Les enquêteurs de la brigade économique et financière de la police judiciaire de la Sûreté de la wilaya d'Alger ont lancé une enquête sur le vol de médicaments dans des établissements hospitaliers. Cette enquête vient suite à l'affaire de l'hôpital de Béni Messous, dévoilée par le ministère de la Santé. « L'enquête va toucher l'ensemble des hôpitaux de la capitale », affirme un cadre de la Sûreté de wilaya. Les enquêteurs se sont basés sur des documents fournis par le ministère de la Santé, dont un inventaire sur les médicaments élaboré suite à des inspections effectuées par ses inspecteurs. Selon notre source, des membres du personnel médical ont été auditionnés. Il s'agit essentiellement de chefs de service, de médecins généralistes et de spécialistes, du personnel paramédical ainsi que des agents de sécurité. L'enquête s'est étendue au personnel administratif, dont des cadres gestionnaires. Au niveau de différents services des hôpitaux, les policiers ont passé au peigne fin les registres des entrées et des stocks. Premières conclusions : « il ne s'agit pas seulement de vol de médicaments, même du matériel médical a été également volé », précise une source policière qui n'écarte pas un détournement vers des cliniques privées. Les investigations ont révélé que deux services sont particulièrement visés : les urgences et la gynécologie obstétrique d'où d'importantes quantités de médicaments et du matériel de chirurgie ont disparu y compris des blocs opératoires.« Il s'agit de réseaux structurés qui sévissent dans les hôpitaux », signale un enquêteur proche du dossier. Dans l'affaire du CHU de Béni Messous, les services de police ont, en coordination avec l'administration de l'établissement, intercepté deux employés en flagrant délit de transfert d'une importante quantité de médicaments avec la complicité de deux personnes. Des vols en cascade Au niveau national, plusieurs cas de détournements de médicaments et d'équipements médicaux ont été constatés dans nombre d'établissements hospitaliers au Centre, à l'Est et à l'Ouest du pays. C'est ce qui ressort des enquêtes des services de sécurité. Ainsi, les éléments de la police judiciaire de la sûreté de la wilaya d'Oran enquêtent sur une affaire de détournement de poches de sang du centre de transfusion du CHU d'Oran vers des cliniques privées. Il faut savoir que la direction de la santé de la wilaya d'Oran avait déjà déposé plainte suite au vol de produits réactifs à la maternité, de feuilles de plomb utilisées en radiologie et d'un lot de matériel informatique au service d'épidémiologie et de médecine préventive. L'hôpital Bouzidi-Lakhder dans la wilaya de Bordj Bou-Arreridj a été déjà le théâtre d'une grande affaire de trafic de matériel médical. Huit employés ont été jugés, parmi eux le coordinateur paramédical, le chef du service de la pharmacie centrale, des infirmiers, un médecin généraliste et un agent de sécurité impliqués dans le vol et le détournement de médicaments de la pharmacie centrale et ce, en utilisant à de fausses ordonnances. A Annaba, il s'agit du vol de Dozycept, un médicament prescrit par les médecins spécialistes uniquement, aux personnes souffrant d'Alzheimer. L'ex-directeur de l'hôpital psychiatrique El Razi, ainsi qu'un professeur en psychiatrie, un médecin exerçant dans cet établissement ont été jugés et condamnés pour détournement de fonds publics, corruption et mauvaise gestion. Des pilules abortives détournées Par ailleurs, les services de la Gendarmerie nationale ont neutralisé des réseaux spécialisés dans l'avortement clandestin. Les enquêtes ont fait ressortir que les pilules utilisées pour l'interruption volontaire de grossesse (IVG), produits hospitaliers interdits à la commercialisation et à la vente dans les pharmacies, sont volées des services de maternité et gynécologie obstétrique des CHU comme Béni Messous, Mustapha-Pacha, Nefissa-Hamoud (ex-Parnet) et des hôpitaux de Rouiba et Kouba. Des infirmiers, des femmes de ménage et des sages-femmes sont impliqués dans ces détournements vers des cabinets clandestins spécialisés dans l'avortement. De même pour les médicaments anticancéreux qui ont été détournés vers des pharmacies ces deux dernières années. Le SNPSSP : l'activité complémentaire à l'origine des dérives Pour le Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP), « l'activité complémentaire est à l'origine de cette situation ». Cette pratique permet à un praticien spécialiste de la santé, exerçant dans le secteur public, d'avoir des activités dans le secteur privé. Le SG du syndicat, le docteur Mohamed Yousfi, a plaidé pour l'abrogation de cette mesure. « Cette décision est à l'origine des pratiques de détournement constatées dans les hôpitaux. Le détournement des médicaments est lié à l'activité complémentaire qu'on a de tout temps dénoncée. Elle a détruit le système de santé national », estime-t-il. Il a précisé que ces pratiques sont courantes au niveau des établissements hospitaliers, sauf que les inspections lancées par le ministère de la Santé ont levé le voile sur les dysfonctionnements dans la gestion. « Les médicaments sont détournés vers des cliniques privées par des médecins spécialistes, des agents paramédicaux et même des chefs de service », affirme le docteur Yousfi et d'ajouter : « la plupart des cliniques privées travaillent au noir, employant le personnel du secteur public. Le médicament n'est qu'une partie visible des activités complémentaires ». Le SAP : les cliniques privées doivent être contrôlées Pour le Syndicat algérien des paramédicaux (SAP), il faut également contrôler les cliniques privées afin de déterminer l'origine de leurs équipements et médicaments. « Les fonctionnaires et les employés impliqués dans ces pratiques doivent être dénoncés et sanctionnés. On se pose des questions sur les pénuries des médicaments dans les hôpitaux publics alors qu'on évoque des cas de détournement vers des cliniques privées », observe le secrétaire général du SAP, Lounès Ghachi. Selon lui, il s'agit de délits commis et par les auteurs du vol et par les cliniques privées qui achètent des médicaments de manière illégale, sans facturation et avec des prix dérisoires. « Normalement les médicaments sont vendus par la pharmacie centrale des hôpitaux sauf que cette règle n'est pas respectée par les cliniques privées qui ne cherchent qu'à faire des bénéfices », affirme-t-il. Le SAP plaide pour le contrôle des cliniques privées et la prise de mesures à l'encontre de celles impliquées dans ce genre de trafic. « Il s'agit de vol de médicaments destinés aux malades, ce qui est grave », rappelle Ghachi.