La ville de Samara traduit, à elle seule, tout le paradoxe irakien. Elle est à la fois, outre la ville natale du chef de l'EIIL, Aboubakr El Baghdadi, un pôle sunnite important et un foyer chiite abritant l'un des grands lieux saints chiites d'Irak, le mausolée des imams Ali al-Hadi et Hassan al-Askari. Autant d'ingrédients qui ont fait basculer le nouvel Irak dans l'horreur de la guerre confessionnelle héritée du projet GMO (Grand Moyen-Orient). C'est dans cette ville, transfigurée par l'attentat odieux commis en 2006 contre le patrimoine commun du Mausolée des imams, que l'étincelle a jailli pour transformer l'Irak en gigantesque brasier. Aujourd'hui, face à la menace de l'EIIL qui se prépare à marcher sur Bagdad après avoir conquis Kirkouk et Mossoul, au Nord, Tikrit, au Centre, et Diyala, à l'Est, elle est le point de ralliement de la contre-offensive du commandant en chef des forces armées, Nouri El Maliki, doté, selon un communiqué mis en ligne vendredi soir sur son site, de « pouvoirs illimités » conférés par le gouvernement. Le commandant des forces armées irakiennes, qui a évité de passer par l'épreuve parlementaire hypothétique, peut-il réussir là où le Premier ministre a failli ? El Maliki s'est rendu à Samara pour organiser la résistance qui présente ses premiers faits d'armes en repoussant, mercredi, un assaut de l'EIIL, forcée de contourner la ville pour prendre des secteurs comme Salaheddine et Dhoulouiya. L'espoir renaît et se comptabilise en « victoires » arrachées dans trois localités de Baghdad, celle d'Isahqi où les corps brûlés des 12 policiers ont été retrouvés, Mouatassam et, un peu plus tard, Dhoulouiya (90 km de Baghdad). Les forces de police et de l'armée, arrivées en renfort, prennent pied à Samara pour reprendre Tikrit, le chef-lieu de Salaheddine et des villes de la même province, Douer et Baji, a indiqué un colonel, un des commandants responsables de la sécurité locale. Dans cette « guerre contre les ennemis de la foi », proclamée solennellement par Nouri El Maliki, l'avènement des « milices citoyennes » et le soutien des tribus visent à pallier les défaillances d'une armée déstructurée et mal préparée aux défis sécuritaires. La reconquête de Dhoulouiya, fêtée par ses habitants par des coups de feu en l'air, scelle une alliance incontournable confortée par l'appel de l'ayatollah Ali Sistani qui a demandé, dans un message lu par son représentant à Kerbala, au sud de Bagdad, aux « citoyens qui peuvent porter les armes de combattre les terroristes pour défendre leur pays, leur peuple et les lieux saints », à se porter volontaires et « s'enrôler dans les forces de sécurité pour mener cet objectif sacré ». Le combat irakien contre le terrorisme est tout aussi bien béni par les Etats-Unis et l'Iran voisine, partageant le refus de toute intervention militaire et favorable à une forme de coopération évoquée par le président Hassan Rohani. Cette évolution, dessinant les contours d'un rapprochement amorcé lors des discussions bilatérales sur le programme nucléaire, sera-t-elle effective sur le terrain ? Le Président iranien se déclare « prêt à aider l'Irak, si le gouvernement irakien nous le demande sur la base du droit international, de la volonté du peuple et du gouvernement irakiens ». Mais il a appelé les Occidentaux et certains pays arabes, accusés de soutenir les groupes armés à l'image des combattants de l'EIIL venus de Syrie, de « joindre l'acte à la parole dans la lutte contre le terrorisme ». Le dilemme occidental est évident : soutenir l'EIIL en Syrie et la combattre en Irak.