De son vrai nom Nekachtali, Leila Nekkache, qui vient d'éditer son second roman*, fut toujours une silhouette familière dans les salles de rédaction. Celle qui fut durant quelques années correctrice à l'hebdomadaire Algérie-Actualité avait collaboré ces dernières années avec Horizons. Son livre s'attache à faire revivre un implacable destin et une trajectoire singulière, celle de Sadia Romane qui avait fui la Kabylie à la fin du XIXe siècle pour s'installer à Alger. Pauvre paysanne, elle fut élevée à Azzefoun, après la mort de son père jardinier, chez les Russel, une famille protestante. Cela fait aussitôt penser à Fadhma Ait Mansour, la mère de la l'écrivaine Taos Amrouche. Sadia ne cédera pourtant pas aux sirènes du prosélytisme. Elle n'aura pas également le même attachement au pays des origines pour lequel elle ne composera ni poèmes, qu'elle n'immortalisera dans nulle complainte. Ses affaires vont prospérer dans la capitale grâce à l'entregent des filles du pasteur qui, elles aussi, avaient quitté Azzefoun. C'est le premier et dernier mariage de Sadia avec le Caid Amar Romane qui préludera à une série d'événements tragiques qui conduiront à l'arrachement forcé au village Roma où elle connut un bonheur fugace. Le notable sera tué sur un chemin de montagne par des bandits. Succombant à un amour adultérin avec un proche du défunt qui payera de sa vie l'incartade, Sadia quittera précipitamment Azzefoun à bord d'un vapeur en compagnie de sa petite fille, Titem, et de son unique frère, Hend, adepte des zaouias et admirateur du poète Si Muhend. L'audace et la faiblesse de la jeune femme dont la vie contraste avec la misère des autres et l'effacement des femmes seront payées par un bannissement physique et symbolique. Ce n'est pas une saga familiale que nous conte notre consœur. Voulant mêler l'histoire de cette femme et des siens avec la grande histoire, elle intercale des notations sur le rôle des zaouias en Kabylie, l'histoire d'Alger et les mœurs de ses habitants. Cela ne va pas sans parfois rompre le rythme d'un récit où tous les ingrédients d'un bon livre sont réunis. Mieux qu'un récit de vie, c'est la recherche d'une mémoire évanescente qui semble guider l'auteur et Azziza, une arrière petite-fille de l'aïeule qui part à la recherche des traces d'un passé enseveli mais entretenu par des images, des allusions transmises de génération en génération. Le livre se conclut sur de belles et émouvantes pages d'un voyage de retour à Ighil Nzekri près de Yakouren à la découverte du village matrice d'où tout est parti. Vers Roma quasi mythique « dans ce petit bout du monde paisible, ensoleillé et ignoré, il n'y avait de ruelles, pas de lieu de prière rassembleur d‘hommes, pas de place à palabres » (P 159) Nekachtali réussit à nous restituer la détresse des lieux abandonnés là où « tout est englouti par le végétal rebelle et indiscipliné » (idem). Le livre pèche, certes, par quelques incohérences comme cette impossibilité à situer la naissance des deux sœurs de Titem, Rosa et Fadhma. Comment l'une et l'autre seraient-elles venues au monde alors que la mère était enceinte de l'enfant de son amant Amrane ? Il révèle pourtant des capacités réelles d'un auteur qui a rendu un hommage à ce qu'elle nomme joliment le pays chante-bonheur où s'entremêlent violence et tendresse. Serait-ce quelque part le sien, elle dont les racines familiales sont plongées en Kabylie maritime ?