Elle est allée au bout de sa colère, la présidente du Brésil ; qui n'a pas arrêté de pester, depuis quelques mois, contre la main mise américaine sur le réseau internet, suite, notamment, aux révélations faites en septembre dernier par l'ancien agent de la NSA américaine, Edward Snowden, selon lesquelles ses téléphones auraient été mis sous écoutes. Après avoir vainement tenté une sortie diplomatique mondiale, dans le concert de l'ONU, où elle voulut faire condamner l'espionnage des communications privées, elle finit par convier les acteurs de la gouvernance internet à un sommet mondial, improvisé, tenu les 23 et 24 avril à Sao Polo, dans le but de définir les contours d'une gouvernance mondial de l'internet dans un futur non encore tracé. Plus de 80 pays ont ainsi pris part à cette rencontre à laquelle les organisateurs brésiliens ont également convié des universitaires, des experts, des représentants d'organisations non gouvernementales ainsi que ceux du secteur privé. Alors que certains évoquent un succès du gouvernement brésilien au niveau de l'organisation de cette importante manifestation, d'autres pointent les limites imposées à la participation, qui s'est finalement établie à environ 800 représentants, loin, pensent-ils, devant les 2.000 délégués qui assistent régulièrement aux réunions de l'ICANN, l'association américaine chargée de la gestion des adresses et noms de domaine de l'internet, seul organisme en réalité à exercer pour l'heure une véritable gouvernance du réseau internet. Le gouvernement brésilien a tenu à marquer ce sommet de son empreinte en décrétant la forme de gouvernance souhaitée : « Le Brésil préconise une gouvernance de l'Internet multisectorielle et multipartite, démocratique et transparente. Nous considérons le modèle multipartite comme la meilleure forme de gouvernance de l'Internet », a fait savoir Dilma Rousseff, la présidente du Brésil, citée par le site du quotidien français lemonde.fr. Le texte de la déclaration finale du NetMunidal marque également une vive dénonciation de la politique d'interception des données personnelles adoptée par les renseignements américains et note ainsi que « La surveillance de masse et arbitraire mine la confiance dans l'Internet. La collecte et l'utilisation de données personnelles par des acteurs étatiques et non étatiques doivent être soumises aux lois internationales des droits de l'homme ». En insistant sur le caractère multipartite ainsi que sur le respect des droits de l'homme, le sommet du Brésil marque une petite démarcation avec d'autres tenants de la ligne dure de la remise en cause de la suprématie américaine, notamment la Chine et la Russie. Pour rappel, le réseau internet, encore marqué par son histoire, demeure effectivement entièrement centré sur les Etats Unis tant dans son architecture, le flux des informations en circulation, la valeur créée que les organismes de gestion technique. Pour illustration, le volume des échanges de données passait pour près de 97% par le continent nord américain, selon un article académique de Gilles Puel et Charlotte Ullman, publié en 2006, dans la revue l'Espace Géographique. Cette situation acquise au cours de l'histoire de la création du réseau internet qui a débuté juste après la Seconde guerre mondiale, procure aux Américains un net avantage économique et des leviers de puissance sur la gestion de cette ressource mondiale. Leur domination commencera néanmoins à être ouvertement contestée dès la fin des années 1990, avec la généralisation de l'utilisation publique du web, et le début de l'apparition d'importants enjeux politiques et économiques. Depuis, deux thèses s'affrontent et continuent de le faire, jusqu'à ce récent sommet de Sao Polo, sur la conception à faire prévaloir pour une hypothétique gouvernance internationale de l'internet. Les Américains, soutenus par beaucoup de pays développés, et du bout des lèvres par l'Europe, considèrent que le réseau internet est une source de l'innovation et de la croissance économique et de ce fait doit rester un business privé dont la gestion doit être tenue à l'écart de la conduite des pouvoirs publics et se faire, en bonne gouvernance, avec la participation de tous les acteurs : privés, société civile et gouvernements. Ils militent de ce fait pour le maintien d'un statu-quo qu'ils ont toujours défendu, comme ils viennent encore de le faire à Sao Polo. De l'autre côté, des pays émergents, dont l'Algérie et le Brésil, représentés par la Chine et la Russie, estiment que le réseau internet étant une ressource publique mondiale, sa gestion doit relever d'un organisme multilatéral, qui serait idéalement placé sous la tutelle des Nations unies ; le président russe, Poutine, a même, fait le voyage à Genève, au siège de l'Union Internationale des Télécommunications, du temps où il était premier ministre, pour dire son idée de faire abriter le gouvernement de l'internet au niveau de cette instance technique de l'ONU. L'idée étant de faire valoir la responsabilité des gouvernements dans la conduite de l'internet pour éviter les multiples dépassements dont il pourrait faire l'objet. Quelque temps avant la tenue du Net Mundial de Sao Polo, le gouvernement américain avait tenté de désamorcer la fronde en promettant une internationalisation effective de l'ICANN dès 2015. Son dynamique président , l'Américano-Egypto-libanais, Fadi Chehadé, mis au parfum quelques instants avant la publication de la décision du ministère du Commerce américain de se départir de la tutelle de cet organisme, milite activement pour donner un dimension internationale visible à l'ICANN, même si des observateurs font encore la moue devant ce qu'ils estiment une tentative de Washington de gagner de temps et de désamorcer la colère suscitée par les révélation de l'agent Snowden. Les participants au sommet de Sao Polo ont également pris note de cette promesse américaine, en appelant, cependant, comme le rapporte le site lemonde.fr à ce que « le processus de globalisation de l'Icann conduise à l'établissement d'une administration véritablement internationale et globale au service de l'intérêt public ». En consacrant certains principes, et omettant d'autres, nécessaires à la bonne conduite du dossier de la gouvernance de l'internet, ce sommet brésilien marque également des frontières au sein même du bloc de pays opposés à la domination américaine. Contrairement à la Russie et à la Chine, qui focalise plus sur les principes de sécurité et de souveraineté des Etats, le Brésil n'a pas omis de faire mentionner l'impératif du respect des droits de l'homme, dont celui, souligne la déclaration finale, d'avoir « un accès Internet universel, égalitaire, abordable et de haute qualité » pour accélérer « le développement humain et l'inclusion sociale, sachant que la fracture numérique, cette véritable frontière dans les territoires de l'internet, empêche près des deux tiers de la population sur la planète d'avoir accès au réseau internet. Sur le même registre des droits humains, la déclaration de Sao Polo rappelle que « les droits des personnes hors ligne devaient aussi être protégés en ligne », rapporte le site lemonde.fr Hormis les déclarations de principes et le rappel des grandes orientations du débat sur la gouvernance internationale de l'internet, ouvert depuis le sommet mondial de 2003, et dont le parachèvement paraît de plus en plus hypothétique, ce NetMundial a permis de collecter un bon nombre de contributions venant de toutes les parties prenantes de cette rencontre. « En amont de la réunion, 188 soumissions ont été envoyées au comité d'organisation. Des textes contenant des propositions, parfois concrètes, parfois plus abstraites, sur des sujets variés », note le quotidien français lemonde.fr qui fait remarquer également que « Parmi les contributeurs d'idées, 22 gouvernements et même la commission européenne, dont la vice-présidente, Neelie Kroes, a été particulièrement diserte sur le sujet. » Rien que pour cela, beaucoup parmi les participants n'ont pas hésité à crier au succès de la manifestation. Présent à Sao Polo, Vint Cerf, l'un des pères fondateurs du protocole de communication web, devenu depuis ces derniers temps vice-président de Google, estime que « ce sommet, qui a reçu de nombreuses adhésions et de participants, est déjà en soi un véritable succès. Le temps de préparation était très court et le document final est très bon, beaucoup l'ont souligné », ajoutant, selon le site lemonde.fr que « cette réunion est une contribution importante, mais ce n'est pas la fin de l'histoire. Tous les problèmes ne peuvent pas se résoudre en deux jours. Maintenant, nous avons au moins une bonne base ». Un peu moins prononcés, d'autres participants ont déploré le silence de la déclaration de Sao Polo sur un principe fondamental de l'internet, celui de la neutralité du réseau, que d'aucuns commencent pourtant à remettre en cause ; à commencer par les Etats Unis, dont une cour de justice vient d'autoriser la pratique d'un internet à deux vitesses. Le président des travaux de ce sommet, le Brésilien Virgilio Almeida, a eu, pour sa part, le succès modeste expliquant sur le site lemonde.fr : « Ce n'est peut-être pas parfait, mais c'est le résultat d'un processus multilatéral (...), la première pierre d'un chemin que nous construisons tous ensemble. »