Le colloque international, qui s'est ouvert mardi dernier à Bejaïa, revisite un grand moment de l'histoire nationale, à savoir l'insurrection de 1871, dernier grand soulèvement armé face à l'avancée coloniale en Algérie. Tassadit Yacine commence par souligner, dans sa conférence « Au-delà de 1871 : comment devient-on insurgé ? », le caractère singulier de ce mouvement populaire armé, mené par un politique et un religieux, qui sera poursuivi par leurs descendants qui partageront dans la défaite l'exil en Nouvelle-Calédonie qu'ils vivront avec des destins différents. Elle estime, par ailleurs, que la répression de cette insurrection, qui s'est propagée de Bejaïa au reste du pays, porte les germes des évènements futurs, comme ceux du 8 Mai 1945. Elle rappelle ainsi les milliers de morts, les destructions, les séquestres fonciers, l'insoutenable fardeau des impôts, qui plongent la population dans la misère. La conférencière jettera un rai de lumière sur le personnage d'El Mokrani, chef tribal qui a réussi à garder une autonomie vis-à-vis du pouvoir des Janissaires, commet une monumentale erreur en permettant aux troupes françaises de franchir les Portes de fer et d'accéder, par là même, à l'est du pays. Cette bévue politique le conduit graduellement à la déchéance puisqu'il est graduellement dépossédé par l'administration militaire coloniale de toute autorité sur la population pour se retrouver dans un statut de sous-fifre ruiné. Ce processus va finalement lui faire prendre conscience de ce que signifie concrètement la colonisation et l'amène à rejeter la tutelle française et à décider de prendre les armes contre elle. Le second intervenant, Mouloud Kourdache, considère que ce n'est pas tant l'histoire d'une dépossession d'un privilégié de ses biens et pouvoirs que celle de la destruction des institutions locales. Sa conférence, « Ath Muqran, histoire d'une dynastie et d'un pouvoir politique », s'attelle donc à retracer la généalogie des dynasties qui se sont succédé jusqu'à amener celle des Ath Abbas et la branche des El Mokrani à s'imposer sur ce territoire. Pour sa part, Françoise Vergès, dans une communication intitulée « Colonisation et dépossession : le vol des terres Algérie, Nouvelle-Calédonie, Madagascar », s'est attachée à montrer comment le schéma de dépossession s'est appliquée dans toutes les colonies, « s'enrichissant » des expériences menées, ci et là, y compris dans la Métropole, ce processus mêlant, comment en Nouvelle-Calédonie, des destins d'exilés de différentes origines, qu'ils soient communards, féministes, bagnards ou insurgés transformés en colons pour spolier les autochtones. L'intervention de Georges Morin se résume, elle, à travers son intitulé « Surmonter la tragédie coloniale et construire un avenir solidaire par l'information et la culture ». L'orateur, fondateur en 1985 en France de l'association « Coup de Soleil » pour lutter contre le racisme antimaghrébin, estime qu'il faut donner du temps au temps pour que cicatrisent les plaies de la mémoire. Ce colloque de deux jours prévoit également plusieurs autres conférences, dont « un point d'historiographie : 1871 Mokrani et cheïkh Ahadad » de Fouad Soufi, « La révolte à Djidjelli » de Ouanassa Siari Tengour, « Histoire des déportés algériens en Nouvelle-Calédonie » de Mehdi Lallaoui, « 1871 : stupeur et désarroi dans la poésie kabyle » de Abdelhak Lahlou » et « L'année 1871 : de la commune de Paris au soulèvement en Kabylie » de Benjamin Stora.