Pour avoir été le dernier et, pratiquement, le seul représentant de l'ordre ottoman à avoir bravé, les armes à la main, l'armada coloniale, menée, tambour battant, par le maréchal De Bourmont, El Hadj Ahmed Bey, le grand maître du Beylik de l'Est, demeure, à ce jour, au cœur d'une historiographie non dénuée d'équivoques. L'histoire officielle de l'Algérie, étant restée, plus d'un siècle durant, du seul apanage d'une approche éminemment colonialiste. Vu son envergure et les zones d'ombre entretenues à son sujet par les historiens français, on ne pourrait aborder, de fond en comble, l'épopée du célèbre résistant en un seul ouvrage. Force est de reconnaître à Djilali Sari, professeur émérite à l'Université d'Alger, une détermination bien manifeste à lever le voile sur une question qui a failli écorner son illustre image. Les « Mémoires de Hadj Ahmed Bey » (1774-1850), son essai, est récemment paru aux éditions Anep. Document compromettant et complexe Publiés en 1949 par l'historien français Marcel Emerit, plus d'un siècle après l'« emprisonnement » d'Ahmed Bey à Alger, ces « mémoires » recueillis par le capitaine Rouzé, officier des Bureaux arabes, chargé de surveiller et, surtout, de recueillir ses déclarations, suscitent moult interrogations. L'auteur ne s'embarrasse nullement de questionner leur crédibilité : « Vu les premières constatations relevées dès les premières pages, sciemment mises entre guillemets, tout observateur peu avisé doit s'en douter. Est-ce bien les mémoires rédigés par le bey de Constantine, de surcroît traduits en langue française, par quelque traducteur fut-il plus ou moins honnête et crédible ? Bien plus, dans quelles circonstances précises ? », se demande-t-il en mettant en doute le bien-fondé du document conçu intégralement sur une base orale, et dont la traduction n'est pas moins suspicieuse. Non sans rappeler le caractère contreproductif de ces mémoires contre ce chef qui a lutté, dix-huit ans durant, contre l'ordre colonial, Djilali Sari évoque un cas d'« espèce rarissime », sans commune mesure avec le Traité de la Tafna (1837), dont la version arabe, souligne-t-il, n'a pas été placardée par les autorités d'occupation mais conservée et retrouvée dans les archives du promoteur Emerit. Selon lui, l'objectif recherché par les Bureaux arabes à travers cette entreprise, qui a mis l'accent sur l'assignation à résidence imposée perfidement à Hadj Ahmed Bey, était de le désavouer devant son peuple et, par voie de conséquence, de démystifier la résistance algérienne. Loin d'appeler au rejet du document compromettant et complexe, l'auteur plaide pour une exploitation empreinte de « patience » et une analyse à la fois globale et dans le détail pour rendre compte dans quels autres intérêts peuvent présenter des renseignements précieux communiqués à un vis-à-vis, de surcroît un officier des Bureaux arabes ».