Abane en plus du fait qu'il ait été assassiné, a été effacé des hommages officiels et parfois attaqué de la manière la plus éhontée », confie-t-il. Selon Bélaïd Abane, « ce genre de travail n'est pas aisé. Il faut prendre de la distance pour ne pas tomber dans la glorification béate qui fait perdre alors tout crédit ». « S'agissant d'Abane, il faut bien que quelqu'un donne la réplique à tous ses contempteurs. Evidemment, s'il pouvait se défendre tout seul, il n'aurait besoin de personne », argumente-t-il. La Soummam, la pomme de discorde Abane Ramdane est entré en Révolution à un moment crucial de la guerre de Libération, à ses débuts incertains. Il arrive en effet à Alger à la fin de l'hiver 1955 et y restera jusqu'à la fin de l'hiver 1957. Il jouera un rôle décisif dans la structuration du FLN. C'est au cours de cette période que les paras de Massu font régner « l'ordre et la terreur » sur la ville Blanche par les arrestations, la torture et les exécutions extrajudiciaires dont celle de Larbi Ben M'hidi. Durant ces premières années de « rébellion », Abane s'est révélé le stratège et l'organisateur hors- pair de la Révolution. Il est à l'origine de l'unification des énergies nationales, de la création de l'UGTA, l'inspirateur de « kassaman » et des textes de propagande politique du FLN. Il va pourtant concentrer sur sa personne et son action de vives oppositions. A l'architecte du Congrès la Soummam, il est reproché à la fois un tempérament autoritaire à la limite, dit-on du mépris. Mais, rectifie, l'auteur, « certes Abane était méprisant mais son mépris s'adressait uniquement à ceux qui se croyaient au-dessus de toute norme sans avoir les capacités de leurs ambitions ». Certains feront également porter à Abane « l'échec » de la Bataille d'Alger, oubliant que ce dernier n'était que l'un des cinq membres d'une direction collégiale. De même, l'intégration des centralistes tels que Ben Khedda et Dahlab dans les instances dirigeantes (CCE et CNRA), issues du Congrès de la Soummam, est perçue par certains « Novembristes » comme une déviation. Ben Bella et Mahsas seront à la pointe de ce refus des résolutions de la Soummam. Plus d'un demi-siècle après, cette pomme de discorde soummamienne suscite encore des polémiques passionnées. L'auteur en expose les termes et les enjeux sous-jacents. Dans un autre registre, l'auteur s'attache à dresser le profil psychologique d'Abane et à expliquer l'importance de son apport en croisant de multiples témoignages et en évoquant des souvenirs personnels. Confrontant les avis, il réduit la portée de certaines critiques adressées à Abane et dévoile les vraies raisons des griefs entretenus par des rivaux comme Krim Belkacem et plus tard Boussouf et Ben Tobbal. L'auteur s'attarde également sur certains épisodes tragiques comme la guerre fratricide FLN-MNA, l'élimination d'anciens cadres du PPA accusés de « berbérisme » ou le procès qui ont conduit à la condamnation d'officiers de la wilaya I (Aurès- Nememchas). cible de toutes les contestations Dans son dernier livre*, l'auteur par ailleurs professeur de médecine, relate le parcours d'un homme très tôt engagé, alors qu'il était au collège de Blida au cours des années 1930, dans le PPA qui prône l'indépendance du pays. Tout commence à Azouza, près de Larbaâ Nath Iraten. Une magnifique entrée en matière, pour évoquer la famille du chahid. Son père, Mhand, et son oncle Rabah, commerçants ambulants, ont fait le tour du monde, au début du siècle, avec des haltes à Cuba, aux USA, à Santiago du Chili, au Brésil, avant de gagner l'Australie et même la lointaine Ile de Tasmanie. L'auteur retrace le parcours militant d'Abane évoquant son engagement dans la structuration de l'OS dans l'Est algérien, son arrestation et son incarcération dans différentes prisons. Après la sortie du CCE d'Alger, début mars 1957, Abane gagne le Maroc en compagnie de Dahlab. L'auteur s'attarde sur « la traversée houleuse » de l'Oranie commandée alors par Abdelhafid Boussouf. En appui aux aspects biographiques, l'auteur fait revivre le contexte qui conduit les acteurs de la Révolution algérienne à des différences d'appréciation sur la manière de mener la Révolution. « Au sommet périlleux du pouvoir, il devient la cible de toutes les contestations mais aussi de toutes les ambitions » (P.140), note l'auteur. Au fur et à mesure qu'il égrène les étapes de son engagement entier qui culminera avec la tenue du Congrès de la Soummam en août 1956, l'auteur explicite les concepts chers à Abane mais néanmoins controversés comme la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire. Dans une lecture de l'histoire qui fait bonne place aux conflits de personnes, l'auteur dissèque les ressorts intimes des différends entre dirigeants. Il s'attarde également sur la résurgence des dissensions tribales dans les Aurès après la mort de Ben Boulaïd en mars 1956, raison essentielle, selon lui, de l'absence de la Wilaya I au Congrès de la Soummam. Un prochain livre sur l'assassinat d'Abane On peut deviner à la lecture de son livre que Bélaïd Abane entend accorder dans son prochain ouvrage qui paraîtra fin 2016, début 2017, une place majeure aux querelles de personnes pour expliquer l'élimination d'Abane en décembre 1957. Bien évidemment, privilégier les querelles personnelles dans la compréhension de l'histoire, comporte un risque. Réda Malek, qui a travaillé en Tunisie aux côtés d'Abane, met ainsi en garde contre la tentation de réduire, à travers une approche microsociologique, la Révolution algérienne à « un panier à crabes » (cf. préface à Ecrits d'hier et d'aujourd'hui Casbah 2010). Il n'en demeure pas moins que l'histoire de la guerre de Libération, longtemps désincarnée, a besoin, par souci de vérité et d'objectivité, des révélations dont fourmillent ces pages. L'annonce d'un prochain livre devrait dissiper l'obscurité qui entoure cette phase et les ultimes instants d'une vie dense et toute entière vouée à la libération de l'Algérie. R. Hammoudi « Nuages sur la Révolution, Abane au cœur de la tempête », Editions Koukou, 430 pages Prix public : 1.200 DA.