Sur la base du panier de la ménagère que maintient inchangé l'Office national des statistiques (ONS), l'inflation est maîtrisée autour des 2,6% au premier semestre 2007. Le vécu par contre renvoie une toute autre réalité. Celle d'une spectaculaire flambée des prix. L'écart entre l'inflation perçue par l'Algérien et celle calculée par l'ONS témoigne, outre la difficulté de vérifier la véracité d'une donnée officielle, d'un pouvoir d'achat sans cesse érodé. Juillet et août se sont singularisés par une envolée générale des produits de large consommation.Le gouvernement qui n'a de cesse rappeler l'option de continuer à subventionner les prix du pain et du lait est pris de cours par le marché. Il découvre son incapacité à faire respecter les prix administrés. La régulation fait défaut et les commerçants en saisissent l'aubaine. Les basics économiques sur les élasticités de l'offre et de la demande semblent ne plus fonctionner. Tout en aval de la chaîne commerciale, les boulangers et autres épiciers n'ont pas hésité à réviser "unilatéralement" les décrets sur les prix dirigés. La baguette est cédée à 10 dinars au lieu des 7,5 à 8 dinars, soit une augmentation sèche de presque 34%. Ceci alors que l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a rassuré ses clients (minotiers) de maintenir inchangé le prix du quintal de blé tendre destiné à la production de farine panifiable à 1285 DA et ce en dépit de l'explosion des cours mondiaux. Idem pour le sachet de lait pasteurisé. Fixé à 25 DA le litre, il se monnaye quand il est disponible au prix fort. Par endroit, il a atteint les 45 DA, soit une progression à la fois " record et illégale " de…80%. Par effet d'entraînement, la quasi-totalité des dérivés a suivi le mouvement. Les yaourt ont pris jusqu'à 4 DA par pot passant de 10 à 14 DA, le lait en poudre aussi (de 300 à 370 DA kg). La pénurie "subite" de la pomme de terre, incontournable ingrédient de la cuisine quotidienne, a imprimé au reste des légumes et fruits une tendance haussière malgré l'abondance de certains produits. A l'exception du poste "carburant", tout a flambé. Ce qui n'a pas empêché pour autant les transporteurs privés de revoir à la hausse les prix des billets. Ce tour d'horizon non exhaustif démontre si besoin est que le pouvoir d'achat de l'algérien est mise à rude épreuve. Détérioration du niveau de vie Pourtant, récemment, le département du travail, de l'emploi et de la sécurité sociale a surpris tout son monde. En plein manifestation de l'érosion du pouvoir d'achat, le gouvernement sort avec une statistique donnant celui-ci (pouvoir d'achat) en appréciation régulière de 6,6% par an entre 1999 et 2007 (sur la base d'un dinar constant). Le ministre a expliqué que cette amélioration est tirée par l'élévation du salaire national minimum garanti (SNMG), actuellement de 12.000 DA (+66,2% entre 1999 et 2007). Une affirmation acceptable mais pas tout à fait juste puisque les pouvoirs publics semble faire abstraction du renchérissement automatique des prix à chaque revalorisation salariale qui elle-même se trouve amputé d'une grande partie de sa valeur en raison des charges qui y pèsent. En fait, ce qui tombe dans la poche du citoyen est moins important que ce qui est annoncé. Même l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), seul représentant social toléré dans le pacte économique et social, n'est pas d'accord avec ce raisonnement. D'après son étude de 2006, la centrale syndicale situe le SNMG “décent” à 24 000 DA. Faiblesse des revenus L'actualisation qui est en cours risque de relever ce niveau pour avoisiner les 30 000 DA. L'UGTA n'est pas la seule à se pencher sur la question. Les experts du Conseil national économique et social (CNES) s'y sont intéressés. Tout en admettant l'effet positif de l'augmentation du SNMG, ils écrivaient dans leurs dernier rapport national sur le développement humain qu'"une amélioration du pouvoir d'achat ne signifie pas nécessairement un pouvoir d'achat fort". Dans la même étude, le CNES a décortiqué le rythme d'évolution du niveau de vie des salariés, public et privé confondus. La conclusion est implacable : "la dégringolade est bel et bien réel". L'examen du compte revenus-dépenses par les experts du CNES révèle que la part de la rémunération des salariés dans le revenu brut des ménages est sur une tendance baissière, alors que celle des indépendants est stationnaire. L'évolution à la baisse de la part de la rémunération des salariés dans le revenu brut des ménages s'est accompagnée d'une dégradation du pouvoir d'achat global des salariés. En se basant sur les données fournies par l'ONS sur les rémunérations, le chômage et l'inflation, les statisticiens du CNES parviennent à situer la moyenne annuelle de la baisse du pouvoir d'achat du salaire moyen à 1,7% depuis 2001. En cumulé sur la période 2001 à 2004, la chute serait de 5%. En effet, les analystes du CNES qui accréditent la variation moyenne annuelle de la rémunération des salariés à près de 9%, l'expliquent moins par un gain en salaires que par l'effet de volume avec l'augmentation des effectifs située dans une moyenne de 7,8%. Le rythme de création d'emplois enregistré est de 6,6% en moyenne par an, correspondant à la création de plus de 1,8 million d'emplois nouveaux. Ce qui a permis de satisfaire toute la demande nouvelle de travail, estimée à 924 000 personnes et de réduire sensiblement le stock de chômeurs de près de 900 000 individus. Le chômage a certes baissé mais la qualité de l'emploi générée est médiocre. D'après cette institution, 80% de l'emploi est d'ordre précaire. La rémunération servie l'est aussi. La perte de pouvoir d'achat ne se limite pas aux salariés du secteur public. Elle affecte, également, la sphère privée avec un recul de 5,2%. Des mesures palliatives Une autre enquête sur les salaires menée par le CENEAP en 2005, soit avant celle du CNES a avertit d'une perte réelle du pouvoir d'achat. Elle a conclut que 68,2 % des ménages ont contracté un emprunt. 46,43% d'entre eux consacrent les sommes empruntées aux dépenses courantes en raison, probablement, de la faiblesse des revenus et près d'un tiers (31,6%) des ménages algériens s'endettent pour des dépenses courantes. Ce qui attire l'attention n'est pas la souscription d'un emprunt mais davantage l'usage qui en est fait. Le PIB par habitant est passé de 1496,8 dollars en 1995 à 3116,7 dollars en 2005, soit un accroissement annuel de 7,6% pour une augmentation annuelle de la population de 1,6%. Le PIB en Parité de pouvoir d'achat (PPA), c'est-à-dire réajusté pour des raisons de comparabilité avec le reste des pays, est passé de 4629,4 dollars PPA en 1995 à 7749,3 dollars PPA en 2005, soit une amélioration annuelle de 5,3%. Des indicateurs au vert pour une société qui voit tout au rouge. "Le sentiment d'appauvrissement" pour reprendre le qualificatif du CNES résiste à l'amélioration des indicateurs macro-économiques. Le système inéquitable de redistribution de la richesse ainsi que la dépendance de la fluctuation des prix des hydrocarbures (volatilité) fait que le pouvoir d'achat reste fragile. Pour tenter d'oxygéner un tant soit peu le niveau de vie plusieurs propositions fusent, particulièrement du patronat qui saisi l'opportunité pour réclamer des baisses fiscales et tarifaires. La baisse de la TVA permettrait, selon ses défenseurs, de réduire d'une part, la pression fiscale sur l'économie légale et d'autre part, de redonner du souffle au pouvoir d'achat. Pour les consommateurs, il ne s'agit ni plus ni moins que de quête de "cadeaux fiscaux" à greffer aux marges bénéficiaires déjà importante. Pour preuve, le kilogramme de pomme de terre a encore augmenté de 5 à 10 DA au moment où une ordonnance présidentiel l'exonérait momentanément de TVA (17%) et de tarifs douaniers (30%). Au-delà des interventions factuelles, une partie du patronat algérien aspire à plus d'égards pour la production nationale car en définitive les concessions tarifaires sont autant de part de marché offerte à l'importation au détriment de l'outil de production locale qui peine à atteindre des niveaux suffisants de productivité .