Un mois après le naufrage qui a fait, dans la nuit du 18 au 19 avril, 800 morts, au large de la Libye, l'UE, qui est accusée tantôt de passivité, tantôt d'indifférence, met sur pied une opération navale pour « casser » les réseaux qui font du trafic d'êtres humains dans la Méditerranée au point de transformer ce lac de paix en un vaste cimetière marin. Cette mission, qui requiert le feu vert du Conseil de sécurité, entraînera un déploiement de bâtiments de guerre et d'avions de surveillance au large de la Libye, un pays devenu la plaque tournante de l'émigration illégale. Selon les 28 ministres des Affaires étrangères de l'UE qui ont eu une rencontre hier à Bruxelles après une réunion avec leurs homologues de la Défense, cette mission pourrait être lancée en juin. La France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont promis de fournir des navires. La Pologne et la Slovénie engageraient des avions de surveillance ou des hélicoptères. La mission devrait d'abord s'attaquer aux bateaux utilisés par les passeurs armés pour tracter jusqu'en haute mer les embarcations de fortune chargées de centaines de migrants, ensuite laissées à la dérive. Elle va également les empêcher de les récupérer. Bien avant le OK des Nations unies, l'arraisonnement de navires sans pavillon dans les eaux internationales va commencer. Précision de Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne : « Il ne sera pas question d'opérations militaires en territoire libyen ». Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, appelle l'UE à franchir ce pas. Pour lui et pour beaucoup d'experts sécuritaires, des membres de Daech ou d'Al-Qaïda pourraient « chercher à se fondre parmi des migrant » pour s'introduire en Europe. « Les missions de sauvetage ne vont rien changer à elles seules, la mission militaire ne changera rien à elle seule. Nous devons aussi obtenir un engagement des pays d'origine des réfugiés et une stabilisation de la Libye », affirme le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier.Cette opération militaire, intitulée EU Navfor Med, qui aura son quartier général à Rome sous le commandement de l'amiral italien Enrico Credendino, est unanimement dénoncée par les ONG. « Elle va seulement déplacer les routes empruntées par les passeurs et augmenter les risques pour les migrants » disent-elles, tournant en dérision cette envie des Européens de « sauver des vies » en Méditerranée, y compris par la voie des armes. Certaines s'interrogent sur la désignation du pays d'accueil des migrants du Proche-Orient et de l'Afrique secourus. 51.000 migrants sont arrivés en Europe après avoir traversé la Méditerranée depuis le début de l'année. Parmi eux, 30.500 ont débarqué sur les côtes italiennes et 1.800 sont morts noyés, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. 500.000 migrants pourraient tenter cette année la traversée de la Méditerranée, estime l'Organisation maritime internationale. Peter Sutherland, envoyé spécial de l'ONU sur les migrations et ex-commissaire européen, craint que des « réfugiés innocents » se retrouvent en première ligne. Réunis en urgence le 23 avril, les dirigeants du Vieux continent ont demandé une opération pour « capturer et détruire les embarcations » des passeurs venant de Libye avant qu'elles ne soient utilisées. Ils ont décidé aussi de renforcer les moyens de Triton et Poséidon, deux missions européennes de surveillance et de sauvetage en Méditerranée.