La Turquie est dans tous ses états. Au cœur du dilemme posé par la menace de l'EI, perçu comme un allié en Syrie et l'ennemi à combattre en Irak, Ankara a été douloureusement rattrapé par le drame de Kobané (Aïn El Arab) aux mains de l'EI après 3 semaines de combats acharnés. Malgré les raids de la coalition qui les ont contraints à se retirer de certains secteurs et de la périphérie sud-ouest de la troisième ville kurde de Syrie, les combattants de l'EI restent plus présents à l'est et au sud de la ville assiégée où les affrontements ont toujours lieu, selon le journaliste et militant kurde, Moustafa Ebdi, notamment dans « les rues du quartier de Maqtala » jonchées de cadavres de Daech. Des centaines de civils sont pris au piège de la prise de Kobané confronté à « une situation humanitaire difficile » et au bilan désastreux de 412 victimes recensées depuis le déclenchement de l'offensive de l'EI, le 16 septembre, et de l'exode de quelque 300.000 habitants dont 180.000 ont pu trouver refuge en Turquie. La bataille « terrifiante » de Kaboné impose le combat « jusqu'au dernier Kurde », selon l'expression d'un responsable local, Idriss Nahsen, peu convaincu de l'efficacité des raids « insuffisants pour battre les terroristes au sol ». Le cri de désespoir a retenti au cœur de l'institution européenne où plusieurs manifestants kurdes ont fait une brève irruption au Parlement assurant, par la voix de son président Martin Schulz, un soutien ferme aux « efforts internationaux ». Mais l'appel au secours interpelle aussi et surtout les autorités de l'autre côté du réduit de moins de 5 km2, défendu bec et ongles par les milliers de Kurdes de Kobané déserté par les 140.000 habitants. A quelques centaines de mètres, la guerre à huis clos est observée par des journalistes et des combattants kurdes impuissants. Des troupes turques cantonnées à un poste frontière maintiennent le statu quo soufflé par Ankara bloquant les renforts kurdes empêchés de passer la frontière et réclamant une intervention terrestre qu'elle n'entend pas mener en solitaire. La Turquie, qui ne perd pas de vue sa « priorité » syrienne, celle de faire tomber le régime de Bachar Al Assad, est en mauvaise posture. Le piège kurde s'est-il irrémédiablement refermé sur Ankara ? L'onde de choc a touché de plein fouet la « capitale kurde » de la Turquie, la ville de Diyarbakir, peuplée d'un million d'âmes, désertée après une nuit de sanglantes manifestations qui ont fait 14 morts. A l'appel du principal parti politique kurde de Turquie, les Kurdes sont descendus dans les rues de tout le pays pour dénoncer l'inaction d'Ankara. Des heurts entre les militants du PKK et leurs adversaires islamistes du HUDA-PAR, accusés d'être favorables au groupe Etat islamique, ont failli dégénérer. Un couvre-feu a été décrété, pour la première fois depuis 12 ans, dans les 6 provinces du sud-est à majorité kurde (Diyarbakir, Mardin Van, Mus, Batman et Siirt) où l'armée a pris position pour tenter de ramener le calme.La compagnie nationale Turkish Airlines a annulé jusqu'à nouvel ordre tous ses vols vers Diyarbakir. La tension n'est pas encore retombée à Ankara où le Premier ministre Ahmet Davutoglu tient une réunion de sécurité pour faire le point sur les événements qui ont mis en danger le processus de paix. Pour le leader du PKK, Abdullah Ocalan, la chute de Kaboné signifie la fin de la paix conclue il y a 2 ans.Dans un message relayé par son frère, il a fixé au 15 octobre un ultimatum adressé au gouvernement turc pour relancer les pourparlers. Le casse-tête turc exprime le vrai dilemme occidental qui se refuse à tout déploiement des troupes au sol. D'Ankara, le malaise s'est transposé en Allemagne où des affrontements entre des militants islamistes et les communautés kurde et yazidi ont fait, hier, au moins 23 blessés. La contagion kurde, une menace tangible pour un drame occulté.