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« La déclaration de Novembre s'est prononcée pour le partage du pouvoir » Le professeur Zeghidi, spécialiste de l'histoire de la révolution, à Horizons
Dans cet entretien, le professeur Mohamed Lahcen Zeghidi, enseignant à l'université d'Alger, tord le coup à l'idée selon laquelle la révolution de Novembre n'a été, parallèlement au combat pour l'indépendance, qu'une succession de mésententes et de luttes de leadership entre ses chefs. Selon lui, si tel a été le cas, son commandement aurait implosé bien avant 1962. Il rappelle que c'est l'unité de ses rangs qui a permis, notamment, de déjouer tous les complots, savamment orchestrés par les services secrets français pour briser son élan. L'historien plaide, par ailleurs, pour la modernisation des outils pédagogiques dans l'enseignement de l'histoire, dans les écoles. L'Algérie célèbre le soixantième anniversaire du déclenchement de la révolution de Novembre. Cette guerre d'indépendance a-t-elle été l'expression d'un ras-le-bol de 22 jeunes révoltés ou bien le résultat d'un long processus de maturation politique ? Par quoi peut-on caractériser le contexte d'avant le déclenchement de la lutte armée ? La révolution du 1er Novembre, n'est pas un accident de l'histoire, ou une action impulsive ou spontanée, mais l'aboutissement d'un long processus du mouvement national depuis le XXe siècle, notamment avec la création de l'Etoile nord-africaine (ENA), en 1926. L'idée de la libération a commencé à se développer avec la maturité et le sens de responsabilité nationale. Tout cela a permis de forger l'homme qu'exigeait la situation, soit la génération de Novembre. Les évènements tragiques du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata ont conforté la conviction des militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) que seule l'action armée pouvait mener au recouvrement de la liberté, concomitamment à la lutte politique. En effet, après les massacres du 8 mai 1945, l'étape de la formation et la mobilisation a été déjà finalisée, elle sera suivie de l'étape du déclenchement de l'action armée. Il faut également revenir sur les préparatifs qui ont accompagné cette période qui a duré près de 9 ans, soit la période allant de 1945 à 1954. J'insiste, en ce sens, sur la période allant de 1947 à 1954, qui a vu la création de l'Organisation spéciale (OS), qui a joué un rôle capital dans le cheminement de la révolution... Justement, quel a été l'apport de l'OS (Organisation spéciale), créée le 16 février 1947, lors d'un congrès du PPA-MTLD, dans la préparation du 1er Novembre ? Il faut savoir que l'OS avait pour mission principale la formation d'officiers et de cadres militaires en prévision de la préparation de la révolution du 1er Novembre. Cette organisation était présidée par le défunt Mohamed Belouizdad qui a procédé à la création de cellules au centre, dans l'est et l'ouest du pays. L'OS a formé 1500 jeunes militants et engagés qui jouissaient de toutes les capacités et les conditions d'un cadre militaire. Elle leur a dispensé une instruction militaire. L'OS avait un rôle déterminant dans la préparation du 1er Novembre. Elle était née avec l'objectif de préparer cette action armée. Parlez-nous de la réunion historique des « 22 », puis des « 6 ». Qui étaient-ils et dans quel contexte la décision de passer à l'action a été prise ? Cette réunion a été organisée suite à l'échec du Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) qui a été créé dans l'objectif l'unifier le MTLD, qui devait annoncer le déclenchement de la révolution. Cet échec a poussé les anciens de l'OS, dont la cellule révolutionnaire était présidée par le défunt Mohamed Boudiaf, à passer à l'action. Une réunion s'est tenue à Alger, en présence de 22 leaders, et a débouché sur des résultats importants qui ont changé l'histoire du processus national, dont la mise sur pied d'un comité de 4 militants (Mostefa Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf, Bachir Dekhli et Mourad Bouchebouba) qui était chargé de réfléchir à la mise en place d'une nouvelle organisation pour le passage à l'action armée. Les leaders historiques du « Groupe des 22 » avaient soulevé les questions relevant des différences dans le choix des priorités de la Révolution armée naissante. Mohamed Boudiaf et Mourad Didouche ont procédé à la préparation du terrain en vue d ́une action armée contre l ́occupant. C'est alors que la révolution armée était alors entamée. Les « six », Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Larbi Ben M'hidi, Mustapha Ben Boulaïd, Krim Belkacem et Rabah Bitat, ont pris les choses en main et ont concrétisé le passage à l'action armée. La révolution n'a pas été un long fleuve tranquille au sein d'abord du mouvement national, puis à l'intérieur du FLN/ALN. Des soubresauts ont émaillé son parcours. A quoi sont-ils dus ? Aux mésententes originelles ? Au désir de leadership ? A l'attrait du « pouvoir » ? Il faut savoir, une fois pour toutes, que la révolution algérienne est une action exemplaire dans le monde. Elle a suscité l'admiration des chercheurs et des historiens, parce qu'elle était marquée par l'harmonie, l'unité des rangs, la discipline. Notre révolution n'a pas enregistré de divergences, déchirures ou conflits qui pouvaient la désorienter et la dévier vers des questions secondaires. Certes, la révolution du 1er Novembre, comme toutes les révolutions dans le monde, a connu des points de vue différents et c'est un point positif, mais cela n'a pas été constaté au niveau du commandement, chose qui aurait pu provoquer la rupture. Or, ce n'était pas le cas de notre révolution qui a été déclenchée par six personnes avant de s'élargir à l'intérieur et l'extérieur du pays. Ces derniers ont réussi également à déjouer toutes les tentatives de l'occupant de les déstabiliser et d'infiltrer leurs rangs à travers la création d'une 3e force et l'isolement du peuple, en recourant à la force, mais l'unité du commandement et le programme commun ont réussi à unifier le peuple qui constituait le système à part entière dans l'organisation. En effet, « le système » et « l'organisation » ont vulgarisé la culture révolutionnaire chez le peuple et ont créé un lien fort qu'on ne pouvait pas infiltrer ni faire dévier. Cinquante ans après l'indépendance, on parle toujours de l'écriture de l'histoire, pourtant deux générations sont nées après 1962 ? L'écriture de l'histoire se base sur des témoignages. L'historien a sa propre méthode et mode d'emploi pour séparer le bon grain de l'ivraie. L'écriture de l'histoire, notamment liée aux événements récents, est toujours caractérisée par des divergences de points de vue, notamment quand il s'agit de mémoires et la narration des faits. Les témoignages, qui se font oralement ou lors des entretiens journalistiques diffèrent d'une personne à une autre selon le poste de la personne, soit il était chef dans le commandement ou exécuteur, et selon le lieu des faits. De ce fait, le chercheur ou l'historien, qui manque d'expérience, évoque des divergences ou des conflits. Mais actuellement la majorité des écrits sur cette phase de l'histoire du pays, ressemble plutôt à des règlements de compte. Ne peut-on pas laisser ce rôle aux historiens et universitaires ? Les études académiques sont la mission exclusive de l'université. Ces études sont généralement basées sur toutes les publications, les témoignages et les enregistrements. Le chercheur procède à l'analyse, la sélection, le classement et la comparaison entre les parties, notamment concernant les points de vue et la narration du fait afin d'adopter l'histoire, la plus proche de la réalité, parce que la recherche scientifique démarre de la recherche de la vérité, rien que la vérité, en adoptant une méthodologie scientifique. De ce fait, les étudiants en histoire dans les universités traitent des thèmes variés. Il existe des centaines de mémoires sur la révolution, la guerre d'Algérie et le mouvement national. Parmi les objectifs de la proclamation du 1er Novembre 1954, l'édification d'un Etat démocratique et social, fait figure des ambitions affirmées. Où en est-on aujourd'hui, 60 ans après l'indépendance ? La déclaration historique du 1er Novembre reste une référence pour les Algériens afin de construire un Etat fort. Cette déclaration appelait à la construction d ́un « Etat démocratique dans le cadre des principes de l ́Islam ». Elle s ́est formellement prononcée contre « le culte de la personnalité », pour « le partage du pouvoir » (collégialité) et pour « une alternance dans la direction du pays ». Cette déclaration a défini l'Etat et a préservé l'identité, la culture, l'existence du peuple algérien et a résisté contre les tentatives de l'occupant d'effacer ces principes, à travers « l'Algérie Française ». La déclaration du 1er Novembre a défini l'Algérie comme Etat républicain, démocratique, populaire, qui jouit de sa souveraineté dans le cadre des principes de l'Islam. Elle a même défini la nature du régime présidentiel : il s'agit d'un régime démocratique et républicain, où on donne la chance aux capacités. En outre, la religion, à savoir l'Islam, était la seule nationalité des Algériens à l'époque. Dans quelle mesure peut-on capitaliser aujourd'hui, au profit des jeunes générations, la symbolique du combat pour l'indépendance ? La jeunesse algérienne est très attachée à son pays et affiche sa fierté de l'appartenance à ce pays qu'est l'Algérie, c'est le cas même des jeunes nés à l'étranger, qui défilent avec le drapeau national. Ces jeunes doivent prendre conscience de l'importance du jour de l'Indépendance. Car cette dernière ne peut être consolidée que par la jeunesse qui représente l'ambition de l'avenir de la nation. Les jeunes sont des ambassadeurs permanents de leur pays, même au sein de leurs petites familles, car la déclaration du 1er Novembre comporte des principes humains généraux et constitue un message international. Que pensez-vous du contenu du programme de l'histoire enseigné dans les écoles aujourd'hui ? L'histoire enseignée dans nos écoles a besoin d'une nouvelle vision adaptée à la situation. Les moyens utilisés sont limités et il s'est avéré qu'ils n'ont pas été à la hauteur des objectifs tracés : l'image est fixe. Il faut aller à des moyens modernes à l'exemple de documentaires dédiés spécialement aux nouvelles générations, afin de vulgariser la culture révolutionnaire. Il est nécessaire de revoir le livre d'histoire enseigné dans les écoles, notamment le contenu, la couverture et la forme, pour attirer l'élève. Il faut également choisir des textes ciblés avec une rédaction simple et convaincante et cela, selon le niveau, le cycle scolaire et l'âge de l'élève. D'autre part, il faut encadrer les professeurs et les enseignants de l'histoire, par des sessions de formation, de recyclage et les doter des moyens et les informer des nouveautés, notamment en matière de méthodes d'enseignement pour que l'histoire soit un module respectueux dans le contenu. En outre, l'Etat doit pendre en charge le volet de la formation afin d'assurer la continuité historique et la préservation des principes de l'Etat, conformément à la déclaration du 1er Novembre, mais aussi la préservation des principes fondamentaux de l'indépendance nationale.