C'est connu, les spectacles offerts par les maîtres du Chaâbi ont toujours ceci de particulier : ils sont toujours particuliers. En tout cas, le récital donné vendredi soir au Théâtre de Verdure (Etablissements Arts et Culture de la wilaya d'Alger) à Alger, et celui d'avant, lundi, au Cercle sportif du club de football Usm d'Alger, par Abdallah Guettaf en sont la parfaite illustration. Tout y était : prestance, maîtrise, richesse poétique, interprétation et rigueur. Le tout sur fond mystique dont il a seul le secret de la réussite. Il faut le dire tout haut, néanmoins avec un pincement au cœur, que rares sont, de nos jours, les Cheikhs qui revendiquent autant d'atouts à la fois. La périclité qui frappe, de plein fouet, la scène culturelle et, de surcroit, celle de la chanson chaâbie est telle qu'il est évident qu'une telle production suscite le succès escompté et, de là, créer l'unanimité autour de ce novateur à la fois adulé et jalousé. Considéré, par les spécialistes du patrimoine musical, comme le digne héritier des grands ténors, Abdallah Guettaf s'est pendu d'une exécution magistrale, en donnant voix et mélodies à un répertoire poétique totalement inédit. Ce n'est pas par pur hasard- loin s'en faux- si, aujourd'hui, on l'affuble du prestigieux titre de l'interprète du «Mefqoud», tant la recherche minutieuse qu'il mène dans le vaste univers du «Melhoun», le place au-dessus, bien au-dessus du reste des quidams. Chose qui lui a valu, nonobstant à la reconnaissance du public, l'animosité des partisans du «Ankaouisme» stérile et ringard qui ont pignon sur la scène et ses périphéries. Agacés, sans doute, par l'émergence d'un brillant artiste loin des cénacles trop fermés de Bab El-Oued. Pourtant natif de la périphérie d'Alger, du très populaire quartier La glacière, pépinière d'une nuée d'artistes de renoms dont l'un des maîtres du banjo, Cheikh Namous, compagnon d'El Anka, ou encore, le très discret Cheikh Liamine. Rien que ça. Hélas, la légitimité géographique n'a rien perdu de sa force de nuisance. De cette soirée «ramadhanesque», Abdallah Guettaf en a fait une belle tribune pour chanter un répertoire puisé dans le panégyrique religieux (El Madih). Le début fut avec un texte époustouflant, «El Asma'a el hosna», calqué sur la non moins célèbre «El Aârfaouia», du poète marocain Cheikh Ennedjar, «qacida» portée par l'ensemble des grandes figures, et à leur tête, le regretté El Hadj M'hamed El Anka. Flanqué d'un orchestre cossu et assidu où plastronnait notamment, le virtuose banjoïste Abdelhadi Harbit, le Cheikh s'est épanché par des textes, tous aussi magiques les uns, les autres, telle que «sa» toute dernière découverte : «Marhaba bi chahr el ghofrane», une Ramdania peu connue dans les milieux, dans laquelle le poète Ettouhami, chante les vertus du mois sacré et que le Cheikh, de sa forte voix cristalline en a secrété toute la sève artistique. Quant au reste, on connaît la musique : Avec Abdallah Guettaf, tout est nouveau, tout est inédit. Grande spécialité de ce seigneur de la chanson chaâbie.