Chagrin ? Tristesse ? Evelyne Safir ne voudrait pas laisser ces sentiments de mélancolie, d'affliction, de deuil ou de cafard chez le peuple algérien en général et auprès de ses proches, des moudjahidine et des amis depuis hier samedi, en décidant, certainement après un dernier balayage du paysage de son Benchicao, de rejoindre son défunt époux, le génial professeur et journaliste Abdelkader Safir. L'Algérienne et héroïne, Evelyne, qui a fermé, tendrement les yeux, s'en est allée avec le sentiment de fierté d'avoir accompli toutes ses missions dans la vie d'une Algérie qui l'a vu naître et qu'elle quitte par un beau soleil printanier. Quatre-vingt-sept ans d'amour pour l'Algérie mais aussi de résistance, de dévouement, d'engagement, de révolution, comme l'ont fait les Hassiba Ben-Bouali, Malika Gaïd, Djamila Bouhired... Depuis hier, l'Algérie et Médéa, particulièrement ce hameau de Benchicao, ne peuvent retenir la larme d'adieu à Evelyne. Née en 1927 à Alger dans une famille catholique conservatrice, Evelyne Lavalette ne prend pas le temps de réfléchir pour rejoindre le FLN en 1955, alors qu'elle enseignait à La Casbah, pour défendre son Algérie, tout en activant au sein des associations sociales, syndicales et les scouts. Femme de conviction et de courage, Evelyne épouse le combat contre le colonialisme. Contre son statut de fille de colons. Contre une France exploitant l'Algérie et son peuple. D'autres feront le même parcours à l'image de Maillot, Audin, Annie Steiner, Chaulet... Des femmes et des hommes dont les pulsions du cœur sont rythmées par le sang pur d'Algérie. Evelyne, qui pressentit l'absurdité et la violence du système colonial alors qu'elle vivait dans une ferme de ses parents dans la Mitidja, préférera rejoindre Benkhedda pour devenir son agent de liaison et travailler aussi avec Krim Belkacem, Ben M'hidi et Abane Ramdane avant de se faire arrêter et vivre les affres de Serkadji avec Zohra Drif et Bouhired dès novembre 1956. Entre les prisons d'Oran, Chlef et El Harrach, la « Juste « algérienne » (un ouvrage biographique de témoignage) qu'elle écrira, retrouve la liberté et épousera Abdelkader Safir en 1967. A Benchicao, avec Safir, qui disait à ses étudiants de l'école de journalisme, qu'il a fondée (Jacques Cartier à Alger), que « le bon journaliste doit avoir de grandes oreilles, des doigts agiles et un estomac fort », elle recevait, dans les années 80-90, des journalistes et anciens élèves ou des amis, surtout en été, avec un sourire radieux et des grappes de raisin. Evelyne, qui nous quitte en ce samedi, a dactylographié en 1956 l'appel à la grève des étudiants et la lettre de Zabana qu'il adressa à ses parents. Evelyne a aussi participé à la mise en place du système éducatif algérien dans les années 70. Evelyne a rejoint son Safir. Pour le bonheur éternel dans leur douce terre. Ne les pleurons pas. Soyons, juste, fiers d'eux et de tous ceux de leur trempe.