Jamais une notion aussi noble que celle des droits de l'Homme n'a été autant pervertie. A tout le moins, elle fut progressivement déviée de ses objectifs pour servir parfois de desseins qui, en réalité, ne font que soumettre davantage les hommes aux pouvoirs liberticides. L'actualité la plus brûlante nous fournit assez d'exemples sur ce dévoiement. C'est au nom de la liberté que des millions d'hommes en Irak, en Libye et en Syrie sont plongés dans les horreurs de la guerre et de la pauvreté. En la matière, ceux qui conseillent ne sont jamais ceux qui payent. On peut se gargariser de tous les mots, chanter comme Eluard la liberté sur tous les tons et partout. Au nom de la liberté et des droits, on piétine pourtant le premier d'entre eux, celui de vivre. On ne s'est jamais senti aussi dépourvu qu'en ces temps d'abondance et la liberté de dire ne s'est jamais autant confondue avec l'impuissance de faire. Les droits de l'Homme furent et demeurent pourtant un étendard de tous ceux qui se sont levés pour changer leur condition et améliorer leur sort. Faire respecter ses droits à la vie, à l'expression, à la liberté fut le levain de toutes les révoltes depuis Spartacus. Des siècles après, pour de nombreux peuples, la quête d'une meilleure vie, l'exigence du respect de ses droits alimentent dans beaucoup de pays, y compris les plus développés, comme le montrent les manifestations anti-raciales qui secouent les Etats-Unis, le brasier des colères. C'est au nom des droits de l'Homme que bien des luttes ont été couronnées de succès. Le colonialisme, le racisme ont plié sous une vague de revendications de droits portées par des leaders qui ont depuis inscrit, à l'instar de Mandela, Ben M'hidi ou Gandhi, leurs noms sur les tablettes de l'histoire. Par une étrange perversion, on a cherché à culpabiliser des pays où les droits de l'Homme furent un processus peut-être lent mais réel. Aujourd'hui encore, il est des ligues qui se parent de toutes les vertus mais qui établissent une sorte d'échelle des victimes. Pour affaiblir certains pays rétifs à l'ordre établi, on a davantage relevé les manquements, parfois réels, à l'expression démocratique. Leurs contempteurs oublient que les droits politiques sont souvent formels et incomplets sans l'existence de véritables droits socio-économiques. Ne revendique-t-on pas désormais ceux-ci, à plus haute voix en Occident où le chômage, les inégalités sociales mettent à nu l'inanité de bien des prétentions. Quel sens et quelle valeur ont les droits là où la violence, les disparités dominent le paysage social ? On peut toujours prétendre que les droits politiques précèdent les droits économiques et l'autocratie, un terreau pour la corruption et le sous développement. L'histoire a tordu le cou à cette prétendue vérité. La Chine est enviée, même si son système est d'abord soucieux d'efficacité économique. Le combat pour les droits de l'Homme n'a pas cessé et ne cessera sans doute jamais. Il y a toujours des choses à améliorer dans le quotidien des hommes et dans le sort des nations. Ce combat a cessé, toutefois, d'être lié à la liberté d'expression, aux seules libertés politiques. On se rend de plus en plus compte que sous les pouvoirs de l'argent et d'Internet, qui reconfigure toutes les relations sociales, celles-ci deviennent relatives, voire illusoires. Le terrorisme, qui a instillé la peur et les suspicions, a montré les limites des professions de foi démocratique. Les droits de l'Homme ? Une notion qui doit davantage s'adapter aux attentes et besoins de la société, plutôt que de voir celle-ci se soumettre à ses impératifs théoriques.