C'est un personnage qui parsème souvent sa discussion d'un proverbe du terroir. Parfois, il n'hésite pas à réciter un poème qu'il vous somme presque d'apprécier et de retenir comme s'il s'agissait d'un présent précieux qu'il offre généreusement à son vis-à-vis. Il n'a rien de ceux qui sont toujours à l'affût des erreurs de leurs semblables, dont le plaisir suprême serait de les prendre en défaut, pour qui le dernier souci serait la beauté d'un mot, d'une expression. Il est d'un bon commerce comme tous les chercheurs attachés seulement à dénicher un nouveau document, à capter une parole comme si le reste est relégué et cantonné au domaine des futilités. Il a toujours à portée de main une feuille et un stylo. « Il m'est même arrivé d'interpeller, dans un bus, au café, une personne si j'entend de sa bouche un bon mot, une citation » nous avoue-t-il en tirant aussitôt de sa poche un papier griffonné à la hâte. Est-ce un hasard s'il cite, en kabyle, une expression équivalente à celle du Malien Amadou Hampaté Ba pour qui « quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle » ? Depuis le début des années 70, alors qu'il avait moins de vingt ans, cet enfant d'une commune de haute Kabylie parcourt les villages, tend l'oreille aux vieux, dépositaires d'une mémoire qui se décline en proverbes, poèmes et contes. Un trésor d'oralité qu'il s'évertue à préserver même dans les feuilles mortes d'un document. Le travail est âpre et passionnant. Si l'homme est connu dans le milieu de la recherche sur le patrimoine ayant, nous dit-il, « aidé des hommes comme Mouloud Mammeri dans la collecte d'informations sur son livre sur Cheikh Mohand paru chez Laphomic Bougchiche Lamara ou Jacques Lanfrey », on peut regretter qu'il ait, par contre, peu publié. Hormis son livre paru en 2006 et réédité quatre ans plus tard à compte d'auteur sur « les isefras de Si Mohand », où il a révélé une vingtaine de pièces inédites, il ne cesse d'empiler les manuscrits. Une vingtaine dorment dans ses tiroirs. Cette activité débordante touche plusieurs domaines. Il s'est autant intéressé à l'histoire de la ville de Ain El Hammam qu'à la vie et à la poésie de Youcef Oulfkih. Il a sauvé de l'oubli plus de 200 poèmes de l'aède mort en 1955. « J'ai pu soutirer quelques poèmes à des vieux qui, à un âge avancé, hésitaient parfois à s'épancher, à réciter un vers léger » dit-il. Mais rien ne le dissuade de continuer à arpenter les territoires de la mémoire. Il évoque aussi un recueil de contes et d'élégies kabyles préfacé par le professeur Youssef Nacib depuis 2005. « Je ne veux pas confier toute cette production à un éditeur ». En tout, il estime posséder 1.537 poèmes de Yucef Ukaci, de Belaid Ath Ali, en attente de publication. Le chercheur semble échaudé par l'usage qui est fait de la notion de domaine public. « Aujourd'hui, nous dit il, elle sert à accaparer du travail et des efforts pour se faire un nom ». Une sorte de facilité chez ses pairs qui l'horripile. Il se montre sceptique, ne percevant, chez les jeunes, que peu d'intérêt pour la parole et la sagesse des aïeux. « Ce n'est pas propre à l'Algérie, l'Internet, la rapidité en tout et pour tout semblent avoir dévalorisé la parole, l'éloquence dans les assemblées et lors des échanges entre personnes ». Il soulève aussi un problème lié au statut du chercheur qui, souvent, travaille dans la solitude et l'isolement sans l'aide ou même le soutien moral des pouvoirs locaux. Il regrette et déplore, au passage, que parmi les associations, « ce ne sont pas forcement celles qui apportent un plus qui sont soutenues et valorisées ».