Le tribunal criminel d'Alger a poursuivi, jeudi dernier, l'audition des accusés dans l'affaire de la réfection de l'ancien siège de Sonatrach, sis à Ghermoul, et qui a été transféré à la direction commercialisation du groupe. Le tribunal a entendu le vice-président de Sonatrach chargé de la commercialisation ainsi que les autres cadres impliqués dans ce dossier. Chawki Rahal a donné des explications sur l'origine de la décision de gel puis de résiliation du contrat attribué à un bureau d'études national, CAD, et à une société allemande, Imtec. Le juge a demandé à l'accusé pourquoi avoir lancé un appel d'offres avec seulement deux sociétés, après le retrait du troisième soumissionnaire, et pourquoi « il ne l'a pas déclaré infructueux ». Selon Rahal, il y a un amendement de la directive R14, relative au mode de passation des marchés publics, et ce, en date du 21 mai 2008, qui l'autorise. Il ajoute qu'il a fait le point sur la situation avec le PDG de Sonatrach qui a saisi, à son tour, la tutelle qui « a autorisé la poursuite de la consultation puis de l'ouverture des offres. « Le 29 avril, la société allemande a été déclarée attributaire du marché. « Son offre était meilleure », ajoute l'accusé. Le juge lui demande qui a signé le contrat. Et au vice-président de Sonatrach de rappeler que « la loi donne 15 jours, à partir de la date d'ouverture des plis pour le faire ». Il préfère, néanmoins, demander de voir notamment avec la direction financière « si le montant était correct », car il s'agit de 7 milliards de dinars. On décide même de consulter une société espagnole, celle qui a pris en charge le Centre des conventions d'Oran et son évaluation fait ressortir un grand écart : le marché était de 48 millions d'euros alors que l'offre d'Imtec avançait le chiffre de 71 millions d'euros. On a décidé alors d'aller aux négociations. Selon Chawki Rahal, toutes ces observations ont été transmises au PDG, puis au ministre de l'Energie, mais ce dernier a répondu : « Imtec est l'attributaire du marché, il ne vous reste qu'à négocier le rabais. » La société espagnole est revenue dans une lettre datée du 17 juillet 2009 pour dire aux responsables de Sonatrach qu'elle « s'est basée en fait dans son étude sur un siège réalisé à Madrid ». C'est-à-dire qu'elle a « ignoré les spécificités de Sonatrach » dans ce projet. Mais pour le juge, passer aux négociations, c'est « aller d'une consultation restreinte au gré à gré ». En tout cas, selon Chawki Rahal, « le PDG a donné son accord pour un montant de 64 millions d'euros et l'ODS (ordre de service) était signé pour le 1er août ». L'accusé précise qu'il avait « une délégation de signature pour un montant ne dépassant pas les 10 millions d'euros » et le contrat dépassait ce plafond. Il demandera à ce titre une dérogation, comme l'exige la réglementation. Cet écart « peut vous envoyer en prison », lui rappelle le juge. Rahal invoquera « les spécificités du cahier des charges » de Sonatrach qui exige par exemple du bois de qualité. Le juge demande à l'accusé quel a été le rôle joué par les autres cadres de Sonatrach, à l'instar d'Aït El Hocine et d'Abdelawahab Abdelaziz dans la conclusion de ce contrat. Rahal explique au tribunal les changements intervenus suite au transfert de l'immeuble au profit de la division commercialisation de Sonatrach, en juillet 2009. Aït El Hocine était ainsi dans la commission évaluation des offres techniques. Le juge veut davantage de précisions sur la non-exécution du contrat avec la société allemande. Et à l'accusé de citer sa convocation subite par la police judiciaire qui lui demande des informations sur ce contrat. Nous sommes en août, la police judiciaire, selon l'accusé, « est intervenue à quatre reprises pour lui signifier d'annuler ce contrat ». Elle lui donne 15 jours pour le faire. En principe, « c'est interdit de résilier un contrat après l'ouverture des offres », explique-t-il. Sitôt informé, le PDG lui donne l'ordre « de suspendre l'exécution de l'accord ». Le lendemain, « une note me l'a confirmé », dit-il. Le vice-président de Sonatrach, Chawki Rahal, informe à son tour la société allemande Imtec de la situation et lui enjoint « d'arrêter les travaux et de ne prendre aucun engagement » relatif à l'exécution du contrat. Aït El Hocine, qui était directeur général de l'administration et des moyens par intérim, a, lui aussi, été informé. Le contrat est résilié le 16 novembre 2009, suite à l'accord du ministre de l'Energie. Le deuxième accusé appelé à la barre est la responsable du bureau d'études CAD qui devait faire le diagnostic, l'étude et le suivi du projet Ghermoul. Houria Meliani : « Les contrats que j'ai eus sont un héritage de BRC » Mme Meliani Houria rappelle son parcours dans ce domaine et les divers projets qu'elle avait eus avec Brown and Root Condor (BRC) d'abord — comme filiale de Sonatrach - puis avec Sonatrach lorsque cette société a réintégré le groupe. Elle est accusée de « conclusion de contrats contraires au code des marchés publics, de participation à la dilapidation de deniers publics, de blanchiment d'argent et de trafic d'influence ». Elle tient à préciser que les chiffres qui circulent sur ces marchés ont été « gonflés par la presse » rappelant un arrêté interministériel datant d'octobre 1988, fixant le barème sur lequel elle a toujours travaillé. Le juge l'interroge sur les moyens qu'elle utilise pour décrocher ses projets, notamment avec BRC, puis Sonatrach. L'accusée explique que son bureau « suit les annonces parues dans la presse nationale et fait des offres ». Ces projets, notamment ceux exécutés pour le compte de BRC, ne « dépassaient pas les trois millions de dinars », selon cette architecte. Elle soumissionnait, en fait, via deux bureaux d'études, Promomed et CAD. « C'est Sonatrach qui nous a appelés pour terminer les projets de BRC », explique-t-elle au juge. Ce dernier l'interroge sur le projet Ghermoul, un projet qu'elle aurait, aux dires des responsables de Sonatrach, bâclé. Et puis « comment est-elle passée d'une consultation restreinte à un marché de gré à gré ». Un changement auquel « elle n'a pas fait attention », disant qu'elle n'était pas juriste et que c'est le chef de projet qui a signé le contrat ». Elle relève, par ailleurs, « des contradictions dans le cahier des charges » et la violation de l'une de ses dispositions (article 8) en « autorisant des bureaux d'études étrangers (Dar El Handassa du Liban) à soumissionner alors qu'ils ne sont pas agréés par l'Ordre national des architectes ». Sur ses efforts tendant à obtenir le marché, Mme Meliani explique que le projet était classé, selon le cahier des charges, dans la catégorie E, une position qui lui donne la possibilité de « prendre entre 4,5 et 5,5%, mais nous, nous avons décidé de prendre 3% seulement », dit-elle. « Si j'avais vraiment des connaissances à Sonatrach, aurais-je fixé juste ce montant alors que le chiffre décidé par Sonatrach, au départ, prévoyait 5,5 milliards de dinars ? » En tout cas, le contrat avec le bureau CAD sera amputé par la suite de deux volets, le diagnostic et le suivi. Le bureau a néanmoins décidé de passer à l'exécution du contrat. « En octobre, tous les plans étaient déposés ». Mais les ingénieurs de Sonatrach vont commencer par « formuler des réserves », dira Mme Meliani qui précise avoir saisi Abdelawahab Abdelaziz sur la question, sans succès. Le marché est proposé ensuite à la société allemande Imtec. « Je n'ai eu que 50% du montant du marché, soit 22 millions DA », dira-t-elle. Le juge lui demande si elle ne connaissait pas « de hauts responsables de Sonatrach ou au ministère de l'Energie qui l'auraient aidée à obtenir ces contrats ». « Ces contrats ont été hérités de BRC », réplique l'accusée.