C'est une ville cernée de vergers, et quelle que soit la route qu'on emprunte pour y entrer, les champs sont, à perte de vue, parsemés de taches jaunes et vertes. Ici, le melon et la pastèque sont d'une grande qualité. Comme tout le reste, dans ces lieux-dits de l'opulence. Ramdane Djamel, El Harrouch, Azzaba, El Hadaïk...Autant de vertes prairies où les arbres baissent les branches sous le poids des fruits, entrecoupées de longues haies de vignes où pendent les grappes de muscat. Septembre essore sa canicule et les dernières vagues de chaleur submergent les familles nichées dans des trous de verdure, prenant le frais sur les nappes garnies de victuailles. Au sortir des vergers, commencent les alignements hideux et monotones des cités-dortoirs au pied desquelles les camionnettes de pastèques et de melons attendent le chaland. Skikda annonce la couleur faite de poussière et de volutes de brumes qui s'évaporent dans un ciel aux tons de marbre. Vite, il faut sortir du centre-ville surchargé de grappes humaines et de voitures collées les unes aux autres au volant desquelles enragent les chauffeurs. Les embouteillages sont désormais la marque de fabrique des grandes cités. Les Arcades donnent une illusion de fraîcheur et débouchent sur la grande place où se font face le siède de l'APC et la gare ferroviaire, deux chefs-d'œuvre d'architecture tout en mosaïque. Et après, la mer. Le long boulevard qui longe le rivage de Stora, aligne des villas cossues dont la tuile a pris de la mousse, comme pour défier le temps. « Il y a trop de monde ici, nous dit Sadek, un authentique Skikdi, taxi clandestin à ses heures, féru de pêche et de mots croisés, il faut aller à la Grande plage. » Et nous voilà entamant la quinzaine de kilomètres qui serpente à travers la montagne. C'est un paysage de plantations à perte de vue et ici on cueille la meilleure fraise d'Algérie, celle qui a gardé sa saveur et son calibre comme pour défier le gros fruit difforme des serres que nous avons fini par adopter faute de mieux. Il paraît que lorsqu'on déguste la fraise de Skikda, on ne touche plus à ses « clones » qui inondent nos étals au printemps. La route tourne vertigineusement, et Sadek klaxonne à chaque virage pour éviter un éventuel accident. Et puis au bout d'une route ombragée par les arbres jusqu'à masquer le soleil, la mer. Une baie qui s'étale à perte de vue, cernée par des montagnes et tournant le dos à une forêt dense au bout de laquelle s'étendent les champs de poivrons, de tomate, de pastèques, de melons. « Avant, on venait camper ici en toute quiétude, me dit Sadek, et puis on a loti tout le pourtour et des gens ont construit ces affreuses bâtisses qu'ils appellent résidences de vacances ». Je me tais de crainte de déranger les vagues et de troubler le crépuscule qui étend ses gigantesques ailes pourpres sur la plage. Alors « le temps s'immobilise » selon le poète et on a l'impression qu'il reste suspendu là au-dessus de ces montagnes majestueuses. Le retour à Skikda se fait comme on pose les pieds après un long voyage dans le rêve. Comment se fait-il qu'un lieu comme la Grande plage soit délaissé par les préposés au tourisme national ? « Oh ! Il n'y a pas que cet endroit, me répond Sadek, va du côté de Jijel et de Collo et tu en auras le souffle coupé. » Et après une nuit paisible dans un hôtel sans étoile, je pris la route qui va à Collo. C'est une longue corniche qui slalome entre les rochers et l'on a envie de s'arrêter à chaque instant pour figer le panorama. En bas des falaises, les vagues vont et viennent, déposant l'écume sur des rocs impassibles. Quelques touristes sont figés devant le spectacle. Et puis au bout d'un détour, derrière une montagne, Collo. C'est un village de pêcheurs et les hommes embrassent bon gré malgré, la carrière de matelot sur les sardiniers amarrés au port. Le temps n'est pas à l'orage mais la mer gronde, dans une soudaine colère automnale. Mieux vaut rester à quai. Même les rares vacanciers qui s'obstinent à défier la morte saison qui s'annonce, se font plus frileux. A « La baie des jeunes filles », immense étendue de sable fin, ils ne sont plus que quelques silhouettes furtives qui attendent l'improbable été indien. Venir à Collo sans voir le fameux Cap Bougaroun, le point le plus avancé d'Afrique, c'est faire le voyage pour rien. De nouveau on emprunte la route tortueuse qui y mène. En contrebas, le cimetière collé au flanc de montagne et quoi de mieux que le chant infini des vagues pour bercer ceux qui sont partis. Le cap est une longue bande de terre qui se jette dans la mer et du haut de la colline, on en a une vue splendide. L'environnement est encore vierge de l'invasion du béton, hormis quelques maisonnettes éparses dans la végétation drue. Et c'est mieux ainsi. Lotir ce coin de paradis revient à transformer le paysage de cubes hideux et gris. Ces paradis ont été zappés par les émissions « Thalassa » et « L'Algérie vue du ciel ». On n'est jamais mieux servi que pas soi-même.