Par Hosni Kitouni Traiter de sujets historiques est toujours grave, parce que leurs enjeux touchent � la m�moire des hommes, � leur pass� et le plus souvent aussi � leur pr�sent. Il s�ensuit qu�en recherche historique, les pr�cautions d�usage obligent � ne jamais rien affirmer qui ne soit appuy� sur des sources v�rifiables et contradictoires. Que l�histoire de Constantine n�ait pas �t� �crite par les historiens alg�riens est un fait, regrettable certes, mais cela n�autorise personne � tronquer les faits pour insulter les victimes de l�exp�dition de 1837. Si les Fran�ais consid�rent la bataille de Constantine comme une des pages glorieuses de leur pass� colonial, cela tient tout au plus � leur incapacit� � penser ce pass� de mani�re critique et apais�e. Faisant siennes les th�ses les plus �cul�es de l�historiographie coloniale, A. Merdaci affirme : �Il faudra se r�soudre � dire les responsabilit�s des Constantinois dans une sombre d�route longtemps inconsol�e ?� La bataille de Constantine se r�sume donc, selon A. Merdaci, � une fuite d�sordonn�e, une d�bandade des Constantinois face � l�ennemi ? J�ai voulu, � travers ce court article, rappeler ce que la bataille de Constantine a �t� r�ellement ; en parlant du bey Ahmed, situer son combat dans sa dimension historique ; enfin relater dans quelles circonstances �les fuyards du rocher� sont-ils morts ? 1. La bataille de Constantine et le r�le du bey Ahmed A. Merdaci affirme : �Le Trait� de la Tafna, sign� le 30 mai 1837 par Abdelkader et Bugeaud, a rendu possible la prise de Constantine, strat�giquement isol�e par l�envahisseur, d�sert�e par le bey Ahmed et par le gros de ses troupes, repli�es dans les hautes plaines. Que disent les faits ? Nous sommes au d�but de 1837. Une ann�e auparavant, le gouverneur Clauzel, � la t�te d�une colonne exp�ditionnaire, �choue � franchir les murailles de Constantine. Le gouvernement fran�ais est contraint de r�viser sa doctrine d�occupation. Elle devra dor�navant se restreindre aux villes principales et � leur banlieue, �le reste doit �tre abandonn� � des chefs indig�nes, choisis parmi les hommes qui ont une influence d�j� faite et assez nombreux, s�il est possible, pour qu�aucun d�eux n�ait sur les autres une pr�pond�rance excessive( 1)�. C�est ce qui fut appel� l�occupation restreinte. Son application aboutit, d�s le mois de mai 1837, � la signature de la convention de la Tafna entre Bugeaud et l�Emir Abdelkader. Mais sit�t sign�, le trait� appara�t au gouvernement fran�ais comme trop favorable � l�Emir qui s��tait vu reconna�tre une souverainet� sur une partie de l�Alg�rie, qui, en r�alit�, �chappait � son autorit�, d�o� l�empressement des Fran�ais � chercher � lui trouver � l�Est, un contrepoids, en la personne du bey Ahmed qui s��tait intronis� pacha de la province de Constantine. Mais voil�, avec hadj Ahmed, la France avait un grave contentieux. L�ann�e pr�c�dente (1836), les Constantinois inflig�rent une terrible d�faite � l�arm�e fran�aise. L�honneur de la France et de son arm�e appelait donc une revanche. Damr�mont, nouveau gouverneur de l�Alg�rie, est donc charg� d�une mission difficile : n�gocier avec le bey Ahmed une r��dition mutuellement profitable, et le cas �ch�ant, si la guerre s�imposait comme unique solution, la faire, mais la faire pour la gagner. �Depuis le trait� de la Tafna, �crit Pellisier, un des meilleurs historiens de la conqu�te, il �tait �vident que la destruction de l�autorit� d�Ahmed ne pouvait plus tourner qu�au profit d�Abdelkader, qui, de Tittery, �tait en position de recueillir son h�ritage politique.�(2) Voil� comment, d�s le mois de juin, tout en pr�parant l�exp�dition, les Fran�ais entr�rent en pourparlers avec le bey Ahmed par l�entremise de Bou Djennah �un juif alg�rien habill� � la fran�aise�. Damr�mont s�engageait � reconna�tre au bey sa souverainet� sur la province de Constantine en contrepartie de quoi, il devait payer un tribut de guerre, une �lezma annuelle� de 1 million, et abandonner � la France La Calle, B�ne et leurs banlieues.(3) Les n�gociations tra�n�rent, non sans arri�re-pens�e d�un c�t� comme de l�autre. Finalement, raconte le bey Ahmed dans ses m�moires : �Je fis convoquer tous les grands du pays et lorsqu�ils furent arriv�s, ils furent unanimement d�avis de ne pas accepter de telles conditions (�) les ul�mas �galement furent consult�s et ils donn�rent la m�me r�ponse.�(4) Il semble que l�opposition la plus farouche � une r��dition soit venue de Ben A�ssa et de quelques chefs de tribus. Le bey Ahmed ne put aller contre la volont� des siens, il �crira plus tard qu�il a �t� tromp� par Bou Djenah, qui a jou� un r�le obscur dans le d�roulement des n�gociations. La guerre s�imposa donc comme la seule alternative possible. La pr�paration � la guerre Alors m�me que les n�gociations se d�roulaient, le bey Ahmed entreprit de r�parer et renforcer tout le pourtour de la muraille de la ville, principalement la face de l�ouest et les abords du pont. �De nouveaux cr�neaux �taient perc�s dans la muraille sur plusieurs �tages en divers points ; deux batteries fort bien �tablies d�fendaient les portes de Bab-el-Oued et Bab-el-Djedid ; 63 bouches � feu se trouvaient en position et arm�es. Une batterie de mortiers �tablie sur une plateforme, au sommet de la Kasba, permettait de lancer des bombes dans tous les sens.� Pour ne pas manquer de munition et tenir un long si�ge, les Constantinois r�unirent �des quantit�s consid�rables de poudre, de boulets, de munitions de guerre, apport�es jusqu�au dernier moment, s�entassaient dans les magasins et sur diff�rents points de la ville�. M�me l�approvisionnement en vivres n�a pas �t� oubli� �en m�me temps les grains remplissaient les silos, on fabriquait des biscuits et on recevait des vivres et des provisions de bouche de toutes sortes�. Les familles ne furent pas du reste, dans chaque maison, des provisions consid�rables furent mises � l�abri. Ne n�gligeant aucun aspect dans les pr�paratifs de la r�sistance, le bey Ahmed envoya recruter en Orient �environ 500 canonniers exp�riment�s qui arriv�rent par la Tunisie voisine. Le bataillon r�gulier de Kabiles �tait port� � l�effectif de 1500 hommes choisis ; les corporations d�ouvriers �taient arm�es et divis�es par groupes sous l�autorit� de chefs �nergiques, il en �tait de m�me de la milice urbaine proprement dite et ces derniers corps fournissaient ensemble 2 000 combattants.� D�s le mois de juin, le bey Ahmed parcourut les tribus de l�int�rieur, afin de s�assurer le concours de tous � la guerre sainte proclam�e. Il re�ut l�engagement solennel des Hanancha, Haracta, Telghma, Ferdjioua, Zouagha, Ouled Abdenour, Righa, des Medjana, des tribus de l�Aur�s, ceux du Sahel de Skikda, qu�ils enverraient leurs contingents d�hommes arm�s au jour fix�. Moula Chekfa, le chef des tribus de la Kabylie orientale, lui promit l�envoi de renforts en provenance de Collo et Jijel. Damr�mont, de son c�t�, vint prendre la t�te des pr�paratifs de l�exp�dition le 9 ao�t � Medjez-Ammar, pr�s de B�ne, o� un camp retranch� a �t� �difi� pour accueillir les troupes exp�ditionnaires au fur et � mesure de leur d�barquement au port, arrivant d�Alger, d�Oran, mais surtout de Toulon. Il disposait de 20 400 hommes, dont 16 000 combattants, de 6 000 chevaux, de 60 pi�ces d�artillerie et d�une quantit� consid�rable de mat�riel de si�ge. Les premi�res hostilit�s Reprenant la tactique qui lui avait r�ussi en 1836, d�s le mois de septembre, le bey Ahmed voulut surprendre l�ennemi, � Medjez Ammar, avant qu�il ne r�unisse toutes ses forces. A la t�te de nombreux escadrons et d�un corps de fantassins, il se dirigea vers le camp retranch�, et pendant trois jours (22-25 septembre), il lan�a des assauts r�p�t�s : �Mon attaque ne r�ussit pas. Rien n�emp�cha plus donc l�exp�dition de se mettre en marche�, �crira-t-il plus tard. Combinant harc�lement et retrait tout long de la route menant � Constantine, le bey Ahmed esp�rait parvenir finalement � placer les forces ennemies entre deux feux ; celui de la ville et celui de ses propres troupes positionn�es hors de la ville. Le 6 octobre, apr�s cinq jours de marche, les Fran�ais parvenaient � El- Mansourah, plateau surplombant Constantine. De l�, ils pouvaient observer la ville o� �de grands drapeaux rouges s�agitaient orgueilleusement dans les airs, que les femmes, plac�es sur le haut des maisons, frappaient de leurs cris aigus, auxquels r�pondaient par de m�les acclamations, les d�fenseurs de la place�. (5) La seconde bataille de Constantine pouvait commencer. 2. �Une journ�e sans gloire� le 13 octobre 1837 ? A. Merdaci affirme : �Il y eut, sans doute, dans cette entreprise imp�rialiste fran�aise plus de victimes emport�es par les fi�vres dans les 0mar�cages de Sidi-Mabrouk que dans son �prouvant si�ge.� Pour les Constantinois, �ce fut une journ�e sans gloire�. Que disent les faits ? Du 6 au 11 octobre, les Fran�ais entreprirent de fortifier leurs positions et de mettre en place les trois batteries au Mansourah en face de Bab El Kantara et La Casbah, et les deux du Coudiat, en face de Babel Jabia. Quoique sans cesse interrompus par le harc�lement des assi�g�s, les travaux all�rent bon train. Le 9 octobre � 7 heures du matin, les premiers coups de canon retentirent, soumettant la ville � un intense bombardement. Les bombes et les fus�es ne mirent le feu nulle part. Bravant ce bruyant orage, la ville ne parut nullement dispos�e � ouvrir ses portes comme Damr�mont l�avait esp�r�. Changeant radicalement de tactique, les Fran�ais opt�rent pour une attaque frontale � partir du Coudiat Aty, o� ils concentr�rent toutes leurs forces. De leur c�t� les assi�g�s multipli�rent les sorties audacieuses pour harceler l�ennemi et l�emp�cher de consolider ses positions. Le 11 au matin, Damr�mont r�digea une proclamation qu�il fit parvenir aux habitants, par laquelle il les exhortait � cesser le combat et � lui envoyer des sages pour traiter avec lui de la r��dition. �Leur promettant, �crit E. Mercier, de garantir le respect absolu des personnes, des propri�t�s et de la religion.� Refrain d�une vieille rengaine d�j� cont�e par de Bourmont aux Alg�rois. Les Constantinois firent � Damr�mont cette r�ponse qui devrait d�finitivement figurer � c�t� de l�hymne national, comme devise de la magnanimit� de l�Alg�rien bravant tous les d�fis : �Si vous manquez de poudre, nous vous enverrons ; si vous n�avez pas de biscuit, nous partagerons le n�tre avec vous ; mais vous n�entrerez pas dans la ville, tant que nous serons vivants, et vous n�en serez ma�tres qu�apr�s nous avoir tu�s.�(6) En prenant connaissance de cette r�ponse, Damr�mont se serait �cri� �C�est bien ! Ils ont du c�ur ; l�affaire n�en sera que plus glorieuse pour nous !�(7) Vingt-quatre heures plus tard, un boulet habilement tir� par Ali el Bombadji Georgi vint toucher mortellement Damr�mont qui succomba sur le coup. Il n�eut pas le temps de savourer sa gloire. Le g�n�ral Perregaux, en se penchant sur lui, re�ut � son tour une balle au-dessous du front, il s��croula gri�vement bless�. Il d�c�dera quelques jours plus tard. Profitant de la panique qui s��tait empar�e du camp fran�ais, le bey tenta une attaque qui aurait �t� suivie par une sortie des assi�g�s, mais il s�opposa � une r�sistance farouche des assi�geants. Ce fut alors qu�il d�cida de renforcer la d�fense int�rieure de la ville par l�envoi de nouveaux contingents. Environ 2 000 hommes parvinrent � s�y introduire. Dos au mur, l�arm�e fran�aise qui venait de perdre son commandant en chef, menac�e par l��puisement des vivres et des munitions, se lan�a � corps perdu dans la bataille. Tous les efforts furent concentr�s sur Babel Jabia. Durant toute la journ�e du 12, un bombardement intensif parvint � faire une trou�e dans la muraille. C�est la fameuse br�che par laquelle vont s�engouffrer les assaillants. Le 13 octobre � sept heures du matin, l�assaut fut donn�. Sit�t le mur franchi, la colonne se heurta � un mur de feu. �Un combat de maisons et de barricades s�engagea acharn� et terrible, et dura plusieurs heures.�(8) Ce fut alors qu�un �v�nement extraordinaire faillit renverser compl�tement le cours des choses. Une des nombreuses mines plac�es tout au long de la muraille explosa, elle fit une centaine de morts, dont 40 Fran�ais. Le bey Ahmed eut � regretter par la suite l�absence de gens experts dans cette partie de l�art de la guerre. Les assi�g�s ne surent pas profiter de ce moment de panique g�n�rale, ils ne parvinrent pas � repousser les assaillants qui arrivaient par vagues successives. Plus tard �crira Besson (intendant civil), dans une lettre confidentielle au ministre de la Guerre : �Si l�attaque, �branl�e un moment par l�explosion d�une mine, n�avait pas r�ussi, si l�ennemi avait amen� nos troupes sur nos batteries �teintes, ce qui a failli arriver, l�arm�e �tait perdue.�(9) Le renversement de situation n�eut pas lieu. Nous disposons de nombreux t�moignages qui ont relat� cette journ�e du vendredi 13 octobre 1837. Pas un seul qui eut � raconter ces �v�nements ne put passer sous silence la r�sistance extraordinaire des Constantinois. Ce qui fit �crire � Devoisins cet hommage � peine voil� : �La r�sistance acharn�e de Constantine fut aussi glorieuse que l�attaque (�) Chaque habitant concourut � la d�fense des remparts de cette ville ; des femmes furent tu�es les armes � la main, et des juifs m�mes faisaient, de gr� ou de force, les corv�es de batteries de la place.�(10) M�me le sinistre Saint Arnaut ne put taire son admiration : �Toutes les murailles, toutes les maisons, toutes les fen�tres sont garnies de turbans. C�est un mur de feu que l�on a devant soi.�(11) Et il ajoute plus loin : �Quelle sc�ne, quel carnage, le sang faisait nappe sur les marches� Les Turcs cherchaient peu � se sauver, et ceux qui se retiraient profitaient de tous les accidents des murs pour faire feu sur nous�� Un autre t�moin, le Dr S�dillot, rapporte, � propos des nombreuses victimes fran�aises : �Quel spectacle s�offrait � nos yeux ! plusieurs rangs de cadavres superpos�s dans la boue et les d�combres� les grandeurs de blessures montraient qu�elles avaient �t� faites � bout portant et dans des luttes corps � corps� Les zouaves et les soldats du 2e l�ger et du 47e formaient la plus grande masse des morts.�(12) La bataille dura toute la journ�e. Finalement, les Fran�ais parvinrent � prendre La Casbah des janissaires, ce qui mit fin � la r�sistance. Le soir, un messager remit au g�n�ral Rulhi�re, nouveau commandant de la place, une lettre dans laquelle les autorit�s de la ville faisaient acte de soumission. Le bey Ahmed, qui crut jusqu�� la derni�re minute que la ville allait tenir bon, dut se rendre � l��vidence en voyant les colonnes ennemies p�n�trer l�une apr�s l�autre dans la ville. �De grosses larmes tomb�rent de ses yeux, raconte un t�moin, puis faisant subitement volte-face, il s��loigna. �(13) Commen�ait alors pour lui un autre �pisode de sa vie tourment�e. Un �pisode de r�sistance � l�occupation fran�aise pour tenter de r�cup�rer son tr�ne perdu. Qu�advint-il des chefs Ben A�ssa et Ben Labjaoui ? Selon les t�moignages recueillis par Mercier, caid eddar p�rit, couvert de blessures, sur le rempart de la ville parmi les combattants. Quand � Ben A�ssa, atteint de quatre blessures, il fut entra�n� par son fils qui combattait � ses c�t�s, avec nombre de ses compagnons, ils parvinrent � quitter la ville en passant de rocher en rocher.(14) Est-ce cela ce qu�on appelle �une journ�e sans gloire � ? Si Constantine a perdu la bataille de 1837, ce n�est ni par manque de courage ni par manque de combativit�. Les causes de l��chec, il faut aller les chercher dans l�art de la guerre, les armements utilis�s, toutes choses qui renvoient � l��tat de d�veloppement de deux organisations. 3. Les pertes fran�aises, morts dans les mar�cages ? Combien de Fran�ais ont-ils p�ri lors de la prise de la ville ? Dans son rapport au ministre de la Guerre, Val�e, nouveau gouverneur g�n�ral, donne les chiffres suivants : Officiers : 16 tu�s, 52 bless�s. Sous-officiers et soldats : 86 tu�s, 474 bless�s. Morts de maladie : officiers 5 ; sous-officiers et soldats : 39 Mais ces �chiffres officiels paraissent tr�s inf�rieurs � la r�alit�(15)�, estime C.A. Julien. Avant lui, M. Emerit avait donn� la m�me appr�ciation : �Ces chiffres �taient tr�s inf�rieurs � la r�alit�.(1)� Il faudrait consulter les archives pour �tablir l�ampleur exacte des pertes fran�aises, mais � lire les diff�rentes relations �tablies par les t�moins, on est tr�s loin des d�clarations officielles. Contrairement au mythe r�pandu par l�historiographie coloniale, ce ne sont pas les maladies qui ont �t� la principale cause de la mortalit� des soldats fran�ais, mais bien les balles des r�sistants constantinois. Un mot enfin sur les mar�cages de Sidi Mabrouk. Ils n�ont jamais exist� pour la simple raison, que cette zone est tr�s d�nivel�e et o� ne coule qu�un mince cours d�eau. D�ailleurs, c�est l� que le commandement fran�ais a choisi d��tablir son quartier g�n�ral. 4. Ceux qui p�rirent sur les rochers A. Merdaci affirme : �Seules les femmes ont �t� pouss�es dans les pr�cipices qui enserrent le rocher, subissant, en cette affligeante circonstance, la tyrannie des p�res, maris et fr�res, qui les ont sacrifi�es pour pr�server leur honneur, et aussit�t tomber dans la fl�trissure de la reddition.� Que disent les faits ? De nombreux auteurs ont relat� dans quelles circonstances la terrible trag�die qui co�ta la vie � des centaines de Constantinois eut lieu. Leurs versions ne diff�rent pas trop les unes des autres. Pellissier de Reynaud, qui est la source de nombreux historiens, rapporte que �pendant l�assaut, une partie de la population effray�e avait cherch� � fuir par les c�t�s de la ville qui n��taient pas expos�s � nos coups ; mais un grand nombre de ces malheureux p�rirent dans cette fuite dangereuse � travers les rochers escarp�s, d�o� ils ne pouvaient descendre qu�au moyen de longues cordes que leur poids brisait.� Pellissier qui n�a pas assist� � la prise de Constantine reprenait des t�moignages de t�moins visuels tels que le sieur Wagner, un botaniste bavarois qui accompagnait l�exp�dition. Wagner �crit : �Pour s�assurer la retraite vers La Casbah et une issue hors de la ville, beaucoup s��lanc�rent � travers les rochers vers la plaine, du c�t� du midi ; plusieurs se tu�rent en tombant, d�autres se bless�rent ; quelques-uns tra�n�rent p�niblement jusqu�aux jardins m�ridionaux, ou furent emport�s par leurs parents ; 200 cadavres gisaient au pied du rocher.(16)� Quand plus tard E. Mercier �crira l�histoire des deux si�ges de Constantine, il relatera cet �pisode avec un peu plus de d�tails : �A mesure que les troupes gagnaient du terrain en ville, une foule de gens et m�me des femmes et des enfants, avaient reflu� vers La Casbah. Les premiers arriv�s essay�rent de fuir par les escarpements, et se soutenant au moyen de cordes fix�es � la muraille, bient�t le nombre de fuyards augmentant avait produit une pouss�e irr�sistible et pr�cipit� le premier rang dans l�ab�me� On apercevait, au fond, des entassements de cadavres, et sur les anfractuosit�s, se tenaient accroch�s des malheureux poussant des cris lamentables.� Mercier pr�tend que les vainqueurs aid�rent les survivants � s�arracher � l�ab�me, mais Badjadja de son c�t� affirme le contraire. Les soldats fran�ais auraient, selon lui, coup� les cordes pour laisser s��craser les survivants. Malheureusement, aucune source ne nous signale cette version des faits. Par contre, nous savons, notamment par un t�moin oculaire, Devoisins et par Pellissier qui reprend son t�moignage presque mot � mot, que l�arm�e fran�aise commit un v�ritable crime de guerre contre des populations d�sarm�es. Au moment de l�assaut final, des foules de fuyards �de vieillards, de femmes et d�enfants� sortaient des entrailles du ravin pour aller se disperser le long des berges du Rhummel. Les Fran�ais positionn�s sur le Coudiat Aty, �avanc�rent, �crit Devoisins, deux pi�ces de montagne, et lanc�rent quelques obus au milieu de cette nappe mouvante de t�tes et de burnous, qui recouvrait les abords de la ville les plus rapproch�s de nos positions.� Et Devoisins poursuit en donnant ces d�tails terrifiants : �Les fr�missements qui suivaient la chute de chaque projectile indiquaient quels cruels effets il avait produits(17)�. Des auteurs fran�ais ont tent� plus tard de justifier cet �pisode en faisant valoir, que parmi les fuyards, il y avait des hommes arm�s, mais cela ne saurait justifier cette ex�cution sommaire au canon de femmes, d�enfants et de vieillards. O� Merdaci est-il all� chercher que les maris ont pouss� leurs femmes dans le ravin ? Pourquoi ce sc�nario et � quelle fin ? Est-ce ainsi que l�on rend justice aux sacrifices d�une population victime d�une guerre de conqu�te ? 5. En forme de Conclusion En guise de conclusion, cette br�ve �vocation des torts faits � Constantine par la conqu�te. Son auteur est un jeune naturaliste bavarois, M. Wagner, qui accompagnait l�arm�e exp�ditionnaire. Voil� ce qu�il �crit dans une de ses lettres : �La prise de Constantine �tait n�cessaire � l�honneur de la France, mais c�est un �v�nement funeste � la civilisation de la r�gence. Des milliers de familles arabes errent maintenant dans les sables du Sahara, elles implorent l�hospitalit� sous la tente de ces tribus nomades, qu�eux, habitants des villes, ne regardaient qu�avec d�dain ; elles abandonnent leurs habitations commodes, renoncent � leurs travaux industriels pour partager la couche du B�douin (�) Et pour comble de d�rision, le z�le scientifique de quelques savants ravit aux Arabes rest�s � Constantine leurs derniers moyens d�instruction, leurs livres, si rares dans la r�gence que bien des musulmans les regardent comme la plus pr�cieuse de leurs richesses ; un seul livre compose souvent toute la biblioth�que d�une famille maure, et ce livre est conserv� avec v�n�ration, consid�r� comme une vraie relique, comme le plus pr�cieux objet de l�h�ritage paternel. Calculez maintenant le tort immense fait � la civilisation de la province de Constantine, par l�enl�vement de ces huit cents volumes, qui vont �tre rel�gu�s sur les rayons d�une biblioth�que. Combien de p�res de famille qui ne pourront plus continuer l�instruction de leurs enfants par ces lectures du soir qui �taient d�habitude h�r�ditaires ?(18)� Et pour finir, cette question : quelle est la cause de cette maladie, tr�s r�pandue chez certains de nos auteurs en qu�te d�une notori�t� outre M�diterran�e, qui consiste � aller syst�matiquement visiter un de nos vastes cimeti�res pour y profaner une tombe ? H. K. 1 Cit� par M. Emerit, op cit� p. 108 1 Lettre du ministre de la guerre � Damr�mont, 22 mai 1827 2 Pellisier de Reybaud, Annales, tome 3, p 236 3 C.A. Julien, ibidem p.140 4 Ahmed bey, Memoires, trad. M. Emerit, Revue africaine n�93, 1949, p.102 5 E .Pellisier, Annales , Alger 1839, tome 3, p.251 6 E. Mercier, les deux si�ges de Constantine, p 62 7 E. Pellisier, p. 261 8 E. Pellisier, ibidem p 264 9 Cite par M. Emerit , op cit� p. 108 10 V. Devoisins, exp�ditions de Constantine, Paris 1840, p82 11 Saint-Arnaud, Lettres (1832-1854). 12 Dr C. S�dillot, ibidem, 238-239 13 V. Devoisins, ibidem p.76 14 Le fameux Ben A�ssa eut une piteuse fin. Devenu ca�d des Zerdazas, il fut destitu� plus tard pour trafic de monnaie. 15 C.A. Julien Histoire de l�Alg�rie contemporaine, �d.Casbah, p 142 16 Recueil de documents sur la prise de Constantine en 1837. Paris 1838, p. 126. 17 Desvoisins op. cit� p.140 18 M. Wagner, Lettres sur l�exp�dition de Constantine, 1838, p.87.