Nora, Khadoudja, Saâdia, Djaouida, Halima… sont des femmes pas comme les autres. Elles ont opté pour une activité réservée généralement aux hommes : celle de vendre de la «khorda» dans des marchés aux puces. Une nouveauté qui dénote du degré de dégradation des conditions de vie d'une large frange de la société. Souk Edlala dial n'sa, comme on l'appelle ici à Bachdjarah ou marché aux puces pour les femmes est un espace fréquenté par la gent féminine en quête d'un objet à un prix pas cher, parfois très bas, surtout avec la flambée des prix, ajoutée à la montée galopante de la pauvreté. «Le motif de ma présence ici, est de vendre ce que je ramasse au niveau des décharges publiques et dans la rue. La mendicité, ce n'est pas une spécialité de mes ancêtres. Le travail, n'est pas fait pour moi. A mon âge, personne ne veut m'offrir un quelconque poste de travail», nous dit Aïcha, 61 ans, une vieille femme que nous avons accostée au niveau du marché aux puces de Bachdjarah, réservé exclusivement aux femmes. En ce lieu, le contraste est flagrant. D'un côté, le centre commercial Hamza, un joyau qui accueille la gent féminine à la recherche d'objets «made in», et de l'autre, un marché aux puces d'un nouveau genre, mais réservé également à la gent féminine. Il accueille ces femmes à la recherche d'un objet qu'elles ne peuvent se permettre en face. Sur des caisses en bois et en carton sont exposés des objets, dont certaines vendeuses ne connaissent même pas l'utilité et qu'elles exposent pourtant sur cet étalage de fortune. Nous trouvons ici de vieilles bassines, de vieilles marmites, de vieilles pelles, des clefs, des serrures, de vieux vêtements, une durite usagée, un marteau sans manche ou un cartable d'écolier, des sacs, des sandales ou escarpins, des articles de bagageries et même des jouets pour enfants tous usagés. Des livres et des revues sont également exposés. Nora, 66 ans, veuve depuis une dizaine d'années, est la doyenne de ce marché aux puces. Bavarde et pleine de vie, assise à même la chaussée sur un bout de carton, elle ne se fait pas prier pour raconter ses aventures au niveau de ce marché pas comme les autres. «A condition d'acheter quelque chose», nous dit-elle. «Au lieu de tendre la main pour nourrir mes enfants, je préfère de loin vendre el-khorda. Je pouvais bien rester à la maison et faire dans la voyance, le charlatanisme ya latif. Je suis une vieille femme croyante, je sais ce que réserve Dieu à ces mécréantes», ajoute Nora lorsque surgit un petit provocateur. «Va vendre de la zetla et laisse nous el khorda», lui lance-t-il. Une remarque qui ne perturbe nullement notre interlocutrice. «Je ramasse fièrement des miettes pour mes enfants, ce genre de remarque, je m'y suis habituée et je n'en fais pas cas», nous dit Nora. Ce marché, c'est notre interlocutrice qui a eu le privilège de «l'inaugurer» il y a plusieurs années. «Je suis la première femme à avoir jeté les voiles en ce lieu. Au début, les gens pensaient que j'étais une folle et parfois une mendiante. Celles qui sont venues ensuite, ont trouvé un terrain déblayé», commente Nora. Actuellement, elles sont plus d'une quarantaine à s'adonner à ce commerce, jusque-là réservé à la gent masculine.