Une journée vient d'être consacrée par l'Algérie à faire connaissance avec Enrico Mattei, l'ancien patron de l'ENI mort dans un accident d'avion le 27 octobre 1962. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Mais qui est Mattei ? Si l'on vous disait qu'il naquit le 29 avril 1906 à Acqualagna dans la province de Pesano et Urbino, ça révélerait quelque chose dans votre mémoire ? Pour la génération actuelle d'Algériens sûrement pas. Mais pour celle de la guerre de Libération nationale et immédiatement après certainement quelque chose. Encore que les souvenirs qu'elle aurait gardés de lui, les tiendrait-elle du cinéma et en particulier du film que Francesco Rossi a réalisé sur la mort du patron de l'ENI, en 1972, un film intitulé «L'Affaire Mattei». Après ces prémices, qui est au juste Enrico Mattei? Selon l'historiographie élaborée par des auteurs proches de l'université italienne, Mattei n'était pas a fortiori destiné à être ce qu'il fut et appelé à finir sa vie dans les conditions que l'on ne connait aujourd'hui que superficiellement hélas, tant le défunt en pleine force de l'âge, a eu à défier des intérêts aussi divers que gigantesques aussi bien à l'intérieur de l'Italie qu'à l'extérieur. L'attrait qu'ont exercé sur lui les hydrocarbures c'est la Seconde Guerre mondiale qui le lui a inspiré. Résistant à partir de 1943, date à laquelle les Allemands ont envahi l'Italie pour la soumettre, l'idée que, au-delà des armes et des hommes qui ont combattu, les hydrocarbures ont été d' un poids décisif dans la victoire des Alliés contre l'Allemagne, est restée vivace dans son esprit jusqu'au retour de la paix dans le monde et d'une façon bien plus compliquée en Italie. L'Italie qui, malgré la défaite de l'Axe auquel Rome avait appartenu sous la dictature du Duce, le peuple italien était resté majoritairement «fidèle» à la dynastie italienne. Période propice pour Mattei qui se lie d'amitié «avec un certain nombre de personnalités catholiques», tel Augusto de Gasperi, le frère du futur président du Conseil Alcide de Gasperi. Sa propulsion vers le sommet, il la doit à son rapprochement avec certaines personnalités de la démocratie chrétienne. Alors même que le calvaire de l'Italie n'était pas encore terminé, il est nommé représentant démocrate-chrétien dans le commandement militaire de la haute Italie en Août 1944 et en 1945, Commissaire extraordinaire de l'AGIP (Azienda Generali italiana petroli). Grâce à cette fonction, il entreprend des prospections dans la vallée de Pô (Italie), ce qui amène à la découverte de méthane à la fin des années 40. Le méthane, même indispensable à l'industrie en général, constituait un cuisant échec par rapport au but qu'il s'était fixé, à savoir le pétrole ! Aussi, suggère-t-il au président du Conseil, Alcide de Gasperi, de mettre sur pied un secteur national de l'énergie. Chose faite en 1953 avec la création de l'ENI dont il prend sur le champ la tête. L'ENI, notons-le, c'est l'Entreprise nationale italienne des hydrocarbures. Pour autant, Mattei ne liquide pas l'Agip, une entreprise créée en 1926 pour se frayer un modeste chemin parmi les grandes entreprises anglo-saxonnes et françaises au Proche-Orient à la faveur des accords conclus par les puissances dominantes lors du démantèlement des possessions territoriales extérieures de l'Empire ottoman. Impuissante à rivaliser avec les grands consortiums pétroliers occidentaux, l'AGIP se contente de subsister tant bien que mal jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. A ce titre, les commentateurs italiens l'avaient surnommée le «microscopique» pétrolier national. Au début de la création de l'ENI, connaissant le rôle éminemment géostratégique que joueront dorénavant les hydrocarbures dans l'économie mondiale, les observateurs exprimèrent d'abord beaucoup de doute à voir Mattei réussir à relever, ne serait-ce que le défi d'approvisionner suffisamment l'Italie en hydrocarbures. Et pourtant ! Voici ce que d'autres observateurs ont écrit, après eux, sur Enrico Mattei recevant l'instruction de démanteler l'AGIP. Dans son élan, écrivent-ils, Mattei ne manque pas d'empiéter sur les plates-bandes des majors anglo-saxonnes et françaises quitte à «soutenir les causes capables de rebattre les cartes autrement». D'où le rapprochement d'Enrico Mattei avec les pays du Moyen et du Proche-Orient, producteurs de pétrole, auxquels il offre des pourcentages faramineux à ceux en particulier qui accepteraient d'entrer en partenariat avec l'ENI. Avec l'Iran, il prend jusqu'à prendre de gros risques en conseillant au Premier ministre Mossadegh de nationaliser les hydrocarbures iraniens au prix d'un calcul de royalties équivalant à 75% pour l'encourager à franchir le pas pour atteindre l'indépendance pétrolière. Des indiscrétions laissent déjà penser à l'époque que Mattei était dans le collimateur des «7 sœurs», le cartel dominant des entreprises contrôlant le marché des hydrocarbures du puits jusqu'à la pompe. Les mêmes observateurs affirment alors que Mattei «aurait financé la guerre de Libération algérienne» sinon donné des gages de coopération très rentables pour les deux pays après l'indépendance de l'Algérie. Charismatique et très apprécié des Italiens, c'est la stupeur qui les envahit quand ils apprennent le crash de son avion d'affaires à l'aéroport de Milan, le 27 octobre 1962. Peu après, la rumeur commença d'enfler et les questions de fuser, chaque jour un peu plus nombreuses. Et si la tempête, se demandait-on, n'était pas la seule cause «de la fin tragique de cet homme qui en savait trop sur la classe politique de son pays et qui, par son comportement, en agaçait plus d'un parmi les grands trusts pétroliers internationaux».Le rôle au cinéma d'Enrico Mattei dans l'affaire qui porte le nom du défunt a été magistralement tenu par Gian Maria Volonte.