Un hennissement se fait entendre, juste derrière les grilles du haras national Chaouchaoua de Tiaret. Un hennissement puissant, hypnotisant qu'on voudrait suivre, bien malgré nous. Les grilles s'ouvrent, et là surgit une bête splendide. Un étalon barbe à la crinière d'ébène, à la robe de velours sombre qui capte tous les reflets du soleil. La queue est si longue et si bien fournie qu'elle frôle le sol à chaque fois que le cheval se cabre, le port altier, les naseaux frémissants. Comme s'il se sent admiré, Mazafran, c'est son nom, fait étalage de ses muscles puissants, remuant sa tête noble, voltigeant impatiemment sa chevelure soyeuse. Et puis soudain, il devient immobile. Il se fige comme une statue, à l'affût des louanges et des caresses de ses admirateurs. Ces derniers ne sont autres que des journalistes et des étudiants de tourisme qui visitent les lieux pour la première fois, grâce à un éductour promotionnel à Tiaret, organisé en ce mois de novembre. Un autre hennissement se fait entendre, un peu plus loin, au détour d'une allée. Un autre barbe à la robe grise. Très nerveux, celui-là remue comme un beau diable, pendant qu'on le ferrait. Une opération qu'il faut renouveler chaque mois. Juste à côté, dans une maréchalerie, des artisans sont occupés à forger les fers, les ajuster pour qu'ils adhèrent à la forme des sabots. Les lieux sont d'une propreté impeccable, comme partout dans le haras. La maréchalerie a gardé son architecture coloniale, son cachet authentique. Le feu est alimenté régulièrement par de grosses buches bien alignées. A l'extérieur, l'artisan maintient fermement le barbe, pour lui mettre ses nouvelles « chausses ». A la vue de « l'assistance », le barbe gris cesse tout mouvement, aux aguets, les yeux curieux. D'autres hennissements se font entendre, du côté des boxes cette fois-ci. Comme si elles ont senti la présence des visiteurs, de jolies pouliches ruent dans les boxes pour attirer l'attention. Mais à l'approche des visiteurs, elles font marche arrière, reculent jusqu'au fond de leurs abris. Les bêtes sont d'une propreté impeccable, leurs robes bien pansées. « Nous entretenons mieux les bêtes que nos propres enfants. Nous nous soucions de bien les nourrir en premier lieu, nous pensons aux bénéfices bien plus tard », confie le chef de service de l'élevage au haras, Belkacem Aouad. Le haras est doté de 700 hectares de terres agricoles pour cultiver principalement du fourrage. 800 tonnes par an de fourrage sont produits, soit 23 000 bottes. Un élevage pour conserver l'authenticité Des bottes de foin de très bonne qualité sont assemblées d'ailleurs, à proximité des boxes. Certains des visiteurs ont extrait quelques mèches de foin pour attirer les bêtes et voler quelques caresses. Rien ne semble manquer aux pensionnaires du haras, (des pur-sang mais aussi le barbe qui bénéfice d'un traitement de faveur affection), soins, nourriture en abondance.... « Nos barbes sont issus de lignées pures et authentiques. Notre devoir est de préserver cette authenticité qui place notre cheval barbe aux premier rang dans le monde entier », assure M. Aouad. Une race authentique qui est très demandée dans les champs de course surtout, nationaux et étrangers. « On importe aujourd'hui des chevaux de sport mais ils ne font pas le poids face au barbe. L'importation d'ailleurs est très facile chez nous, mais pour l'exportation, c'est une autre histoire. Pour exporter un barbe ou un pur-sang, ça prend énormément de temps, à cause de la réglementation algérienne. Nous n'avons réussi à en exporter que deux, un barbe et un pur-sang dont l'un est destiné à la reproduction », explique-t-il. Bien que le haras fournisse les champs de courses et les centres d'équitation, ainsi que les particuliers, la jumenterie de Tiaret est toujours considérée comme une ferme pilote. Le moniteur au centre équestre de l'Emir Abdelkader, Hatem Azizi qui exerce son métier depuis plus de 35 ans, déplore que le haras ne soit pas encore classé patrimoine national. « Il y a 35 ans encore, nos bêtes étaient exportées vers la Belgique, le Brésil, la Hollande pour la reproduction. Leurs haras voulaient du barbe authentique. Mais pour obtenir un barbe aux caractéristiques maghrébines, il fallait un environnement qui soit authentique à celui de la région maghrébine. Un environnement sec qui permet au barbe de développer sa résistance. Or, ailleurs, le barbe se bonifiait à cause d'un environnement gras. Aucun haras à l'étranger n'a réussi à produire un barbe authentique », dit-il. Le haras, en effet, qui remonte au 19e siècle, mérite le titre de patrimoine national. De légères modifications ici et là ont été entreprises au fil du temps mais les lieux ont conservé leurs structures originelles. Une fontaine coloniale est toujours en bon état, implantée juste à l'entrée entourée de grillage et de feuillages. Les éleveurs expliquent, qu'à l'époque, elle regorgeait de poissons. Elle était reliée à une source d'eau naturelle de la région utilisée pour l'abreuvement des chevaux. « Les poissons n'étaient pas là pour le décor. La fontaine est le premier point d'eau de cette source de telle façon que si l'eau était impropre à la consommation, le poisson mourrait. C'est ainsi que les anciens éleveurs contrôlaient la qualité de l'eau avant d'en abreuver les chevaux », explique le responsable de l'élevage. Pour renforcer les rendements, desquels dépend la survie du haras, M. Aouad a pensé à un projet de lancement d'un produit touristique. Des randonnées équestres de 1 à 10 jours pour les touristes dans les plaines de Tiaret. Une formation autour de ce projet a été faite en France et des essais ont eu lieu, avec succès, à Tiaret. « Le produit est réussi mais le problème qui se pose, c'est que le haras ne peut pas fournir des chevaux destinés exclusivement à ce genre de randonnées. A n'importe quel moment, le haras peut réclamer ses chevaux, en l'absence d'une structure qui permet de dégager un quota pour le lancement de ce projet touristique », indique-t-il. En conséquence, les randonnées sont organisées sur commande et dépendent de la disponibilité des chevaux. Un produit qui aurait pu soutenir les finances de ce haras qui souffre actuellement de perturbations que les éleveurs espèrent passagères. Leur client principal, la Société des courses et du pari mutuel traverse, elle aussi, une période de crise. La grotte où la « Mouqadima » a vu le jour A cause de cela, la jumenterie ne fournit plus de chevaux à cette société. Les méventes inquiètent sérieusement les gestionnaires du haras. La continuité de l'élevage dépend essentiellement de ce débouché ainsi que des centres hippiques. Pour le moment, les éleveurs persévèrent mais l'avenir est une source d'angoisse perpétuelle. Pour ce qui est de la formation des métiers de l'élevage, les gestionnaires de ce haras ne semblent pas se plaindre. « Il est très rare de trouver une famille à Tiaret qui n'ait aucun lien avec le cheval. Il est omniprésent, comme un membre de notre famille. La plupart des familles ont des chevaux chez elles », assure M. Aouad. Dans les magasins, et même dans les hôtels, des affiches et des statuettes de l'équidé sont mis en évidence. C'est pour dire l'importance que représente cette bête pour les habitants de Tiaret. Les métiers de l'élevage sont, en fait, transmis de génération en génération. Certains des éleveurs, qui ont les moyens, sont partis à l'étranger pour compléter leur formation. Mais vu l'entretien dont les chevaux font l'objet dans le haras, les pensionnaires n'ont pas à se plaindre, et ce, contrairement aux chevaux qui vivent dans le centre d'équitation de l'Emir Abdelkader. Des chevaux qui sentent mauvais, mal entretenus, et semblent sous-alimentés. L'étroitesse des lieux les rendent nerveux, eux qui aiment les grands espaces. Leurs boxes, quant à eux, ne brillent pas par leur propreté. Un grand écart entre la jumenterie et le centre hippique. L'éductour de Touring club d'Algérie, qui donne la priorité aux régions touristiques méconnues, telles Tiaret, a conduit les journalistes et les étudiants vers d'autres sites, historiques. Dans la région de Frenda, là où, au 14e siècle, la tribu de Beni Arif, habitant la citadelle Beni Salama qui remonte au 11e siècle, avait fait amende honorable auprès du roi de Tlemcen pour accueillir le plus célèbre des sociologues arabes, Abderrahmane Ibn Khaldoun. C'est à Taouzghout, sur l'un des flancs de Frenda, qu'Ibn Khaldoun a vécu durant quatre années sous les remparts de Beni Salama. Mais également dans les grottes qui se trouvent juste en contrebas, aux pieds du grand vieux mur de la citadelle, la seule partie qui ait survécu au temps et qui sert aujourd'hui de... « bancs publics ». D'après un guide de l'Office local de gestion et d'exploitation des biens culturels, les grosses pierres taillées de la citadelle ont été utilisées par les habitants pour construire leurs maisons sans que cela émeuve les collectivités locales. Du côté des grottes, rien n'indique qu'il s'agit d'un site historique et archéologique. Aucune pancarte, sauf à l'entrée du village qu'on a du mal à repérer, cachée qu'elle est par des buissons. Pourtant, c'est dans ces grottes-là qu'Ibn Khaldoun a écrit, en pensée d'abord, la « Mouqadima du kitab el Ibar » (Prolégomènes du livre des exemples). Le guide a montré la grotte où le savant restait seul, des jours entiers pour s'inspirer. Une grotte qui a été aménagée en trois chambres en l'an 72 avant J.-C., à l'époque où les hommes y habitaient. Un lieu très sombre même en plein jour. On peut aisément imaginer Ibn Khaldoun allumant des bougies avant de pénétrer dans la grotte et laisser son esprit vagabonder au gré de ses préoccupations à la lueur de la flamme. Toujours selon le guide, ce n'est pas dans cette grotte que le savant avait rédigé son œuvre. Mais dans une autre, plus petite, ne comportant qu'une seule pièce. C'est là, en face d'un paysage grandiose et une cascade minuscule qui regorge d'eau depuis la nuit des temps, que le penseur a trempé sa plume dans de l'encre pour faire naitre une œuvre qui suscite jusqu'à nos jours, de l'étonnement chez les chercheurs, scientifiques et anthropologues. « Le site est classé patrimoine national mais n'a jamais été réhabilité. Nous avons sollicité l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels pour le clôturer au moins, mais sous prétexte que le site n'est pas classé monument universel, l'office tarde à réagir. En temps de pluies, les grottes sont abimées par l'eau. Il n'y a même pas de dépliants pour raconter l'histoire du site », déplore le guide. Sanctuaire des rois berbères Sur l'autre flanc de Frenda, un autre site historique qui remonte, quant à lui, au 5e siècle après Jésus-Christ. Des mausolées de rois berbères chrétiens ou les « Djedaars » dont l'architecture rappelle le mausolée royal de Maurétanie, en plus petit. Ils sont treize dans la région, certains plus grands que d'autres mais ils restent méconnus. Mis à part les informations habituelles relatives à la date des tombeaux et quelques notions autour de leur architecture, le guide n'a pas pu donner plus de détails, concernant les dépouilles, leurs histoires, leurs vestiges. La région n'attire pas particulièrement les archéologues nationaux pour d'éventuelles des fouilles. Une archéologue algérienne en collaboration avec un collègue étranger ont pu faire connaitre le lieu qui est classé patrimoine national. Mais le mystère plane toujours sur les lieux comme dans beaucoup de sites archéologiques et historiques algériens. Les journalistes et étudiants ont pu pénétrer dans l'un des mausolées sous forme de pyramide, à travers une ouverture très étroite. Le noir est total et pour se diriger vers le hall, une torche est nécessaire. Un endroit à déconseiller aux claustrophobes. Le fuseau de lumière éclaire les chambres funèbres, dernières demeures de ses rois. Le guide n'a aucune idée du sort des corps mais pense qu'il y a eu désintégration des dépouilles. « On n'en sait pas grand-chose », confie-t-il en espérant que des archéologues s'intéresseront un peu plus à ces rois et à leurs familles dont l'histoire est enfouie sous un amas de pierre en forme de pyramide. C'est ainsi que s'achève l'éductour de TCA qui envisage d'autres « sorties » de ce genre pour faire la promotion des sites touristiques... tombés dans l'oubli.