Au pays chaoui, les tisserandes jeunes et moins jeunes s'inquiètent du devenir de ce qui est un produit artisanal unique de la région, « zerbya lemouchya », le bijou qu'est le tapis de la tribu berbère des Nememcha. Anciens éleveurs de dromadaires et de moutons sillonnant les routes entre le Sahara et les monts de Tébessa à l'est des Aurès, les Nememcha tiraient profit de la laine et des poils de leurs bêtes pour s'adonner au tissage des vêtements et des tapis. De ce temps où l'on devait se vêtir, se couvrir par le travail de la laine naquit «zarbya lemouchya». «C'est la fierté de nos régions, elle occupe la même place dans notre vie que les bijoux ou autre produit de luxe», signale Keltoum une «aurassyia» pur miel. Cette dernière, qui a été initiée par sa mère et sa grand-mère, lesquelles ont acquis l'art du tissage depuis une longue lignée de femmes, parle avec force détails et passion de ce qui est un legs millénaire. « Je ne comprends pas comment on peut dénaturer l'essence même de la confection du tapis de notre région », explique-t-elle face à la nouvelle régulation de l'estampillage du tapis aurésien. « Une standardisation qui fait de ce tapis haut de gamme, ayant été classé au Canada dans les années 70, à la troisième place après le tapis persan, un tapis de basse qualité». En effet, les nouvelles normes de catalogage attestant l'authenticité de la pièce «zarbya lemouchya» imposées récemment, diminuent le nombre de nœuds au cm2. Le véritable tapis des Nememcha de haute qualité peut être tissé avec au moins 60 nœuds sur 60 nœuds au cm2. « Depuis peu, on nous demande de confectionner ce qui est un tapis des Aurès avec 20 nœuds sur 20 nœuds pour le même espace…Ce qui ôte toute authenticité à ce tapis pour devenir un produit bas de gamme et ne peut entrer en compétition sur le plan international. De plus comment a-t-on délégué des personnes qui n'ont rien à voir avec l'artisanat et l'art de la tapisserie pour disposer de droits de regard et de gestion qui n'ont rien à voir avec l'élaboration de tapis artisanaux ? », s'offusque Keltoum. Elle ajoute : « On est entrain d'encourager la quantité à la qualité ce qui va inciter également à la contrefaçon de notre patrimoine ancestral… » En effet, nombre de Chaouias s'interrogent sur le péril de la contrefaçon touchant « leur tapis ». « Une imitation dont on ne peut se protéger si l'estampillage du tapis de moindres nœuds venait à être exigé par les chambres de l'artisanat … ».