La rue Boutin, en contre-bas du marché Djamaâ Lihoud, se vide. C'est le temps du ramassage. Nombre de vendeurs n'habitent pas le coin. Ils vivent de la revente des miracles et vestiges de la brocante qu'ils adorent appeler « el mafkoud », (le rare), pour susciter la formule économiques du XVIIe siècle, « la rareté fait l'utilité ». En vérité, ce n'est que de la « khorda ». Même le neuf est de marque « Taïwan ». Seul l'étal des objets de bricolage en électroménager (tournevis, pince, clé à molette, interrupteurs, prises, vachettes, lampes, torches...) tarde encore à ranger sa table. Nous sommes à plus de trois heures de l'appel à la rupture du jeûne, enfin de l'appel à la prière d'El Maghreb, à la convenance de chacun. Un air de « Touchia » se disperse au bas de l'escalier de la rampe avant que la voix du cardinal ne se fasse nette avec l'inégalable « ya layali » depuis l'échoppe de CD de la placette qu'une brise fouette soudainement. L'index dans le creux de la joue, un septuagénaire, cettainement porteur d'un tic ou rictus ajuste ses « Ray-ban » d'un sniff du bout du nez. Le calme est total, presque intrigant. Le moment est dégustatif. L'entame de « Gheder kessek yandim » semble exciter le vieux qui relève le pan de son pantalon Shangai en promenant « robotiquement » son regard de gauche à droite. Il ne peut dissimuler une larme qui s'arrête à sa narine. L'envie folle, à la limite de la curiosité, persiste de lui demander ce déclic émotionnel mais nous n'osons pas lui gâcher sa « re-plongée nostalgiseuse ». Accoudé au parapet surplombant la Basse Casbah donnant vue sur l'amirauté et le port, un voisin, le cafte et nous apprend qu'au temps d'El Anka, ce septuagénaire, alors à peine trentenaire, était le cafetier distingué du maestro du chaâbi au café Malakoff. Notre « cafardeur » retourne à son étal au marché où les carrés de l'intérieur restent inoccupés. On vend dehors pour éviter de se faire recenser et payer les impôts. Les alentours puent. La décharge dispute l'espace à la mosquée Farès. Deux habitués du coin du « courant d'air » prennent place sur l'escalier en amont du vieux qui écoute religieusement le maître. Les deux quidams tentaient, chacun son interprétation, de se convaincre de ce phénomène de la couleur verdâtre de la Grande Bleue de ces derniers jours. « Les algues et la chaleur » ? Il a fait plus chaud l'année passée et l'eau est restée limpide. « C'est une pollution. Alger étouffe de gens et de constructions. Il y a trop d'égoûts et de toilettes », crie l'un deux. L'échoppe va fermer. Deux jeunes s'offrent un CD de raï dont l'essai à décibels à fond révèle un écho nasillard. Ils l'achètent quand même. « C'est pour rouler en voiture après le ftour. » « El Anka accélère le « Khlass ». Le vendeur prépare les cadenas. Le vieux se relève et demeure un instant voûté avant de redresser sa fine silhouette. Nous déambulons le Sabbat (Voûte) calé par des poutres. La chaîne pour les dattes chez El Kloyii n'est plus au pas. Sur la longueur du trottoir de Ketchaoua, comme à l'époque de la révolution agraire où l'offre débordait pour le « 3 kilos baâchrine » pour tous les fruits et légumes, la braderie de l'art (musique, cinéma, documentaires....) prend de l'ampleur. Les pochettes CD avec portraits d'El Anka, Boudjemaâ El Ankis, Guerouabi, Ezzahi, Aït Menguellet, Matoub, Dahmane El Harrachi, Khaled, Benchenet, Ouahbi, Fergani, Seloua, Cheikh Lebdjaoui, jonchent l'asphlate squatté par les « disquaires » de l'après-midi pour « six CD à 200 dinars », « Setta baâchrine ». L'Onda et le ministère contrôlent les producteurs, pas le piratage... Ach del Aâr Alikoum ya R'djel ettaqafa.