Elle transpirait de fièvre à presque 5 degrés de température en cette soirée de « délivrance » forcée. Elle n'avait pas encore vingt et un ans et découvrait pour la première fois qu'elle marchait sans que la plante de ses pieds ne soit piquée. Elle venait de fouler... le goudron vers El Attaf puis Boumedfaâ. La halte ne dure pas et Zina « s'offre » Alger. Zina, pleine d'errance. De désespérance. Les arcades d'Alger vont l'accueillir jusqu'à son accouchement chez une autre S.D.F (celle-là sans difficultés financières) qui l'héberge durant un mois. Redescente aux arcades du Musset (Belcourt), des boulevards Amirouche, Zirout, Lotfi (Bab El Oued)... ou Bab Azzoun. C'est là, généralement près des commissariats, sécurité oblige, qu'elle dépose son fagot et sa fillette pour faire la manche. Le soir, elles dorment sur le seuil des portes des banques, surtout en hiver, fuyant les gouttes de pluie. Des Zina comme elle, Alger en « produit » à chaque tragédie familiale. « Notre » Zina, elle, est victime de la connotation homonymique violente de... son prénom. L'auteur ? Son père à sa sortie de prison qui a préféré s'isoler dans une cabane au bas de la colline natale, de toute la race de Zina. L'inceste s'y invita. De force, son père, dit-elle, était redevenu bizarre. Evasif jusqu'à l'interpeller par un autre prénom. Celui de son ex-femme qui a bradé le tracteur alors qu'il était hospitalisé à Tissemsilt. A l'été 2011, Zina apprend par une voisine du bled qui la rencontre sous les arcades qui font face au ministère des Sports au 1er-Mai qu'un cadavre en décomposition avait été retrouvé près d'un laurier sur le versant de la colline « oubliée » de Zina. Le « corps » a été enseveli par les gens du bois et pourrait être celui du père fatal de Zina, qui regarde les pieds des passants et ne relève la tête que pour surveiller sa môme. Elle n'aime pas les centres ni les autres foyers publics où elle dit qu'elle perd, à chacune des visites, sa liberté et sa dignité une seconde fois. Minuit sonne. Elle défait ses emballages de cartons et de nylon et pose son lit tout près de la pizzeria. Dans quelques jours, elle ira sous une autre arcade, vers le Strasbourg en rouille, tout près du tribunal Abane- Ramdane, fuyant l'habitude et la familiarité porteuses de tant d'ennuis, d'embêtements des clochards noctambules. Son argent de l'aumône, elle le dissimule dans la couche de son bébé. Sa planque de couchage se dégage avant l'ouverture de la pizzeria. Zina a, dit-elle, oublié tout ce qui lui rappelle sa famille. D'ailleurs, elle ne connaît même pas la route pour repartir dans son douar. Ce soir, Zina est détendue, elle sourit presque. Elle a acheté une bague à 500 DA à une Syrienne du square Port Saïd. La petite dort. Zina la contemple. La voix chevrotante, deux larmes perlent sur ses joues. « J'aime ma fille mais je la déteste en même temps parce qu'elle ressemble comme un clone à mon père. Elle est autiste. Cela me soulage de lui expliquer comment elle est venue au monde et surtout qui est son père. » L'humidité est à couper au couteau. Zina ne sait même pas que nous nous sommes éloignés d'elle dans cet Alger indifférent. Anonyme et abusé quotidiennement. Violé ! sans horizons. Comme Zina.