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« Le mystère de la construction du mausolée royal de Maurétanie non encore élucidé »
Zakia Hadj Tahar, universitaire spécialisé ` dans l'histoire antique
Publié dans Horizons le 15 - 11 - 2015

Le mausolée royal de Maurétanie, communément appelé le tombeau de la chrétienne, est situé à quelques kilomètres à l'Est de la ville de Tipasa. Erigé sur le sommet d'une colline, son imposant volume le rend visible à des dizaines de kilomètres à la ronde. Plus de deux mille ans après sa construction, il n'a pas encore livré tous ses secrets. En effet, son énigme demeure entière, tant son origine, ses bâtisseurs ainsi que d'autres éléments historiques qui s'y rattachent demeurent, à nos jours, matière à débats et à études au sein de la communauté scientifique, particulièrement entre les chercheurs spécialisés en archéologie et ceux en histoire antique. Des hypothèses à ce sujet ont été avancées par certains chercheurs, notamment, depuis les premières fouilles effectuées sur son site durant la deuxième partie du XIXe siècle par Adrian Berbrugger, sous Napoléon III. Dans cet entretien, Zakia Hadj Tahar, enseignante universitaire, spécialisée dans l'histoire antique, nous livre des indices permettant un tant soit peu de percer le mystère de sa construction.
De nombreux écrits attribuent la construction du mausolée royal de Maurétanie à Juba II. Qu'en est-il réellement ?
Les chances pour que cette théorie soit plausible sont infiniment réduites, voire inexistantes. Et pour cause, les faits historiques et certains détails architecturaux visibles sur le monument confortent l'hypothèse que sa construction est antérieure à l'époque du règne de Juba II (25 av JC à 23 ap JC) sur la Maurétanie. Partant de ce postulat, on peut donc contester scientifiquement le fait que ce mausolée ait été érigé pour abriter la dépouille royale de Cléopâtre Céléné, épouse de Juba II. Toutefois, il faut savoir que Juba II était un roi qui a marqué son règne par de nombreuses réalisations et était connu pour son érudition et son vaste savoir.
Qu'en est-il de l'origine chrétienne du mausolée ?
Cette référence à la chrétienté est également fausse. Elle est née d'une fausse interprétation d'un symbole, plutôt d'un motif ornant les fausses portes du mausolée. En effet, ce motif qui ressemble à la croix chrétienne n'est en réalité que des moulures ornant les panneaux des fausses portes en question. Par implication, ces croix ne peuvent, en aucun cas, être des symboles renvoyant à l'époque de sa construction. Aussi et à titre informatif, au premier siècle de notre ère, le symbole du christianisme n'était pas la croix, mais le poisson.
A quelle époque remonte la construction de ce mausolée ?
Comme je l'ai déjà dit, il a été érigé bien avant le règne de Juba II. Au premier siècle ap J-C, le géographe et chroniqueur Pomponius Mela a mentionné son existence et sa position géographique dans ses écrits. Il le mentionna sous le nom du mausolée royal commun, sans aucune autre précision. L'archéologue Stéphane Gsell, spécialiste dans l'histoire romaine en Afrique, décédé au début des années 30 du siècle dernier, avance la théorie que Pomponius Mela a repris cette information d'une autre source. Cette source est un manuscrit appartenant à Varon, mort deux ans avant que Juba II ne monte sur le trône. Dans cet écrit, il fait référence au mausolée royal.
Bien qu'explicites, ces théories, à elles seules, ne peuvent servir de substrat incontestable pour situer avec précision l'époque de la construction de ce monument funéraire
Le manuscrit de Pomponius Mela et ce qu'a consigné Stéphane Gsell à propos de Varon sont confortés par d'autres preuves qu'on trouve sur le site. Ainsi, dans la partie cylindrique du mausolée, on recense 60 colonnes couronnées par des chapiteaux ioniques. La forme de ces chapiteaux est un indice incontestable. Sa décoration est constituée à ses extrémités de deux motifs de forme spirale reliés par un canal incurvé vers le bas. Selon Stéphane Gsell, cette décoration est totalement différente de celle utilisée à l'époque romaine qui se singularise par un canal droit et non courbé. La forme ionique des chapiteaux des colonnes du mausolée date de la civilisation grecque, plus précisément au Ve siècle av J-C. Les derniers ateliers fabriquant ce type de chapiteaux remonte au IIe av J-C à Carthage, soit avant sa chute. Aussi, la seule gravure en relief ornant l'intérieur du mausolée, représente un lion et une lionne. Des divinités célèbres à l'époque tout autour du pourtour méditerranéen.
En Algérie, on trouve un autre mausolée qui ressemble fortement à celui de Tipasa et qui est situé à Imedghassen. Y a-t-il un lien entre les deux monuments ?
Il est plausible que les deux monuments aient la même source. Leurs formes architecturales rappellent celle des bazinas qui servaient de sépulture à l'époque protohistorique, en Afrique du Nord, notamment dans le Hodna. A la différence des tumulus constitués de terre ou d'amas de pierres, les bazinas sont des tombeaux construits avec des pierres bien agencées formant un aspect sphérique. Pour de nombreux chercheurs, les bazinas ont été la source d'inspiration pour les concepteurs du mausolée royal de Tipasa.
Y a-t-il d'autres influences, particulièrement étrangères qui ont conféré au mausolée royal son cachet architectural si distinctif ?
On trouve des influences à la fois égyptienne et grecque. Sur le site, on distingue la base carrée qui soutient la plateforme surélevée servant de socle au monument. Cette base carrée, on la retrouve également sur le site des pyramides égyptiennes. Aussi, la forme architecturale des colonnes ioniques jalonnant la partie cylindrique du monument est d'influence grecque. Les dimensions gigantesques et la complexité architecturale du mausolée prouvent que ces bâtisseurs avaient une maîtrise extraordinaire de l'art de la construction, des calculs et un savoir-faire pointu en architecture.
A-t-on trouvé du mobilier ou des trésors à l'intérieur du mausolée ?
Bien qu'il ait, à travers les âges, alimenté des légendes à son propos, rien n'a été découvert dans ses galeries intérieures ou dans la chambre centrale. Le mystère demeure entier. Ce n'est qu'en 1865 qu'Adrien Berbrugger, inspecteur des monuments historiques sous Napoléon III, a procédé à des fouilles archéologiques pour accéder à la chambre funéraire.
Il a ainsi découvert la porte basse menant à l'intérieur du mausolée, située sous la fausse porte orientée vers l'Est. Avant lui, le monument a été évoqué dans un rapport d'une délégation militaire anglaise de passage en Algérie. Il a été, en effet, décrit par le docteur Thomas Shaw, membre de la délégation en 1738. En 1555, Salah Raïs a bombardé avec des canons une partie du monument située dans sa partie Est.
Pour quel objectif a-t-il voulu détruire le mausolée ?
En se basant sur une légende locale, fort répandue à l'époque, qui racontait qu'un berger ayant l'habitude de faire paître son troupeau à proximité du mausolée assistait souvent à une scène invraisemblable. L'une de ses vaches s'introduisit par miracle à l'intérieur du mausolée et elle en est ressortie avec des bijoux sur ses cornes. En prenant cette légende au sérieux, Salah Raïs décida de se frayer un passage jusqu'à l'intérieur du tombeau afin de récupérer le trésor qui y était caché. Pour ce faire, il a utilisé des canons ce qui a endommagé une partie du monument.
Plus de deux mille ans après, le mausolée royal de Maurétanie demeure toujours debout ...
Effectivement, il a été construit pour résister à l'épreuve du temps et de l'action humaine. Ce fait conforte l'idée qu'il a été érigé pour honorer une personne ou un groupe de personnes très distinguées, à l'instar d'un roi ou bien d'une famille royale. Ses dimensions gigantesques et son volume dépassant les 80.000 mètres cubes font de lui un monument rare en son genre.
A titre illustratif, sa base de forme carrée mesure 63,4 m de chaque côté. Sa circonférence est de 185,5 m et son diamètre est de 60,9 m. Sa hauteur est de 33 m, sa hauteur originelle peut atteindre les 40 m. Dans la partie inférieure du corps du monument, en l'occurrence sa partie cylindrique, est ornée de quatre fausses portes sous forme de trapèze et est orientée vers les quatre points cardinaux. Sa partie supérieure de forme conique est constituée d'une juxtaposition de 33 gradins, chaque degré mesure 58 cm. C'est vous dire son immensité.
Un dernier mot ?
Le fait qu'on n'ait pas trouvé encore la chambre funéraire des inscriptions ou des reliques pouvant privilégier une piste pour des travaux de recherche, on ne peut connaître avec clarté l'identité de celui ou ceux dont les dépouilles reposent à l'intérieur de ce monument funéraire. Il est peut-être temps de procéder à de nouvelles fouilles archéologiques, d'autant plus que notre pays dispose de compétences spécialisées en archéologie de renom. Par ailleurs et à défaut de l'existence de restes d'humains ou d'outils dans la chambre centrale du monument, on ne peut la désigner comme étant une chambre funéraire. Sauf si elle a été pillée avant la découverte par Adrien Berbrugger du passage y menant.


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