Photo : Fouad S. Quelle est la journée la plus marquante pour toute personne ? Un proverbe kabyle apporte la réponse. Il s'agit de celle qui consacre les retrouvailles entre amis et proches. Ainsi et pour perpétuer cet adage, le village de Tala N'tazert a organisé pour la 6e année consécutive le festival de la transhumance connu sous le nom de «Tafaska Nweqdar», une tradition ancestrale. Une occasion pour les habitants de la région d'évoquer le passé, de déclamer des poèmes et de montrer leur savoir-faire en gastronomie. «Le rituel de transhumance était une manifestation tribale que planifiaient les zaouïas relayées par les souks. La transhumance concernait les bergers qui faisaient de l'estivage un lieu de vie avec approvisionnement et séjours dans les cabanes. Cela donnait lieu à des zerdas, des chants et des jeux de tir sur cible», explique Houria Abdennebi Oularbi chef de département de tamazight à l'université de Tizi-Ouzou. La fermeture après 1863 des zaouïas comme certains souks et l'irruption de l'économie coloniale, ont rompu les solidarités intertribales, ce qui a eu pour conséquence de dépouiller le rituel de transhumance de sa densité sociale jusqu'à n'être plus aujourd'hui qu'une banale manifestation économique concernant certaines familles, parfois même certains individus. Dans les années 60, une fois les herbes des plaines telles que Tahalwant, Azru Aberkhan, Tirkabine, Avawal, totalement broutées, les gardiens de bétail étaient obligés de mener leur cheptel plus haut, dans la montagne, pour trouver les herbes encore grasses des alpages. Ils étaient payés 2 DA par tête et par mois. Il fallait donc monter au sommet du Djurdjura, là où l'herbe est verte et l'ombre des cèdres accueillante. Là où le ruissellement des sources se marie avec le gazouillis des oiseaux. Cet endroit est situé sur la route qui mène vers Tizi N'koulal et le col de Tirourda. « Au bout de deux mois, le propriétaire du bétail ne reconnaissait plus ses veaux, tellement les bêtes étaient bien engraissées », raconte Abdellah Saïdi, agriculteur depuis 1983. Da Abdellah, pour les intimes, se souvient que «dans les années 60 et 70, il n'existait pas une famille, dans les quatre villages de Tala n'tazert, Bouadnane, Ighil Bouamas et Darna, qui ne possédait pas au moins une vache ». De cette tradition, il ne reste aujourd'hui que le nom, Agni N'lehoua, la plaine de la pluie. En ce jour de fête elle est «noire» de monde. Beaucoup sont venus voir la centaine de têtes éparpillées et surveillées par leurs propriétaires sur cette prairie. Ils sont aussi les témoins de la mort lente de cette transhumance, et pour cause, le vol de bétail empêche tout regroupement de cheptel. Cette rapine s'amplifie et s'étend d'ailleurs de plus en plus dans les zones reculées. A chaque fois on signale un ovin volé par ci un bovin volé par là. Les malfaiteurs, qui opèrent généralement la nuit, profitent souvent des conditions climatiques et de la désertion des lieux. RAVIVER LA TRADITION N'empêche. Pour réussir cet événement, le comité de Tala N'tazert veut coûte que coûte réanimer ne serait-ce que symboliquement cette tradition en organisant un festival qui lui est dédié. Ici tout le monde met la main à la pâte. Chaque citoyen de ce village a une tâche bien définie qu'il exerce au sein d'une commission. Celles désignées ont ainsi préparé un programme qui s'est étalé sur trois jours, et qui a débuté par un mini marathon, des conférences et une exposition sur les habits traditionnels et les photos. Le regard est fasciné par les couleurs des robes kabyles confectionnées par les talentueuses femmes du village. « La robe Kabyle est bien le symbole de beauté de la femme amazighe, cette femme libre qui a toujours été un exemple », estime une exposante. Des photos de bijoux et de paysages s'offrent également à la vue. UNE AMBIANCE FESTIVE Le trajet Tala N'tazert-Agwni Lahwa, (la plaine de la pluie) a ainsi vécu une ambiance exceptionnelle à l'occasion de ce festival qui a réuni non seulement les enfants du village mais tous les adeptes des randonnées pédestres. En effet, les visiteurs sont venus des quatre coins de la Kabylie, voire d'Alger, de Constantine et d'Oran. Les processions humaines sont visibles de loin. Elles arpentent les chemins en lacets qui mènent vers Agwni Lahwa en passant par le col de Tizi N'kouilal. Sur ce sommet qui culmine à 1 560 m d'altitude, l'on a l'impression d'être sur «le toit du monde» protégés par la canopée de la pinède et de la cédraie. Aux You-yous joyeux des femmes, répondaient le bendir et les klaxons. Des cortèges incessants de bus réquisitionnés pour l'occasion, n'arrêtent pas de faire des va et vient. Ici, il n'y a ni canicule ni asphyxie des grandes villes, place au calme, à la tranquillité et à la quiétude. PLACE À LA GASTRONOMIE A Tala N'tazert la fête de la transhumance est aussi une occasion pour un autre art : la gastronomie. En collaboration avec l'école de restauration et d'hôtellerie, «Jardin secret» de Tizi-Ouzou, le village a organisé un concours en la matière. Sur les 67 différents plats présentés, «Ahbul n.yennayer» a pris la tête du classement. La cuisinière n'est autre que « N'na Louiza », une vieille femme de 79 ans. «Ahbul N yennayer est un plat ancestral, je l'ai appris avec ma grand-mère. En premier lieu, nous enlevons des végétations un bout de leurs racines pour les laisser macérer au bout d'une semaine dans une grande bassine. Par la suite, nous préparons des galettes à base de semoule, de pouliot et de thym, et dans une grande marmite remplie d'eau nous mettons les racines que nous recouvrons d'herbe sur laquelle nous étalons les galettes qui cuiront ainsi sous étuve. La cuisson nécessite dix minutes. Les galettes se mangent chaudes, imbibées dans l'huile d'olive », explique N'na Louiza en présentant son plat. Pour revenir aux règles de la compétition, les 67 différents plats sont répartis en trois catégories : il y a des pains, des plats et des douceurs. Les notes de la commission de dégustation sont accordées sur la base du goût, de la présentation, de l'authenticité et sur la décoration. Les dégustateurs, au nombre de cinq, ont tous pris du temps pour dégager les trois meilleurs plats. Pour le patron du «Jardin secret», Ait Bachir, qui sponsorise souvent ce genre de rencontre, «Ahbul n yennayer» est une découverte. «C'est toujours un plaisir de découvrir des plats du terroir. Le DG de cette école a proposé à Nna Ouiza de se déplacer au sein de son établissement pour «donner des cours» aux différents stagiaires en vue de les préserver. VOIR TALA N'TAZART ET REVENIR Pour clore en beauté ce festival, le comité de village a organisé une soirée artistique dans une ambiance bon enfant, lors de laquelle les chanteurs Ali Meziane et Amghidh, entre autres, ont fait vibrer la foule de leur talent. D'ailleurs, tous ceux qui ont eu l'honneur d'assister à cette fête grandiose affirment ne pas oublier de sitôt ces moments agréables qui n'ont pris fin qu'à l'aube. Les visiteurs se sont séparés à cinq heures du matin en se donnant rendez-vous pour l'année prochaine. Comme quoi celui qui visitera Tala N'tazart un jour, se promet d'y revenir.