Appelé à inaugurer le café littéraire du 11e Salon international du livre d'Alger, salon placé sous le thème de la libération, l'ancien SG du FLN a axé son intervention sur l'analyse du document fondateur de la Révolution de Novembre, avec des projections sur la situation politique actuelle. “Quand on est appelé à parler du 1er Novembre 1954, on ne sait par où commencer, l'événement étant immense autant que ses effets”, dira d'entrée M. Mehri, lui, le “novembriste” de la première heure qui fête cette année ses 80 ans. Pour rappel, Abdelhamid Mehri, qui est né en avril 1926, a adhéré très tôt au PPA-MTLD dont il sera membre du comité central. Arrêté dès novembre 1954, il sera emprisonné jusqu'en avril 1955. Il sera membre de la délégation extérieure du FLN avant d'intégrer le GPRA au sein duquel il occupera le poste de ministre des Affaires nord-africaines, puis celui de ministre des Affaires sociales et culturelles. Celui qui présidera plus tard, dans les années 1990, aux destinées du FLN, usera d'une métaphore fort éloquente pour évoquer l'histoire de la Révolution algérienne : “C'est un grand livre auquel il manque beaucoup de pages. Sa lecture demande de la persévérance”, dira-t-il. Pour lui, le document fondateur de la guerre de Libération nationale est incontestablement la Déclaration du 1er Novembre 1954. “Chacun est libre de l'interpréter comme il l'entend”, lance-t-il, avant d'insister : “Mais les Algériens doivent dialoguer entre eux et échanger leur lecture de cette déclaration.” Allusion sans doute à tous ceux qui se prévalent de ce document de référence pour justifier l'orientation qu'ils souhaitent donner à l'Etat algérien. On notera à ce propos la dernière sortie de Rabah Kébir qui s'appropriait, à sa façon, cette même déclaration, et à laquelle a jugé utile de répondre Mohamed Mechati, membre du groupe dit des “22”. Il s'agit surtout de la formule censée esquisser les fondements de l'Etat algérien futur, en l'occurrence celle qui décrète “la construction d'un Etat démocratique et social dans le cadre des principes islamiques”. Mais, avant de développer ce point tant controversé, Mehri a cru bon de rappeler les trois principaux objectifs que s'était assigné la Révolution de Novembre, à savoir l'indépendance de l'Algérie, l'édification d'un Etat démocratique et social, et la consolidation de l'unité maghrébine en vue de projeter la toute jeune nation algérienne dans un ensemble régional fort. “Nous avons consenti sept ans et demi de sacrifices pour réaliser le premier objectif et nous l'avons atteint. Mais pour le second, je crains qu'il ne faille attendre encore avant de le voir se concrétiser”, avoue-t-il. Pour Mehri, de même que les Algériens avaient su surmonter leurs divergences en 1954 pour se fondre dans l'action armée, ils se doivent de rééditer cette même union sacrée pour ériger un Etat démocratique. Interrogé sur les péripéties de la naissance de l'option armée au sein du PPA-MTLD et en particulier sa “branche armée” l'OS (Organisation spéciale), Mehri soutient que c'est suite à la grosse déception de la Seconde Guerre mondiale et les évènements génocidaires de Mai 1945 que cette option s'était enracinée au sein du parti nationaliste. Ainsi, le recours à la lutte armée a toujours été un choix stratégique du PPA-MTLD. “La direction du parti avait l'intime conviction que le système colonial ne pouvait être défait que par la force. Cela dit, nous ne voulions pas pour autant laisser le terrain politique vacant”, souligne-t-il. “Après la dissolution de l'OS par le parti en 1950, ses membres se sont reconstitués en 1952 dans une double clandestinité, à la fois par rapport aux autorités coloniales et par rapport au parti lui-même. Mais lors du congrès du MTLD d'avril 1953, il était question de reconstituer l'Organisation spéciale sans toutefois préciser quand”, ajoute-t-il. Pour revenir aux querelles d'interprétation à propos d'un Etat conçu “dans le cadre des principes islamiques”, l'orateur précisera que cela a été clarifié dans la Charte de la Soummam où les congressistes d'Ifri avaient, selon lui, expressément banni l'idée d'un “Etat théocratique”. Et de marteler : “Il faut apprendre des erreurs du passé. On a toujours voulu occulter certains pans de notre histoire si bien que dans la foulée, on a occulté même les bons côtés. Il faut prendre l'histoire comme elle est.” S'élevant contre ceux qui parlent de “mettre le FLN au musée”, il dira : “Le FLN n'est pas un parti ou une étape. Le FLN est un projet pour tous les Algériens.” Et d'inviter les jeunes à s'en inspirer : “Notre souhait est que les jeunes assurent la relève jusqu'à la construction d'une vraie démocratie. Notre indépendance est inaccomplie sans un Etat démocratique où tout Algérien trouvera sa place, son bonheur et sa dignité.” Mustapha Benfodil/ Amina Hadjiat