partir d'Oum El-Bouaghi, la route se tient bien et de l'asphalte montent des volutes qui disent la canicule. Les vitres du taxi sont grandes ouvertes et cela ne sert qu'à recevoir la chaleur suffocante par pleines giclées sur le visage. Dieu merci, nous arrivons bientôt à Khenchela, autre lieu-dit de la fournaise qui caractérise la région. Il faut être fou pour s'aventurer par plus de 40° dans les Aurès. Une folie que nous assumons sans complexe et c'est sans rechigner que nous avons accepté ce reportage dans « l'Algérie profonde » comme disent les journalistes. Parce que nous connaissons la région pour y avoir jadis effectué des virées dans ces monts majestueux où il arrive au cèdre de tutoyer les étoiles quand la nuit dévoile ses ailes gigantesques sur Rass Keltoum. Khenchela décline ses premières bâtisses, entre maisonnettes toutes en tuiles et immeubles gris et carrés dont les rez-de-chaussée servent de mécanique auto, grossistes en alimentation générale et cafés où quelques jeunes cohabitent avec l'ennui en sirotant un « jetable » froid. H'mena, journaliste de profession, est ponctuel, debout à l'ombre de l'édifice communal. Impossible de le rater avec son air jovial, sa « abaya » immaculée et son chapeau de paille. L'heure du déjeuner est passée mais il insiste pour nous inviter à la traditionnelle chakhchoukha. Un régal. Une merveille servie à l'ombre de la treille, dans un grand plat en bois, ici on dit « gassaâ ». C'est épicé, c'est fort mais on y va de gaieté de cœur. H'mena propose de se reposer avant le travail. Ce n'est pas tout à fait une sieste, juste un assoupissement et nous voilà partis dans la vieille guimbarde de notre hôte. Direction Bouhmama, jadis une contrée désertique à peine parsemée de quelques lopins nourriciers, devenue un immense verger avec des pommiers à perte de vue. Sur le bord de la route, des enfants proposent le fruit gros comme le poing à pleins paniers. H'mena m'apprend que des mandataires des grandes villes viennent s'approvisionner par camions entiers à Bouhmama et, à Constantine, Annaba, Sétif et même Alger on retrouve les pommes locales vendues sous label étranger à plus de 200 dinars le kilo ! Parce qu'elles ont le calibre et la couleur de celles des Alpes, les pommes algériennes sont beaucoup plus juteuses et la différence ne se découvre donc qu'au goût. La route qui va à Yabous serpente à travers la montagne et la vieille Renault de H'mena tangue dans les virages. Au bout d'une route droite et poussiéreuse, apparaissent des pics de couleur ocre, au pied desquels quelques espaces de verdure font office de potager. Nous entrons dans Yabous, située entre Batna et Khenchela. « Si tu veux acheter du miel, c'est ici », me dit H'mena. Alors la voiture emprunte un sentier poudreux qui débouche sur une ferme cernée de ruches. Un vieil homme à l'allure nonchalante s'approche de nous et nous tend une main rugueuse, celle de ceux qui travaillent la terre. On lui demande s'il a du miel et il nous répond qu'on doit d'abord prendre le café et discuter affaires ensuite. J'avais oublié que je me trouvais dans une région où l'hospitalité est sacrée. Le café sent bon la fleur d'oranger et, après avoir échangé quelques banalités sur la canicule, on aborde enfin le sujet. Notre hôte nous propose du miel sauvage à 3000 dinars le kilo, du miel d'eucalyptus et du miel d'armoise (ecchih) à 2500 dinars le kilo. Je suis sidéré par les prix. A Alger et dans les autres villes, ça vaut au moins le double. Je fais donc mes provisions du précieux nectar et nous voilà repartis. La nuit est chaude et le climat sec. H'mena vient me chercher à l'hôtel. Direction le mont Chélia et retour par Touzeline où un ami nous a invités à déjeuner. Dans la montagne le silence plane ponctué par les cris des oiseaux. Par endroits, on ne perçoit pas le ciel tant les cèdres sont hauts. Il règne une fraîcheur inopportune en cet été caniculaire. On écoute un long moment le silence. Et on repart à contre cœur, car le lieu est paradisiaque et propice au repos de l'âme. Notre ami de Touzeline nous attend et il nous a préparé un « medfoun », plat fait d'un quartier de viande d'agneau, enterré dans un four de braise et recouvert de terre glaise. La cuisson dure quand même quelques heures et à notre arrivée, le repas est prêt. Je n'ai jamais mangé de viande aussi succulente. Un goût inégalable de grillade à la braise, sentant bon les herbes locales. C'est donc lourds et repus que nous prenons le chemin du retour. Après une sieste à l'hôtel, il me faudra rédiger tout ça et l'envoyer au journal. Les choses se mélangent dans ma tête. Le miel, le medfoun, les pommiers à perte de vue, la chakhchoukha de H'mena...Toutes ces richesses d'une région pourtant confrontée au chômage d'une bonne partie de la jeunesse. Une région propice au tourisme de montagne et aux randonnées pédestres en vogue dans les pays d'Europe et qui demeurent méconnues chez nous hormis quelques rares initiés qui s'y adonnent difficilement. Parce qu'on manque cruellement de ces gîtes de montagne, ces chambres d'hôtes où on peut se restaurer et dormir...Après la sieste et un café bien serré, je me mets à l'ouvrage. Il faudra coucher tout ce que j'ai vu, entendu, senti. Hélas, on ne peut transmettre les odeurs ni le cri des oiseaux. J'aurais voulu envoyer un peu de parfum de thym et d'armoise qui poussent sur ces montagnes majestueuses. A. Aliouat Un havre de paix C'est un havre de paix qui surplombe la ville et si l'on pousse jusqu'au sommet, on a une vue aérienne d'Oum El-Bouaghi, ramassée autour de ses maisons en tuile et ceinturée par les nouvelles cités qui étalent leurs blancs bâtiments comme d'infranchissables remparts. Le djebel Sidi R'ghiss et une vaste étendue montagneuse de pins d'Alep, de cyprès et d'eucalyptus avec une faune incroyablement variée et, le soir venu, on y croise des fouines, des lièvres et puis des sangliers qui, affamés, sortent des bois pour fouiller dans les maisons à l'orée de la forêt. Lieu de villégiature par excellence, Sidi R'ghiss attire les familles été comme hiver surtout quand la neige tombe drue. Hélas, les amas de cadavres de bouteilles d'alcool et les restes de feux de bois traduisent une vocation peu recommandable que lui ont imprimée les bandes de jeunes –et de moins jeunes– qui y viennent chaque soir faire la fête. De plus, la forêt est parsemée de toutes sortes de détritus malgré des poubelles apparentes. Quel dommage- ! Une loubia à Sigus Sigus, terre de ruines romaines à vue d'œil. Ici réside Ammi Hocine, un gargotier hors-pair. Sa loubia est réputée à des kilomètres à la ronde. Dans sa minuscule échoppe, on se bouscule en hiver quand le givre recouvre dès potron-minet l'asphalte glissant et que l'on presse le pas emmitouflés dans les lourdes kachabias de laine et de poil de chameau. Comme c'est l'été, la gargote est vide et on s'assied sur les tabourets bancals face à une étagère qui sert de table. La loubia est égale à sa réputation, forte, corsée, bien saucée et accompagnée d'une galette traditionnelle. Un régal à un prix modique. On en sort revigoré et même un peu somnolent. Un café bien serré pour chasser la lancinante envie de sieste et nous voilà sur la route. Quelques kilomètres plus loin, un bouchon et nos avançons péniblement. C'est un accident. A voir la voiture renversée, ce serait grave. Le gendarme nous demande de circuler. Le silence s'installe jusqu'à El Khroub. La cité du négoce Sur la route de Constantine, on ne peut éviter Aïn Fakroun, vaste localité qui tire son nom de la montagne en forme de tortue au pied de laquelle elle fut édifiée. Et sa réputation du gigantesque négoce informel dont elle est devenue l'une des plaques tournantes de l'Est du pays. Toute une avenue est dédiée au commerce de l'habillement contrefait, décliné en de célèbres marques cédées à des prix incroyables. C'est dans ces immenses hangars que les grossistes de la région –et même d'ailleurs– viennent s'approvisionner pour les souks hebdomadaires. Mais Dieu merci, Aïn Fakroun a gardé intacte sa réputation de ville du mouton et du veau, vendus à des prix défiant toute concurrence. Tout voyageur se fait le devoir d'acheter au moins de la viande d'agneau à 1000 dinars le kilo. A la sortie de la ville, on y trouve un long alignement de bâtisses au luxe tapageur. Des maisons à plusieurs étages sans le moindre espace vert, avec au rez-de-chaussée des magasins et puis des magasins. Pour le stockage des marchandises, bien sûr. La ville-santé C'était le deuxième marché à bestiaux d'Algérie après celui d'El Harrach. On y affluait de toute la région et même au-delà. Il se dit qu'ici les maquignons faisaient d'excellentes affaires. Et puis peu à peu, le grand marché dévolu aux bestiaux, s'est rétréci et a cédé la place à un immense souk qui ne désemplit pas. On y trouve de tout, de la quincaillerie aux vêtements en passant par le mobilier. On y vient pour passer des heures entières et pas de problème pour se restaurer dans les nombreuses gargotes improvisées qui dégagent la fumée opaque des brochettes de viande et des merguez. El Khroub, jadis petite banlieue quiète de Constantine, a littéralement « explosé » avec les dizaines de milliers de logements qui forment les cités aux noms chiffrés : ici on dit les 1600, les 900, les 1250...en désignant des ensembles anonymes et sans attrait. Le président de l'APC, professeur de médecine et ancien ministre, nourrit l'ambition d'en faire une « ville-santé ». Le chemin est long à parcourir. Comme l'autoroute qui s'ouvre à nous...