L'excellente exposition " Ideqqi, art de femmes berbères" qui a été présentée durant l'été 2007 au musée du Quai Branly à Paris est déjà visible au Musée de la civilisation de Québec jusqu'au 22 février 2009.Si le mot " Ideqqui" vous est étranger, sachez que c'est juste un terme berbére qui veut dire poterie. Exceptionnellement fabriquées par les femmes de Kabylie en Algérie et au Maghreb, ces poteries ont été découvertes par les colonisateurs il y a 130 ans. Cette terre-cuite à deux anses, montée au colombin, servait à conserver l'eau et le lait. Transmise de mère en fille, inscrite dans le tatouage, le tissage, la tapisserie, la décoration murale, le bijou et ici dans l'argile, cette forme de décoration aux motifs essentiellement géométriques est typique des cultures de la Méditerranée centrale avant l'introduction du tour et du four. Les femmes des sociétés rurales - à la fois potières, tisseuses, brodeuses - sont dépositaires d'une culture et d'un savoir-faire qu'elles transmettent de génération en génération. Mais cet art traditionnel tend aujourd'hui à se perdre, avec l'exode des campagnes vers les villes d'une part, et avec le développement d'une économie moderne peu favorable au maintien d'un artisanat authentique, de l'autre. La poterie du Maghreb offre un remarquable exemple d'art féminin, mode d'expression personnel qui a vu s'épanouir le génie créatif de simples artisanes. En une centaine de pièces exposées, l'exposition Ideqqi se concentre sur la poterie algérienne rurale des régions de Nedroma, Chenoua, de la Grande Kabylie et de la Petite Kabylie." Ideqqi, art de femmes berbères " met l'accent sur une forme d'art populaire authentique, encore largement ignorée du grand public. La poterie modelée est un témoin aussi précieux que fragile d'un lointain passé : formes arrondies et moulées, décors peints - que l'on retrouve dans les pièces du néolithique - et qui s'apparentent à ceux des vases puniques et des poteries siciliennes. L'exposition met en lumière l'originalité de ces pièces par rapport aux faïences citadines, et souligne leur ancrage africain très marqué et leur relation avec l'art ancien de la Méditerranée. La pureté des formes, la simplicité et la spontanéité des décors donnent à ces objets un charme particulier. Elles témoignent d'un accord remarquable entre la fonction, la forme et le décor. Celui-ci, fortement inspiré de la symbolique traditionnelle, se retrouve dans les tissages, les bijoux et le tatouage. Le visiteur occidental, plongé dans une société essentiellement profane et matérialiste, appréciera la fonctionnalité et la qualité esthétique de ces objets, qui semblent tous véhiculer une dimension sacrée. Les supports de cet art ancestral sont très variés ; ils vont de la poterie, jusqu'au tissage et autres tapisseries. Art populaire par excellence, cette ancienne tradition s'est conservée jusqu'à nos jours. " Aujourd'hui parfaitement abstraits " , pour reprendre feu Gabriel Camps, l'un des spécialistes de la protohistoire de l'Afrique du Nord et du Sahara, la plupart des motifs " ne sont que le fruit ou plutôt le résidu d'anciennes figures progressivement desséchées par la stylisation ". Pour le chercheur, " les noms imagés qui leur sont donnés (le soldat, le papillon, l'œil de l'âne...) révèlent bien leur origine figurative et permettent parfois de leur retrouver une signification primitive. (in Les Berbères. Aux marges de l'histoire, Editions Les Hespérides, 1980) . Parmi les quelque 120 pièces exposées, figurent trois oeuvres de la céramiste et potière Ouiza Bacha aujourd'hui établie dans le sud de la France et dont le travail interroge le geste millénaire des céramistes berbères. Cinq tirages des " Femmes algériennes 1960 " de Marc Garanger complètent le parcours avec les tatouages visibles sur les photographies. Ce rendez-vous africain est un véritable voyage au cœur d'un Maghreb qui, aujourd'hui avec l'exode des campagnes vers les villes et l'apparition d'une économie moderne, devient de plus en plus difficile pour l'artisanat traditionnel de survivre. Pourtant, il existe encore, dans les zones rurales, des femmes qui continuent à pratiquer cette forme d'art, à la fois décoratif et utilitaire. La plupart de ces poteries ont été fabriquées pour un usage domestique. De la jarre pour transporter l'eau, aux barattes pour fabriquer du beurre, en passant par les pots, les plats et les pichets, les éléments exposés n'ont pas été construits que pour l'amour de l'art. Ce sont des morceaux du quotidien qui seront exposés. Afin de rendre la visite plus aisée, 140 objets sont regroupés par fonction. On trouve, également, une vitrine dédiée aux accessoires fabriqués pour les mariages, et des jouets pour les plus jeunes… Une vraie tranche de vie ! Les motifs géométriques décorant ces objets artisanaux n'ont rien d'anodin. En effet, on peut y voir des symboles protecteurs et porte-bonheur. D'une tribu à l'autre, les femmes n'utilisent pas le même genre de motifs, car toutes n'ont pas les mêmes superstitions, ni les mêmes croyances. L'artisanat devient donc un moyen d'affirmer son identité. Au-delà de tout intérêt anthropologique, le visiteur aura aussi la joie de contempler de beaux objets. En effet, ces femmes berbères sont aussi de véritables artistes, car elles restent très libres quant au choix des couleurs et des motifs qu'elles veulent utiliser. Difficile aussi d'imaginer que ces objets de terre nécessitent un travail de titan. Modelage, séchage, polissage, dessin, cuisson, vernissage… le moindre ustensile a demandé des heures de travail ! Au-delà de la fonctionnalité de l'objet et du vocabulaire symbolique de son décor, la créativité de la potière peut se manifester par un talent particulier dans l'agencement des formes, dans la liberté de la composition du décor et le choix des motifs. Rebouh H.