La révolution ne fut pas qu'une affaire d'adultes. On connaît certes le pathétique et tragique destin de Omar Yacef immortalisé par «La Bataille d'Alger». Son sacrifice confine à la légende mais il ne fut pas seul. Ils sont des centaines dans les villes et «mechtas» à avoir été pris dans l'engrenage de la guerre. Les enfants de Novembre ont existé aux quatre coins du pays. Ils demeurent pourtant pour la plupart dans l'anonymat. Et puis étaient-ils vraiment sortis de l'enfance ces jeunes qui se sont sacrifiés pour la liberté ? La maturité n'attendait pas alors le passage des années. A dix ans, la rue s'est déjà chargée de durcir les sentiments, de semer les graines de la conscience et de la révolte. Quand les avions larguaient leurs bombes, les mortiers déversaient leur déluge de feu, parmi les victimes on dénombrait aussi beaucoup d'enfants. La mémoire tenace a retenu beaucoup de scènes où un enfant meurt en continuant à téter le sein de sa mère. D'autres erraient seuls et en pleurs dans les décombres fumants d'un village incendié. La barbarie coloniale a tué d'autres dans le ventre de leurs mères. Les images des enfants privés d'innocence, jetés tôt dans l'enfer de la violence, sont la preuve vivante de l'inhumanité de la guerre. Saïd Ferdi fut l'un des rares a avoir fourni en publiant en 1981 «Un enfant dans la guerre » un témoignage sur cet aspect cruel de la guerre. Il a levé le voile sur une tragédie que les historiens ont peu dévoilée. La souffrance était pourtant multiforme. Si le récit sus-cité s'attache à une enfance saccagée par la guerre dans les Aurès, évoque l'enrôlement forcé de gamins dans les harkas, d'autres enfants ont souffert le long des frontières où ils étaient parqués dans les villages de réfugiés. La séparation avec un père au maquis ou une mère emprisonnée est une forme de déchirement indicible. La guerre fait mûrir précocement. On devient responsable avant l'heure. On ouvre les yeux sur un drame qui oblige à dépasser son âge. Des enfants ont été ainsi utilisés pour transmettre un message et filer entre les mailles d'un filet quasi-infranchissable. Quand sous d'autres cieux plus cléments des fillettes dorlotaient leurs poupées, de petites Algériennes se chargeaient de dissimuler une arme encombrante, d'effacer le passage de moudjahidine. La guerre a tatoué la mémoire de toute une génération privée de jeux, d'instruction. Malgré elle, elle s'est retrouvée dans le tourbillon dont les adultes soufflaient et attisaient le feu.