L'Algérie fête, aujourd'hui, Yaoum echahid, une journée instituée en 1988 lors d'une conférence des enfants de chouhada au Palais des nations. Il s'agissait alors d'entretenir la mémoire des milliers de femmes et d'hommes qui ont sacrifié leurs vies pour que le pays sorte de « la longue nuit coloniale », pour reprendre le titre d'un livre de Ferhat Abbas. Le premier président du GPRA y décrivait toutes les injustices d'un système duquel il fallait se défaire coûte que coûte. Rendre hommage aux chouhada est un souci largement partagé chez les Algériens. Ils demeurent conscients et savent qu'ils doivent la liberté à ces héros, morts pour la plupart d'entre eux à la fleur de l'âge. Dans l'imaginaire populaire, rien ne pourra ternir l'image des Ben M'hidi, Hassiba Ben Bouali, Amirouche... De nombreuses activités se dérouleront pour l'occasion aux quatre coins du pays pour raviver les souvenirs, feuilleter, de nouveau, quelques pages d'une histoire qu'il faut sans cesse relire. Les conférences dans un cadre officiel ou organisées par des associations, les visites sur des lieux et sites à valeur historique seront nombreuses. Elles permettront, en cette journée, d'éloigner le spectre de l'oubli. Au-delà des cérémonials et du protocole, il s'agit de souligner la valeur et l'importance de cette halte et de cette date dont le choix ne fut pas fortuit. En ce mois eurent lieu de nombreux événements qui ont jalonné la longue marche des Algériens pour la reconquête d'une souveraineté spoliée en 1830. Citons, entre autres, la création de l'Organisation spéciale (OS) lors d'un congrès clandestin du PPA-MTLD en 1946, la naissance de l'UGTA. C'est également le 13 février 1960 que la France a procédé à un essai nucléaire dans la région de Reggane. L'Algérie est indépendante depuis plus d'un demi-siècle. Pourtant, le renom du pays reste largement associé au prestige de sa révolution demeurée longtemps un exemple pour d'autres peuples. Beaucoup d'Algériens — il suffit de voir le succès que rencontrent les écrits autour de l'histoire — sont avides de connaître celle-ci. Les problèmes du présent ou les dissensions du passé ne semblent pas constituer un obstacle. Nulle révolution ne fut exempte de discordes. Celles qu'a connues la Révolution algérienne n'ont nullement démonétisé cette épopée héroïque des aïeux. Tous les pays ont à cœur de protéger et de valoriser leur histoire. Elle est pour eux une source d'inspiration pour les batailles d'aujourd'hui et motif de fierté. Parler de notre histoire, d'une richesse et d'une complexité inouïes, n'a rien d'un exercice de ringardise. Même les pays évolués ne se détournent jamais de leur passé. Les événements marquants sont célébrés avec faste et donnent toujours lieu à l'organisation de rencontres entre générations. Le champ de la recherche et de la connaissance historiques s'est considérablement démocratisé dans le pays. La censure qui empêcha, durant de longues années, l'accès à des travaux d'historiens ou la publication de mémoires d'acteurs de faits historiques ne s'exerce plus. Si elle ne pouvait se justifier, celle-ci pouvait, néanmoins, s'expliquer par des impératifs politiques et parfois humains. L'Algérie n'est pas une exception. Il a fallu attendre ces dernières années pour que la vérité jaillisse sur certains épisodes de la guerre civile espagnole de 1936 et la puissante Amérique continue encore de lever le voile sur son passé ségrégationniste. Depuis quelques années, la préservation de la mémoire des chouhada est une priorité pour l'Etat qui a conforté les droits sociaux et moraux de la famille révolutionnaire. Cette sollicitude pour l'histoire s'appuie aussi sur une politique initiée par l'Etat sur un autre front. Ainsi, de nombreux films financés sur fonds publics ont immortalisé le parcours d'illustres chahid comme Ben Boulaïd, Krim Belkacem ou le colonel Lotfi. Des lieux qui témoignent de la barbarie coloniale à l'image des camps de concentration ont été restaurés et des musées de la mémoire ont essaimé partout. La collecte de témoignages, la publication de nombreux livres sont également des actes de nature à protéger cette mémoire qui pâtit de l'extinction d'une génération. L'Algérie est riche par son histoire de révoltes et de tumultes qui ont façonné le caractère de son peuple. Son pétrole, le gaz ou les réserves de devises ne peuvent supplanter un tel capital. Cette différence sépare, pour reprendre le bon mot de Talleyrand, un pays misérable d'un misérable pays.