Il y a presque 40 ans, la jeune République a été marquée au fer rouge par le drame de Hanoi. Il était 8h00, le 8 mars 1974, lorsque dans le mythique aéroport de Hanoï, affichant encore les stigmates de l'occupation coloniale finissante, les premiers martyrs de la presse algérienne ont marqué de leur empreinte indélébile l'héritage novembrien porteur des idéaux de liberté, de dignité humaine et de progrès pour tous les « damnés de la terre ». Après une tournée en Chine et en Corée du Nord, l'avion, qui transportait les 15 journalistes, a crashé sur la piste poussiéreuse de l'aérodrome militaire du district de Soc Son, à 60 km de Hanoï. Dans la pure tradition du journalisme de combat, ils ont indéniablement consenti le plus lourd sacrifice par fidélité aux valeurs d'une révolution qui les a vus naître et grandir. Le sang algérien et vietnamien (9 journalistes ont trouvé la mort) a signé la communion inscrite au panthéon de l'Histoire. Si Hanoï se souviendra pour toujours du sacrifice des hommes de la plume au service de la liberté et d'une amitié aussi indéfectible, Alger a longuement pleuré, il y a quelques jours seulement, la perte du vainqueur de la bataille de Diên Biên Phu, le général Vo Nguyen Giap. À l'orée de l'indépendance, à 20 ans, le rêve algérien, qui faisait chanter le monde libéré des chaînes de l'oppression et de l'exploitation, était inévitablement porté par la génération formée à l'école du journalisme de combat ou fraîchement sortie de l'université de l'Algérie nouvellement indépendante. Les victimes de la tragédie de Hanoï ont pleinement consacré, à la fleur de l'âge, les valeurs immuables du sacrifice et de l'engagement portées à bout de bras par les dignes héritiers de Frantz Fanon, le philosophe et le journaliste d'El Moudjahid, qui a consacré toute sa vie à l'émergence de « l'homme nouveau », débarrassé des conditions historiques de son aliénation, de son asservissement et de son acculturation. Sur les cendres fumantes de la presse coloniale, disqualifiée par la légitimation du siècle des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, l'émergence de la presse algérienne exprime une volonté de réappropriation de la parole libre. Elle structure le nouveau paysage médiatique, marqué par l'avènement de l'APS, le 1er décembre 1961, dédiant son premier bulletin, aux couleurs du drapeau national, à la lutte libératrice et portée par la dynamique de modernisation, en adéquation avec les exigences de la révolution technologique. C'est ainsi que, après avoir interdit, par arrêté du 10 juillet 1962, les journaux coloniaux de triste mémoire ( la Dépêche d'Alger, d'Oran et de Constantine), de nouveaux quotidiens (Le Peuple, Echaab, El Djoumhouria, En Nasr, Révolution et travail) et l'hebdomadaire « Révolution africaine » ont pris le relais de l'Algérie médiatique en refondation, confortée par la naissance d'El Moudjahid, le 21 Juin 1965, et, plus tard, Algérie actualités. Les immenses attentes du printemps novembrien se confondent avec une certaine idée de l'Algérie pétillante de jeunesse, belle et rebelle, fière, ambitieuse, solidaire et porteuse des espoirs de changement pour un avenir maitrisé et un monde meilleur. Riche de l'idéal novembrien, la presse engagée s'est totalement identifiée dans le combat épique pour la décolonisation pleine et entière du continent africain qui a jalonné les premiers pas de Révolution africaine, de Jacques Vergés à Mohamed Harbi en passant, bien sûr, par feu Cheriet Lazhari et Zoubir Zemzoum, présentée en étendard de l'Afrique libre et conquérante, unie autour de la « Mecque des révolutionnaires » par la communauté de destin. La Palestine, au cœur et la main inlassablement tendue aux mouvements de libération nationale, constitués en front anti-colonial regroupant, en 1971 à Alger, l'ANC de l'Afrique du sud sortie victorieux, en 1993, la Zanu du Zimbabwe, le Swapo de la Namibie, le PAIGC du cap Vert et de la Guinée Bissau, le MPLA de l'Angola, le Frelimo du Mozambique, tournant, en 1977, la page de la colonisation portugaise, l'Algérie du « romantisme révolutionnaire », est partie à l'assaut de l'ordre international injuste et inique, symbolisé par la puissante institution onusienne, désormais débarrassée de la présence inqualifiable de l'apartheid, forte du retour tonitruant de la Chine et accueillant à bras ouvert la Palestine de Yasser Arafat priant le monde de ne pas laisser tomber le « rameau d'olivier ». Elle a participé activement à la transformation d'un ordre inégalitaire en présentant, en leader incontesté des non alignés réunis à Alger, en 1973, une véritable doctrine économique qui a fait l'objet, l'année suivante, d'une session spéciale de l'ONU, mais, aussi, en s'impliquant activement à la naissance et à la consolidation de l'OPEP, rendue maîtresse de son destin et soucieuse des intérêts fondamentaux de ses membres. Dans l'Algérie novembrienne, essaimant à 20 ans les chantiers de la récupération des richesses nationales, du développement et de la construction institutionnelle, le beau rêve algérien abreuvait la presse des bâtisseurs au service des exigences de l'édification et de la consolidation de la souveraineté nationale. Le débat sur la « charte nationale », porté sur la place publique, a constitué un moment fort d'une expression libre et démocratique. Il a également connu ses heures de gloire, pendant la décennie 80 des réformes économiques, dans les colonnes de Révolution africaine et d'Algérie Actualités qui ont donné tout son sens, professionnellement et déontologiquement, aux valeurs fondamentales consacrant le droit inaliénable à la divergence et au respect des opinions librement consenties. Il est parfaitement admis que cette expérience algérienne, précédant le grand chamboulement initié par la Perestroïka russe et la nouvelle géopolitique, a tapissé le mouvement de démocratisation inscrit dans la genèse et le développement du pluralisme politique et médiatique du « printemps démocratique » algérien, érigé en rempart inexpugnable, lors de l'assaut terroriste meurtrier lancé contre l'Etat national républicain. De la presse des bâtisseurs à la presse des défis démocratiques, aux sacrifices incommensurables, la transition réussie de l'Algérie du cinquantenaire de l'indépendance couronne un long processus de réappropriation du destin national adapté aux exigences d'un monde en perpétuel bouleversement.