Entre le fou d'Elsa de Louis Aragon, et Hizia de cheikh Benguittoun, existe un lien séculaire sans frontières qui détermine l'universalité de l'histoire des peuples. La première parodie reflète un immense engagement intellectuel de l'auteur pour s'approprier la culture et l'histoire du monde arabe et musulman et par delà, comprendre sa relation avec le monde occidental. Les poèmes consacrés au «fou d'Elsa» sont sertis d'une narration et une analyse sociologique et historique relatant l'Andalousie. Sous d'autres cieux marqués par l'éloquence du verbe, et la richesse prosaïque qui sied aux grands seigneurs du désert, il y a bien sur « Majnoun Leïla » (Analogie au fou de Leïla) …Cette très frappante similitude conduit tout droit, par extension à Hizia. Dans le fou d'Elsa, il y a cette dimension théâtrale qui met en scène, la chute de Grenade comme référence historique. Ce qui vient à manquer à l'œuvre de Benguittoun, c'est la transposition des faits dans leur contexte politique de l'époque, pourtant marqué par vingt-cinq années de colonisation déjà. L'histoire nous indique que c'est sous le règne du fils du Bey Ahmed, dont le fille n'est autre que Hizia, que naquit cette histoire d'amour. Cette petite princesse était amoureuse de son cousin Sayed, dans le même répertoire que Kaïs et Leïla. Benguittoun, dans son poème, fixe la date de sa mort à 1295 de l'Hégire, soit 1878 . Elle avait alors 23 ans, nous dit-il. Elle serait donc née en 1855. La cause de son décès fut et reste encore une énigme. Le poème ne nous révèle rien, sinon que sa mort fut subite : un mal soudain entre deux haltes, à Oued Tell (une localité à 50 km au sud de Sidi Khaled), au retour de la tribu de son séjour saisonnier dans le Nord. La vérité, bien sûr, on ne la saura jamais. Sayed eut recours, trois jours après la mort de sa bien aimée, aux services du poète pour écrire un poème à la mémoire de son amour perdu. Plus tard, d'après certains dires, le malheureux cousin s'exilera loin de sa tribu et vivra en solitaire dans l'immensité du désert des Zibans, jusqu'à sa mort. Quoiqu'il en soit, le poème est là pour témoigner de cet amour fou qu'avait porté un jeune homme pour une jeune femme qui valait, à ses yeux, tout ce qu'il y avait de précieux en ce monde et que le poète a chanté avec les paroles du bédouin, langue pure du vécu, langue vivante de tous les jours. A travers cette histoire d'amour, le poète Benguittoun a chanté la beauté de cette femme et décrit les merveilles de son corps, osant lever le voile sur des jardins secrets et nous offrir, à travers les âges, un hymne à l'amour, un hymne à la beauté, un hymne à la femme. Voilà ce qui, en dernier lieu, pourrait rester de Hizia, jusqu'à l'éternité, tant qu'il y aura des poètes pour chanter cet amour existentiel propre au commun des mortels...