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« La priorité était de jeter les bases des institutions de l'état algérfien » 5 Juillet, fête de l'indépendance - L'historien et écrivain Mohamed Abbès à Horizons
L'Algérie célèbre le 52e anniversaire de l'indépendance. Que représente réellement cette date ? Il faut d'abord signaler que l'indépendance de notre pays est le résultat d'un long combat de deux générations qui ont préparé la plateforme de la révolution. La première génération représentée par Messali El Hadj et Si Djilani, le noyau dur de la révolution, et la deuxième génération représentée par Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et bien d'autres. Ces derniers ont mis en place la conception d'un parti révolutionnaire. La première génération était formée politiquement, elle a réussi à vulgariser l'idée de l'indépendance et les principes des sacrifices, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, pour mobiliser une grande partie du peuple. Ils étaient très nombreux à rejoindre l'idée de la guerre. Pour preuve, un simple employé dans une société de transport, le militant Mohamed Derouaz, a remporté les élections partielles au mois d'avril 1939, devant l'association des oulémas algériens et le mouvement des députés. C'était un test pour les révolutionnaires et une preuve que le peuple soutenait l'indépendance. C'est ce qu'a compris un grand politicien, en l'occurrence Ferhat Abbès : le peuple algérien veut l'indépendance et n'adopte plus ses idées d'intégration. C'est alors qu'il a décidé de s'allier avec les nationalistes. Après les événements du 8 mai 1945, les révolutionnaires ont décidé de s'imposer, comme un courant fort, pour la préparation de la guerre de la révolution. C'est ainsi qu'ils ont décidé de créer une organisation spéciale. Et c'est là que la deuxième génération a fait son apparition. Il s'agit, entre autres, de Hocine Aït Ahmed qui était étudiant, Ahmed Ben Bella, élu local, et Mohamed Boudiaf, un simple employé. L'idée de la révolution s'est transformée alors en décision. Le FLN historique de 1954 à 1962 avait le mérite de créer une synergie parfaite entre trois facteurs de lutte, le facteur militaire nécessaire pour créer la rupture par le sang, le politique qui est permanent et dominant et la diplomatie dont les efforts à l'extérieur étaient mieux connus. Les leaders historiques ont pris la décision d'aller vers l'action armée, au bon moment, notamment sur le plan extérieur parce que la guerre d'Algérie a été déclenché au mois de novembre et le mouvement des non-alignés est né en décembre. Le FLN était présent dans ce mouvement. L'appel du 1er Novembre était clair, les revendications étaient précises, c'était une plateforme pour la paix et une déclaration de guerre, une guerre pour la paix. Le peuple algérien était prêt, engagé et mobilisé. La révolution a été lancée avec des moyens très limités mais elle a réussi grâce à l'engagement du peuple et celui des leaders historiques qui n'étaient pas des amateurs mais de vrais professionnels et de bons négociateurs. Le mouvement nationaliste en Algérie était à l'origine un mouvement des travailleurs. L'indépendance en l'année 1930 était un rêve de la génération de Hocine Lahoual, un espoir pour la génération des étudiants des années 1940, comme Chawki Mostafaoui qui espérait réaliser l'indépendance en 1980. Concrètement, comment s'est organisé l'Etat national au lendemain l'indépendance ? Y a-t-il eu à un moment ou à un autre un vide institutionnel ? En 1962, l'Algérie a obtenu son indépendance de la France et une nouvelle constitution a été adoptée l'année suivante. Selon les accords d'Evian, un exécutif provisoire a été créé, dans la wilaya de Boumerdès, juste après l'indépendance. Les Français ont exigé un référendum populaire sur l'indépendance, parce qu'ils ne reconnaissaient pas ce gouvernement provisoire. Un organe paritaire composé d'Algériens et de Français a fixé la date du référendum pour l'élection d'une assemblée constituante qui remettra les instruments de souveraineté du gouvernement de Boumerdès. L'assemblée constituante qui a été créée trois semaines après les élections législatives a été confrontée à une crise de pouvoir, je dirais, une crise entre le gouvernement et l'aile représentée par Ben Bella et Boumediene. La sagesse a prévalu dans la désignation du premier gouvernement algérien, au lendemain de l'indépendance du pays en dépit des incompatibilités personnelles, nées de ce qui était appelé crise de l'été 1962. La constituante a été mise en place le 20 septembre, cela dit, cette crise a créé un vide institutionnel mais qui a été vite rattrapé grâce à la sagesse de plusieurs parties qui ont cédé aux circonstances et aux forces. Ben Bella et Boumediene ont mis ces personnalités devant le fait accompli. Cette constituante devait constituer un gouvernement mais aussi rédiger la Constitution. Boumediene et Ben Bella étaient des militaires et la Constitution a été élaborée à la salle Atlas. Ben Bella voulait un régime présidentiel alors que Ferhat Abbès, président de cette assemblée, voulait une Constitution qui assure l'équilibre entre les pouvoir exécutif et législatif, mais malheureusement les rapports de force, à l'époque, n'ont pas permis cet équilibre. Ce n'était donc pas une Constitution de consensus... Au contraire, des figures ont été exclues, comme Ferhat Abbès qui a fini par démissionner de la présidence de l'assemblée. Même Krim Belkacem, Benyoucef Benkhedda et nombre d'autres figures de la révolution ont été écartées de la liste des personnes chargées de l'élaboration de la Constitution. La liste a été établie essentiellement par Mohamed Khider et Ahmed Ben Bella. Les responsables de l'époque avaient le souci de préserver la sécurité, l'unité et l'indépendance de l'Algérie afin de ne pas remettre en cause les accords d'Evian. La crise a été dépassée grâce à la sagesse et aux concessions des exclus. La priorité, à l'époque, consistait à jeter les premières bases de l'édification des institutions de l'Etat algérien. L'Assemblée constituante a été élue le 20 septembre 1962. Ahmed Ben Bella élu chef du Gouvernement a fait préparer un projet de Constitution, adopté le 28 août 1963 par l'Assemblée, approuvé par référendum le 8 septembre et promulguée le 10 septembre. Il a été élu président de la République le 15 septembre. La Constitution est suspendue dès le 3 octobre, lorsque Ben Bella s'attribue les pleins pouvoirs. Elle est abrogée lorsque Houari Boumediene prend le pouvoir le 19 juin 1965. Il y avait un problème institutionnel, dès le début, je dirais qu'on était mal partis. Aujourd'hui, 52 ans après l'indépendance, des consultations sont menées pour une Constitution de consensus. Certains historiens affirment que ce consensus aurait dû être recherché en 1963. Qu'en pensez-vous ? Aujourd'hui, beaucoup de partis politiques appellent à la mise en place d'une assemblée constituante à l'exemple du FFS et même la secrétaire générale du Parti des Travailleurs, Louisa Hanoune, le revendique aujourd'hui. Cela prouve qu'on ne reconnait pas la constitution d'origine, puisqu'on revendique une révision de fond. La Constitution est une loi fondamentale, ce sont des règles du jeu qu'on doit respecter. C'est un constat amer que je fais : Ben Bella a fait sa propre constitution, qui n'avait aucunement un lien avec l'esprit de la vraie démocratie. Aujourd'hui, il faut mettre en place une constitution de base pérenne. Certes, elle peut être amendée, mais ce sera après un long moment. Il faut savoir que la constitution est la source d'autres lois aussi fondamentales. En 1963, on devait créer une constitution car l'enjeu après l'indépendance était de construire cette Algérie qui méritait une indépendance sur plusieurs plans, à savoir une forte économie, une culture nationale et l'émancipatrice. La période post-indépendance méritait plus de sacrifices. On parle toujours de la nécessité de réunir les témoignages pour une écriture objective de l'histoire. Qu'en est-il de cet engagement ? La vérité historique est compliquée. Certes, les témoignages sont très importants et nécessaires du fait qu'ils peuvent détailler sur le contenu des documents. C'est très important pour l'historien de réunir des témoignages et de rapporter l'état du témoin, notamment sur le plan psychologique, cela donne une dynamique à l'histoire, mais je tiens à dire, en ce sens, que malheureusement les documents et les archives sur la révolution et la guerre d'Algérie ne sont pas à la portée des historiens. Récemment, j'ai lu le témoignage riche du Dr Mohamed Toumi sur la Wilaya 2. Les historiens doivent avoir accès aux documents de tous les acteurs de la guerre d'Algérie. On doit quelque part libérer ces documents pour une écriture réelle de cette partie de l'histoire. En fait, il fallait aussi réunir les témoignages, juste après l'indépendance, parce que malheureusement on constate la disparition de plusieurs témoins clés. Justement, la question des archives est-elle une entrave à l'écriture de l'histoire ? Moi je pense que le plus important, c'est de revendiquer les archives sur « la période ottomane » en Algérie, c'est notre histoire et c'est plus important, parce que ça concerne l'Algérie et non la France. A propos des archives sur la guerre d'Algérie, on peut réclamer des copies, pour la reconstruction de la mémoire. Il faut orienter les efforts vers les secrets de la guerre, dans ces archives, et ici je crois, que c'est le rôle des services de renseignement et ce sera de bonne guerre. Les écrits polémistes publiés récemment sur la mort du colonel Amirouche et l'assassinat de Abane Ramdane peuvent-ils porter atteinte à la révolution ? Bien au contraire, les contradictions, les témoignages, les écrits polémistes sont importants pour les historiens, c'est une matière consistante qui peut contribuer à entretenir la mémoire et éclaircir des pans de notre histoire. Le jeune Algérien peut découvrir une autre logique de guerre et non seulement la logique de la paix. Des décisions ont été prises, dans des situations d'urgence, elles pouvaient être une erreur. Par exemple, Boussouf a limité, par ses décisions, largement les dégâts dans les Wilayas III et IV. D'autre part, il faut savoir que dans l'écriture de l'histoire il y a des niveaux, celui de l'historien, du témoin et du citoyen écrivain. A chacun son écriture mais aussi ses objectifs. L'historien Benjamin Stora a recensé plus de 2.500 ouvrages français sur la période de la guerre en Algérie, mais on a l'impression qu'il y a toujours un vide sur cette époque... C'est un constat. Nous devions, nous Algériens, faire des ouvrages pour présenter notre expérience aux peuples colonisés. Mais, malheureusement, on constate un retard dans l'accès à la documentation de la révolution et le recoupement des témoignages, à l'exemple de Mohamed Seddik Benyahia, qui constitue la conscience du gouvernement provisoire. Plusieurs témoins clés sont décédés, mais rien n'empêche d'écrire l'histoire afin de remplir ce vide. La vérité historique est une vérité ouverte, c'est un avantage. Certains disent que les accords d'Evian comportent des clauses secrètes sur les essais nucléaires... En réalité, il n'y a pas eu de clauses secrètes dans ces accords. Les accords étaient seulement présentés autrement et d'une autre façon. Ainsi, on parlait d'essais scientifiques alors que la France préparait des essais nucléaires dans plusieurs régions comme Reggane et Oued Ennamous. Dans les accords d'Evian, les Français ont fait prévaloir le langage diplomatique sur le langage militaire. On a vu en France l'adoption d'une loi glorifiant le colonialisme. Par contre, la disposition sur la criminalisation du colonialisme en Algérie est toujours en instance... En tant que nationaliste, je dirais que chacun doit s'orienter vers ses propres préoccupations et ses affaires. Que la France adopte cette loi, c'est son affaire, même s'il s'agit de glorifier un crime, mais pour nous, la vérité historique est là : On a eu notre indépendance et notre souveraineté et on a réussi à déjouer le plan de la France de constituer sa troisième force. Sur le plan militaire, l'ALN a prouvé qu'elle était une grande armée qui a pu faire face à une puissance mondiale. Sur le plan diplomatique, il faut savoir que ce sont les Français, qui ont demandé la trêve lors des accords d'Evian. La vérité est là, on n'a pas besoin de disposition ou de loi, pour la préserver. L'Histoire est là. Malgré le départ massif des pieds noirs, au lendemain de l'indépendance, il restait une forte communauté de Français en Algérie. La France avait-elle un droit de regard sur leur sort ? Je reviens dans ma réponse sur la crise de l'été. Les choses n'étaient pas faciles dans l'élaboration de la liste du gouvernement de l'indépendance. La première rencontre entre Krim Belkacem et Ahmed Ben Bella, tenue à Alger pour arrêter la composante définitive du gouvernement, a été sanctionnée par un échec. La situation était instable, ce qui avait amené la France, toujours présente en Algérie, à brandir la menace d'intervention sous prétexte de protéger ses ressortissants.