L'idée de relancer le crédit à la consommation ouvre le débat entre les experts en économie, la société civile, les syndicalistes et les associations de protection des consommateurs. Chacun y va de son commentaire pour expliquer les avantages et les effets négatifs que peut engendrer une telle mesure sur la société algérienne et l'économie. Pour ses détracteurs, l'emprunt à la consommation est une sorte d'engrenage sournois dont l'Algérien ignore les rouages. Ainsi, il peut être surendetté sans vraiment s'en rendre compte. Un véritable maelstrom pour les petites bourses. Mais pour d'autres, cet outil, s'il est bien réglementé et cadré pour empêcher ses dérives intrinsèques, pourrait s'avérer un véritable moteur de l'économie du pays. L'expert en économie, Abdelmalek Seraï, est de ceux-là. Le conseiller du patron de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi- Saïd, pense que l'industrie nationale pourrait être relancée avec des crédits dédiés spécifiquement aux produits nationaux. Selon lui, 86% des 108 recommandations qui concernent la relance de l'économie nationale ont été adoptées par le gouvernement. Parmi elles, la relance du crédit bancaire à la consommation orienté essentiellement vers le made in Algeria. Cette option est fortement appuyée par le ministère de l'Industrie, l'UGTA et le patronat. « L'industrie algérienne participait jusqu'à 20% au PIB mais aujourd'hui elle le fait juste à 4,79%. Elle a perdu 15 points et elle est complètement déstructurée. En outre, 42% des entreprises de l'Etat sont toujours en panne et l'industrie nationale repose uniquement sur 250 entreprises considérées comme viables », rappelle M. Seraï. De ce fait, le crédit à la consommation va permettre également aux entreprises algériennes de retrouver leur marché et créer de l'emploi d'autant plus que « 98% d'entre elles ont moins de 10 salariés ». Mais l'économiste sait que l'équation n'est pas aussi simple. Tout comme le ministre des Finances, il reste convaincu que le retour au crédit à la consommation dépendrait de l'émergence d'un marché national diversifié capable de développer « une production nationale créatrice d'emplois en Algérie et non pas à l'étranger ». Et justement, M. Seraï signale aussi que ce dynamisme exige l'implication du ministère du Commerce qui « doit agir pour revoir la liste des produits importés afin de soutenir les entreprises nationales ». Un écueil : OMC-UE Avec les mêmes arguments, l'autre expert en économie, Abderrahmane Mebtoul, fait part de son scepticisme. Car même si l'idée de l'Etat de relancer le crédit pour encourager la production algérienne est « bonne », le problème se pose dans les capacités de l'économie algérienne. Sentence : avec 70% des besoins des ménages algériens qui reposent sur l'importation, un Produit intérieur brut (PIB) qui croît de 5% et un taux d'intégration du tissu industriel qui ne dépasse pas les 15%, la reprise du crédit à la consommation va plutôt accroître les importations. Autre écueil : l'Algérie doit se conformer aux accords internationaux (OMC-UE) même si le démantèlement tarifaire, prévu en 2017 entre l'Algérie et l'Union européenne dans le cadre de l'accord d'association, est reporté à 2020. Pour M. Mebtoul, la question qui se pose est de savoir si, d'ici là, nos entreprises seront compétitives. « Je pense que l'idée de la reprise du crédit à la consommation doit être liée à une politique globale », estime-t-il. Du côté du patronat, on ne s'embarrasse pas trop de détails. Boualem M'rakech, président de la Confédération algérienne du patronat (CAP), estime qu'il y a un retard dans la prise de décision pour relancer le crédit. « Nous avons trop tardé alors que la relance du crédit bancaire aurait permis non seulement d'encourager et d'encadrer la production nationale, mais aussi de retrouver un équilibre budgétaire. En plus, l'opération ne coûtera rien sur le plan financier », explique-t-il. Autre argument : la croissance, qui « stagne depuis dix ans à 3,5% », atteindra son niveau réel grâce aux crédits. Pour ce faire, Boualem M'rakech estime qu'il faut s'ouvrir au commerce extérieur tout en protégeant la production nationale. « Il n'y a aucun pays au monde qui ne protège pas ses intérêts notamment sa production nationale. Les USA, un pays très ouvert sur le commerce international, n'hésite pas à faire preuve de protectionnisme quand il s'agit de leur équilibre budgétaire. Chez nous, je pense qu'il y a mille et un moyens d'accompagner la production nationale », a signalé le patron de la CAP. A l'opposé, Ahmed Triki, sociologue, n'adhère pas à l'idée de la relance de l'opération du crédit à la consommation car pour lui elle est moins profitable aux Algériens. « Elle va encore compliquer leur situation sociale du fait que l'Algérien a perdu la notion du travail et cherche plutôt le gain facile. On voit aujourd'hui l'exemple des jeunes qui se ruent vers l'Ansej et d'autres dispositifs d'aide pour profiter de cette facilité et fuir le monde réel du travail », estime-t-il. Autre justification de cette approche : « On n'a pas cette culture de consommation tel qu'elle est appliquée en Europe ou dans les pays voisins. Dans ces pays, il faut travailler pour pouvoir manger, chez nous, on a perdu la notion du travail. Dans la famille algérienne, celui qui ne travaille pas mange et se rassasie sans aucun souci. Même dans nos écoles, on fournit moins d'efforts pour pouvoir passer l'année. Donc, il faut d'abord apprendre à l'individu à compter sur soi avant de lancer le crédit à la consommation », précise-t-il. Le contraire va engendrer, selon lui, d'autres problèmes pour la société algérienne. « La justice aura sûrement à traiter des milliers de dossiers pour non remboursement de crédits bancaires », assène-t-il. En résumé, « le crédit peut être bénéfique ou mauvais, cela dépend de la gestion qu'en fait le citoyen », observe Salah Souilah, secrétaire général de l'Union général des commerçants et artisans algériens (UGCAA).