exploit pour une personne en bonne santé, il est facile d'imaginer la difficulté que cela constitue pour les sujets vulnérables, et les plus jeunes sont particulièrement exposés à ces problèmes de la vie. Toutefois, le passage à l'acte suicidaire, pour des raisons sociales, financières ou pour des raisons de chômage est souvent le fait d'individus plus âgés. Des personnes socialement exposées à la réussite. Les chefs de famille subissent la vie au quotidien. Ils n'ont pas de pouvoir d'achat et ne peuvent pas nourrir leur famille dignement sans avoir tous les matins le sentiment que la vie va, à nouveau, les humilier. Ils ont l'obligation du résultat et l'échec professionnel ou familial signifie, pour eux, échec social. La honte et le déshonneur qui en résultent peuvent amener ces personnes à mettre fin à leur existence. Le sujet de sexe féminin habituellement moins exposé socialement à l'échec se trouve de plus en plus confronté au désir d'occuper une place entière dans la société et si les tentatives de suicides sont plus nombreuses chez la femme, les problèmes auxquels elle fait aujourd'hui face fragilisent davantage sa position sociale au même temps qu'ils font naître chez elle un profond désespoir. Elle doit assumer plusieurs rôles, en particulier celui de la mère et de l'épouse et celui de la femme qui travaille. Elle entre ainsi en compétition avec l'homme auquel elle grignote encore plus d'espace dans le monde du travail. Au mieux elle est sous la pression de son collègue qui lui refuse l'accès à ce rôle de femme qui travaille, au pire elle est l'objet de harcèlement moral et/ou sexuel. Une situation qu'elle subit à huis clos et une souffrance qu'elle ne peut partager du fait que le foyer est la seule place qui lui est « concédée » par la société algérienne et que le code de la famille « enfonce le clou » en en faisant une mineure à vie. Le geste suicidaire, témoin de sa détresse, participe d'un réel désir de mourir. Comme chez le sujet de sexe masculin, le passage à l'acte est, dans ce cas, toujours fatal. Peut-on prévenir contre le suicide ? Le suicide peut être prévenu. Non pas pour l'éradiquer parce que cela est impossible mais pour en réduire le nombre. Comment ? En luttant contre les causes qui amènent le sujet à progressivement élaborer le projet de mettre fin à ses jours. Il est évident que les pathologies mentales susceptibles de conduire à un tel passage à l'acte doivent être traitées et leurs rechutes prévenues. Je pense notamment aux grandes et graves maladies que sont les dépressions et les psychoses. Aisément identifiables, ces affections seront traitées rapidement et, parce qu'étant dans ces cas toujours important, le risque suicidaire doit constituer une préoccupation permanente. Ici, la prévention du passage à l'acte suicidaire donne des résultats probants mais c'est là aussi que ce dernier peut tout de même survenir malgré les efforts consentis pour le prévenir. Quand le sujet malade veut en finir, il y arrive presque toujours. C'est le cas de celui qui présente une mélancolie délirante. Mais le passage à l'acte suicidaire n'est pas seulement le fait du malade. La souffrance psychique et la douleur morale peuvent également s'emparer d'une personne jusque là saine mais fragilisée par ses conditions de vie. Des problèmes familiaux importants, la perte d'un emploi ou le chômage (du jeune notamment), des conditions de vie misérables et/ou humiliantes peuvent plonger un individu dans un sentiment d'indignité insupportable et l'amener à envisager la mort comme l'ultime solution. Le harcèlement moral et/ou sexuel, je le soulignais, constitue aussi un élément hautement fragilisant notamment chez la femme qui travaille. Plus généralement, l'irruption du suicide comme un phénomène social gravissime dans notre pays peut trouver son explication dans la dégradation des conditions d'existence du citoyen. C'est pourquoi, à n'en pas douter, la presse nationale en parle très régulièrement. Non pas pour simplement en égrener la comptabilité mais surtout pour tirer la sonnette d'alarme et attirer l'attention des pouvoirs publics sur la souffrance « chronique » de la population. Ici cette souffrance est objective même si les sujets, femme ou homme, souffrent chacun avec sa spécificité. Ici, il est vain de faire appel à la médecine pour prévenir le passage à l'acte suicidaire. Si cette dernière, je veux dire la médecine peut être d'un apport et/ou d'un conseil, ceux-ci sont toujours limités. La médecine ne soigne pas le malheur et si l'individu est dans le désespoir parce que ses conditions de vie sont sordides ou misérables, la solution à cela est ailleurs. Dans la décision politique. Le bien-être et le bonheur sont les garants de la santé et bien sûr la meilleure prévention du passage à l'acte suicidaire. Il faudra certainement que les pouvoirs publics y pensent et, de ce point de vue, beaucoup reste à faire. Les décideurs devraient revoir les critères qu'ils ont mis en place pour évaluer l'indice de développement humain (IDH) dans notre pays et prendre exemple sur le Bhoutan, ce tout petit pays d'Asie centrale qui a remplacé le PNB (produit national brut) par le BNB (bonheur national brut) comme indice de développement et d'évaluation de la santé des citoyens de ce pays. Les personnes font toutes un lien entre leur état de détresse psychologique et la lecture des journaux. Une détresse psychique qui s'inscrit dans la logique d'une pathologie mentale particulièrement sensible à l'événement extérieur. L'information venant, dans ces cas, réveiller une angoisse en sommeil. » Le rôle de la presse dans le suicide L'OMS a confectionné une brochure destinée aux rédacteurs d'articles qui parlent de suicide. Cette brochure a pour intitulé : « Indications pour les professionnels des médias. Résumé de ce qui doit être fait et de ce qui ne doit pas être fait »: Ce qu'il faut faire ? Donner les informations sur les services d'assistance et les possibilités locales de prévention, mettre l'accent sur les indicateurs de risque et les signes d'alerte, collaborer étroitement avec l'autorité sanitaire en présentant les faits, parler du suicide en termes de « suicide accompli » et non de « suicide réussi », publier uniquement les données appropriées dans les pages intérieures. Ce qu'il ne faut pas faire : Ne pas publier de photos ou de lettres de suicidés, ne pas donner des détails précis sur la méthode employée, ne pas donner de raisons simplistes, ne pas glorifier ou faire du sensationnalisme à propos d'un suicide, ne pas utiliser de stéréotypes religieux ou culturels, ne pas répartir le blâme. La presse algérienne ne tient pas compte, de toute évidence par ignorance, de ces recommandations. Voici ce que recommande le conseil suisse de la presse : La directive 7.9 des droits et devoirs des journalistes, intitulée « Suicide », précise que les suicides ne peuvent faire l'objet d'une information que par exception, dans les situations suivantes : lorsqu'ils ont provoqué un grand écho public, lorsqu'il s'agit d'une personnalité publique et pour autant que le suicide ait une relation probable avec la fonction de la personne ou les raisons de sa notoriété, lorsqu'ils se sont produits en relation avec un crime révélé par la police, lorsqu'ils ont un caractère de manifestation et qu'ils visent à rendre l'opinion attentive à un problème non résolu, lorsqu'ils suscitent une discussion publique, lorsqu'ils donnent cours à des rumeurs et des accusations. Tous les ingrédients sont, dans notre pays, réunis pour faire du passage à l'acte suicidaire un phénomène qui peut devenir un fléau social. Les causes sociales sont identifiables et le phénomène de généralisation, dont elles pourraient être responsables, donnent toute leur signification aux passages à l'acte suicidaire individuel mais aussi, au passage à l'acte collectif tel que le phénomène des harraga...