Cette déferlante migratoire fait peser de lourdes incertitudes sur le devenir européen miné par les divergences opposant les tenants de la solidarité aux partisans de la fermeté. Même l'eldorado allemand, présenté en modèle incontournable, a vacillé dans ses convictions les plus sûres. Si au fond, les valeurs fondamentales de la liberté et le socle unitaire ont été ébranlés à l'épreuve de la tragédie humaine jamais vécue, le risque de déflagration est sérieusement appréhendé. Une possible fermeture des seules frontières encore accueillantes, soit entre l'Allemagne et l'Autriche rejoignant l'Europe des bunkers, peut conduire à l'irréparable, notamment dans le contexte des tensions accrues dans la région explosive des Balkans. La « route des migrants », une poudrière par excellence ? La mise en garde de la chancelière allemand Angela Merkel ne souffre aucune équivoque. Lors d'un rassemblement de l'Union chrétienne démocrate (CDU) à Darmstadt, selon des propos rapportés, hier, par des médias allemands, elle a clairement évoqué le scénario du pire. « Je ne veux pas qu'on en arrive à des affrontements militaires là-bas », a-t-elle déclaré. Le verrou européen a amené de nombreux experts à s'interroger sur les conséquences du durcissement austro-allemand provoquant inéluctablement la fermeture des Balkans. Alors que l'Union européenne a annoncé, fin octobre, la création de 100.000 places d'accueil en Grèce et dans les Balkans, le bras de fer se poursuit entre la Slovénie, la Croatie, la Serbie et la Hongrie. Le centre croate Slavonski Brod, ouvert le 20 septembre à la frontière entre la Croatie et la Serbie et aménagé par l'armée pour accueillir 5.000 migrants, est appelé à être progressivement fermé. En attendant, environ 1.000 migrants sont arrivés, hier en train, pour être transférés dans la ville serbe de Sid jusqu'au centre d'accueil de Slavonski Brod, selon un plan convenu le 23 octobre entre le ministre croate de l'Intérieur Ranko Ostojic et son homologue serbe Nebojsa Stefanovic. Les migrants seront ainsi conduits en garde pour ne plus franchir à pied la route longue de 3 km du côté serbe. Cette nouvelle procédure s'inscrit dans une volonté d'apaisement et d'allégement des souffrances du peuple des migrants livrés à la rigueur de la pluie et du froid, notamment pour les enfants et les personnes vulnérables. Jusque-là, le « plan de l'Union européenne se réalise », a constaté le ministre croate de l'Intérieur. Sur les 9.000 migrants recensés pour la seule journée de lundi dernier, « au moins 6.000 » vont quitter chaque jour la Croatie. Il reste, relève-t-on, le poids grandissant des 312.000 migrants du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie qui, par delà la fenêtre croate, interpellent l'Europe des droits de l'Homme et des valeurs démocratiques.