Il y a des livres qui vieillissent mal. D'autres, en revanche, rajeunissent bien, fut-ce pour un moment. Mais rares sont ceux qui s'éternisent, défiant le temps et les hommes. La riche bibliographie de l'historien (philosophe, enseignant, diplomate, militant de la Guerre de libération nationale...) Mohamed Chérif Sahli est, à ce titre, un exemple à méditer, à travers des ouvrages qui demeurent d'une étonnante actualité. Notamment « Décoloniser l'histoire » et « Le message de Yougourtha » (réunis, pour l'occasion en un seul tome) que les éditions Quipos viennent de remettre au goût du jour suite à une réédition louable à bien des égards. Classique parmi les grands classiques, publié, la première fois, en 1966 (Maspéro, Paris), « Décoloniser l'histoire, introduction à l'histoire du Maghreb », aura été, de l'avis d'éminents spécialistes de l'histoire de l'Algérie, l'œuvre qui a précipité la désagrégation de l'historiographie coloniale, déstructurant ses discours racistes et discréditant, par delà la fausse notoriété de ses porte-drapeaux, Tocqueville, Gautier, Hanotaux, Letourneux, Marçais et bien d'autres historiens à qui l'auteur de « l'Emir Abdelkader, chevalier de la foi », a tenu dure et très lucide tête, force arguments à l'appui. De surcroît, à une époque où la science coloniale vibrait encore à l'« apogée » d'un Centenaire célébré en grande pompe, des années en arrière, par l'occupant. Pour l'historien Zahir Ihaddaden, qui préface l'ouvrage, « ‘'Décoloniser l'histoire'' est une méthode scientifique » qui ouvre la voie aux chercheurs et historiens algériens pour aborder avec prudence et discernement l'utilisation des documents écrits par les historiens occidentaux. Mais l'ancien membre de l'équipe qui fonda, en 1956, El Moudjahid, de nuancer : « Il ne s'agit pas de rejeter systématiquement ou de brûler leurs travaux, mais de prendre conscience que la vérité historique n'est pas dans ces documents et que leur utilisation nécessite tout d'abord une critique sérieuse suivie d'une recherche d'autres documents sur l'archéologie ». L'opportunité et l'actualité de ce chef-d'œuvre d'histoire qui a marqué des générations de chercheurs et d'universitaires ont été telles que les pourfendeurs les plus acharnés de la loi française, du 02 février 2005, décrétant les « bienfaits de la colonisation » en aient eu recours pour faire mur — comme le souligne le neveu de l'auteur, Djamel Sahli, dans une note représentant l'ouvrage — contre le retour sur scène des partisans de l'Algérie de papa et autres nostalgiques d'un passé qui n'honore en rien la France des « Droits de l'homme ». Le second ouvrage contenu dans cette nouvelle publication, « Le Message de Yougourtha », n'est pas moins fondateur dans la restructuration de l'histoire algérienne. Il s'agit, selon M. Ihaddaden, d'un essai qui établit une représentation objective de ce personnage historique qui a lutté avec force et courage contre les Romains. En dépit d'une documentation antique, se basant essentiellement sur les travaux de Salluste, empêchant donc toute approche objective de la vie et l'œuvre de l'héros amazigh, M.C. Sahli s'est attelé à travers une « vision interne » en replaçant ce dernier dans son contexte historique. « Youghourta n'est pas le produit instantané de conditions particulières, mais bien l'incarnation d'une mentalité et d'un comportement, forgés par l'exercice de la souveraineté nationale depuis bien des siècles antérieurs », conclut Z. Ihaddaden. Deux livres d'une valeur inestimable et ô combien salvateurs pour une histoire nationale qui se construit progressivement par la grâce des travaux précieux des descendants de Yougourtha, bien décidés à parachever la décolonisation de leur histoire plusieurs fois millénaire.